Abordé lors d’un atelier thématique à l’occasion des 26ème Rencontres du Risk Management de l’AMRAE à Marseille, le sujet des risques sécuritaires, lors des grands événements, est aujourd’hui analysé via le prisme des événements sportifs par l’équipe des Jeudis du Risque. Ce cas est intéressant, eu égard au récent constat de l’explosion des coûts de la sécurité lors des grandes manifestations sportives. À titre d’exemple, le coût de la sécurité des Jeux olympiques (JO) de Londres en 2012 a été multiplié par 25 par rapport à ceux de Barcelone, vingt ans plus tôt.
Le délicat équilibre entre la convivialité et la sécurité optimale de l’événement
Cette augmentation financière exponentielle est le résultat de plusieurs facteurs :
- La diversification des menaces ;
- La croissance des exigences sécuritaires ;
- La sophistication des moyens ;
- La pression médiatique et politique.
Dès lors, il apparaît essentiel pour le pays d’accueil de trouver un équilibre entre la convivialité et la sécurité optimale et nécessaire de l’événement, entre l’organisateur de l’événement et la puissance publique, détentrice de l’autorité régalienne. D’un côté, l’organisateur est responsable de la sécurité privée à l’intérieur des sites de compétition (stades, sites d’entraînement, hôtels officiels, etc.), quand, de son côté, l’Etat apporte des garanties de sûreté et d’ordre public nécessaires au bon déroulement de l’événement, via ses activités de renseignement, de maintien de l’ordre public, d’anti-terrorisme et grâce à la mise en place de plans de secours.
Pour mener à bien l’évaluation des risques, deux étapes fondamentales sont à envisager. Premièrement, il est nécessaire d’engager une véritable réflexion pour déterminer la stratégie visant à écarter ou atténuer des risques détectés en amont au moyen d’une phase de cartographie de ces derniers. Deuxièmement, d’un point de vue fonctionnel et opérationnel, il faudra déterminer la tactique opérationnelle, avec des choix techniques, de budget, de gestion de suivi, de contrôle, etc. Dans ce processus, la synergie doit être complète entre les acteurs impliqués dans l’organisation d’un grand événement sportif, afin de maintenir un échange efficace de connaissances et de compétences.
A titre d’exemple, pour l’Euro 2016 en France, le dispositif de sûreté-sécurité reposait sur sept piliers :
- La prévention des actes terroristes ;
- La sécurité des sites et des groupes sensibles ;
- L’accueil des supporters ;
- La sécurité des fan zones (succès croissant depuis la Coupe du Monde 2006 en Allemagne) qui implique une gestion simultanée de l’ordre public sur deux sites différents à l’intérieur d’une même ville ;
- La sécurité dans les transports ;
La vigilance sanitaire et le dispositif de santé-secours.
Point juridique : L’organisation d’un grand événement sportif est propice à la survenance de dommages matériels ou liés à la personne, susceptibles d’engager la responsabilité de leur auteur. En effet, l’organisateur, entendu au sens large, peut voir sa responsabilité civile engagée en cas de manquement à une obligation contractuelle ou en cas de préjudices occasionnés par sa faute ou par celle des personnes dont il doit répondre. Sur le plan pénal, il peut également être mis en cause s’il est à l’origine d’actes délictueux. |
Des nouvelles formes de risque à prendre en compte
Le risque terroriste, présent depuis maintenant de nombreuses années, prend des formes nouvelles et nécessite une adaptation permanente. Ce risque doit, selon le lieu et les villes-hôtes, impliquer une étroite collaboration entre les différents services, que ce soit dans les plans d’intervention d’urgence de gestion de crise ou bien dans l’évaluation de la sécurité. Du point de vue assurantiel, le risque terroriste, difficilement quantifiable, repousse les souscripteurs qui préfèrent l’exclure. Néanmoins, après les événements des Jeux de Munich en 1972 et ceux du Stade de France en 2015, les organisateurs de grands événements sportifs demandent une couverture assurantielle, au-delà de la seule compétence des autorités publiques. La question de la sécurité des sites sportifs dépend également de la taille des villes d’accueil. Il est en effet plus simple de garantir la sécurité du public dans une ville comme Albertville (JO d’hiver en 1992) qu’en Afrique du Sud (Coupe du monde de football en 2010) ou bien à Londres (JO d’été 2012). Dans ce dernier cas, deux bâtiments de la Marine ont été mobilisés ainsi que 41700 hommes chargés de la sécurité dont 13500 militaires et 12000 policiers, plusieurs avions de combat et une batterie de missiles sol-air. Les moyens déployés démontrent l’ampleur de l’événement et la difficulté pour en assurer la sécurité. Le fait de vouloir doubler le déploiement des forces publiques par une couverture assurantielle prend alors tout son sens lors d’une telle mobilisation.
Moins médiatisé, le piratage de billetterie augmente notamment à cause de logiciels robots, communément appelés « bot », qui tentent de se procurer un maximum de places le plus rapidement possible sur les billetteries en ligne. Le but est de les revendre sur le marché parallèle au prix fort pour obtenir des bénéfices potentiellement importants en fonction des compétitions. Par conséquent, les plateformes de vente doivent ainsi développer de nouveaux protocoles de sécurité plus robustes, avec, par exemple, l’utilisation des captcha, petits tests d’identification pour prouver que la demande provient d’un être humain et non d’un programme informatique. Mais de telles mesures sont aussi sources de coûts supplémentaires pour l’organisation.
En outre, avec le développement croissant des moyens de communication, le risque réputationnel augmente. Internet est devenu une tribune permettant à chacun de s’exprimer et de répandre rapidement et pratiquement partout dans le monde, un message ou idée particulière. Cette évolution peut induire une éventuelle déstabilisation dans l’organisation de grands événements sportifs, avec des détournements médiatiques, de messages politiques ou autre… Le caractère national d’un grand événement peut effectivement générer des tensions qui doivent être maîtrisées par l’organisation pour ne pas risquer de voir l’image de la compétition ternie.
Enfin, le risque environnemental, plus classique, doit également être pris en compte dans l’organisation d’un grand événement sportif, comme le risque d’une crue décennale de la Seine pour les Jeux de Paris 2024. En effet, les récentes inondations témoignent d’une réelle menace, alors même que la tenue des Jeux permettrait à la capitale d’être au cœur de l’événement, en aménageant la Seine et ses abords, grâce à des espaces dédiés à la compétition. Face à cette situation, il sera nécessaire de mettre en place, dans les prochaines années, un plan de continuité d’activité pour faire face à la survenue d’un tel risque.
L’IA, outil de prévention du futur ?
En vue de prévenir les risques de trouble à l’ordre public, la ville de Marseille disposera, en juin 2018, d’un dispositif muni d’un algorithme d’analyse des données urbaines pour garantir de manière efficace la sécurité et la tranquillité des citoyens. Cet « Observatoire de la tranquillité publique », inédit pour une grande ville française, recueillera l’ensemble des données publiques disponibles (caméras de surveillance, mains courantes de la police municipale, etc.), en les croisant avec d’autres données (opérateurs de téléphonie mobile, transports, etc.). Ainsi, un tel outil permettra à la police municipale de mieux anticiper les risques et d’améliorer la sécurité lors de grands événements comme des matchs de football. On peut donc imaginer que ce type d’outils, au service de l’humain, permettrait d’apporter de nouvelles réponses à la gestion de risques pour les grands événements sportifs.
Un nouveau besoin d’évaluation des risques
Ce monde fait donc face, depuis maintenant quelques années, à l’émergence de nouveaux risques tels que des risques cyber, le piratage ou encore les attaques terroristes, etc.
En 1996, lors des Jeux olympiques d’Atlanta, Patrick Vajda, ancien sportif reconverti dans le monde de l’assurance, avait identifié entre 500 et 1000 risques potentiels. Quatorze ans plus tard pour les JO d’hiver de Vancouver de 2010, il en avait recensé entre 500 et 700, de l’inondation aux épidémies en passant par le terrorisme. Si la quantité de risques identifiés ne semble pas évoluer, leurs caractéristiques sont bien différentes et nécessitent une évaluation adaptée.
On assiste, dès lors, à une mutation des besoins dans le domaine de l’anticipation des risques : la mitigation des risques ne passe plus uniquement par une analyse par l’homme, elle fait appel également à des moyens techniques et technologiques plus sophistiqués. Ici, ce développement a certes permis aux risk managers d’accéder à de nouveaux outils de prévention, mais les risques liés aux progrès technologiques ont dans le même temps progressé. Néanmoins, une synergie entre l’appréciation du risque par l’homme et l’analyse fournie par les modèles statistiques et prédictifs reste primordiale afin d’évaluer le plus précisément possible les risques auxquels les grands événements sportifs sont exposés.
Aux risques traditionnels inhérents à une grande compétition sportive, bien connus et mesurés malgré l’accroissement de leur amplitude, s’ajoutent de nouveaux risques potentiellement très impactant, qui font naître de nouvelles préoccupations. L’évolution des risques et leur mutation nécessite aujourd’hui une nouvelle réflexion impliquant une multitude d’acteurs : les organisateurs, les villes-hôtes, les sportifs, les pouvoirs publics mais également les spectateurs. Face à la complexité et au coût exorbitant de ces risques, la mobilisation sur l’anticipation et la prévention est indispensable pour assurer le succès de ces grands évènements.
Jules Mouillé