[JdR] L’intelligence émotionnelle au cœur de l’analyse des risques

Quelle prise en compte des émotions dans la gestion des risques ?
Après des études d’ingénieur, Teodor Chabin fait ses armes dans l’industrie de la cyber défense. Plus tard, il prend part à des actions de lutte informatique offensive et défensive (CND : Computer Network Defense et CNA : Computer Network Attack) au sein d’un centre d’opérations. Il se lance ensuite dans l’entreprenariat en cybersécurité, basé en France et aux États-Unis. Désormais, Teodor Chabin occupe le poste de « Cyberdefence Expert Director » chez Devoteam et travaille, selon ses propres mots, à « faire du monde digital un endroit plus sûr ».

Selon Teodor Chabin, l’intelligence émotionnelle est la capacité, en tant qu’être humain, à comprendre ses émotions, à apprendre à les maîtriser, les modifier et les diffuser. Pour compléter cette approche, on peut dire que l’intelligence émotionnelle (emotional intelligence, concept relié à l’emotional leadership, l’emotional quotient ou encore l’emotional intelligence quotient), se définit comme la capacité des individus à reconnaitre leurs propres émotions, à discerner entre différents sentiments et les nommer de façon appropriée. Il s’agit également de composer avec les émotions des autres, notamment pour les maitriser et les ajuster afin d’adapter une pensée, un comportement, un environnement ou encore atteindre un but.

Ces notions se basent sur un autre terme, nécessaire pour comprendre le concept d’intelligence émotionnelle : l’émotion. Tout se passe au niveau du néo-cortex, puisque la décision vient de la partie du cerveau qui gère l’émotion : « on le sent ». On va donc décider puis justifier ce choix avec des éléments rationnels.

 

Pour Téodor Chabin, quel évènement a été à l’origine d’une prise de conscience du concept d’intelligence émotionnelle ?

Il y a 10 ans, en 2008, lorsque la deuxième guerre d'Ossétie du Sud éclate, notre interlocuteur travaille dans l’industrie de la cyber défense et s’étonne de l’humeur joyeuse de ses collègues. En fait, ceux-ci se réjouissent des dégâts engendrés par le conflit et du renouvellement qui devrait s’ensuivre, synonyme de bénéfices économiques. C’est à ce moment que Teodor Chabin prend conscience de l’importance de comprendre ses émotions pour les maitriser.

Ses premières expériences en audit au sein de PME et PMI vont également renforcer ce sentiment : souvent les interlocuteurs se bloquent, refusent de parler ou se décomposent dans une situation de stress. Ainsi, lors d’un audit, Teodor Chabin s’est rendu compte que c’était le dirigeant en personne qui posait problème. Là est toute la problématique de donner l’information exacte pour accompagner l’entreprise, tout en évitant de s’attirer les foudres de la direction. Les émotions sont pleinement présentes et peuvent évoluer significativement selon les méthodes employées par l’auditeur. En l’occurrence, un ton ferme, strict, aurait pu être mal perçu par les collaborateurs de l’entreprise auditée.

 

Dès lors, comment vérifier l’impact qu’une information peut avoir sur le ressenti émotionnel d’un groupe ?

Téodor Chabin évoque une expérience réalisée après le 11 septembre 2001, comprenant deux groupes d’individus. Le premier groupe se voit remettre un article l’informant sur le sujet, tandis que l’autre groupe ne lit rien. L’article porte sur les attentats du World Trade Center et la question posée à tous est la suivante : "comprenez-vous la guerre menée par les USA en Afghanistan ?" Les résultats sont sans appel : le groupe ayant enrichi sa connaissance sur le sujet répond positivement à la question tandis que le groupe n’ayant rien lu répond négativement, voire, ne comprend pas la question.

Cette expérience démontre que la diffusion d’informations permet d’impacter et de faire évoluer la pensée d’un individu ou d’un groupe. On peut donc relier l’intelligence émotionnelle à l’influence, un concept prédominant dans notre société. En effet, de plus en plus d’individus, d’entreprises ou d’États se saisissent du concept et le mettent à profit au sein de leur stratégie. On évoque d’ailleurs parfois l’idée de « chantage émotionnel » ou de « manipulation émotionnelle ».

 

Par conséquent, au sein d’une société, comment l’intelligence émotionnelle s’applique-t-elle ?

D’après Teodor Chabin, les grandes marques savent très bien manier le marketing émotionnel. Apple s’adresse par exemple à la partie irrationnelle de l’individu, avec le marketing des émotions qui rend « addict » à des produits pourtant similaires à ceux proposés par d’autres marques.

À l’échelle d’un pays, la capacité à pratiquer la manipulation des émotions peut être liée à l’Histoire et à la culture du pays. Ainsi, le Vietnam et d’autres pays d’Asie du Sud-Est ont une forte appétence pour ce concept, puisqu’il participe à la résilience dont ils doivent faire preuve.

Aux États-Unis, on enseigne l’emotional qotient dès le plus jeune âge, en apprenant aux enfants à mettre des mots sur leurs émotions afin de les comprendre et de chercher à les modifier. On va par exemple demander à l’enfant de se poser des questions sur ce qu’il ressent, pendant une crise de colère ou un moment de tristesse. En France, l’enjeu serait d’abord de diffuser cette notion aux parents et au monde professionnel.

 

Peut-on parler d’une corrélation entre la stabilité d’une entreprise et l’intégration de l’intelligence émotionnelle dans sa stratégie ?

En termes de management, si on arrive à gérer les gens en s’appuyant sur les bonnes émotions, se créé un cercle de confiance permettant d’affronter des situations de crise et d’aller plus loin. L’inverse est aussi vrai : si on pratique l’opposé de l’intelligence émotionnelle, on peut très vite détruire une organisation.

 

Ainsi, comment sont utilisées les émotions ; que ce soit à bon ou mauvais escient ?

L’intelligence émotionnelle s’intègre dans toutes les étapes de la vie selon Teodor Chabin : lors d’un entretien, cela peut permettre de saisir dans quel état d’esprit se trouvent les interlocuteurs et gérer son propre stress. Plus offensivement, il peut s’agir de prendre l’ascendant sur l’autre, pour l’amener à parler sur un sujet. La manipulation des émotions s’apparente alors à une technique de déstabilisation. Lors d’un audit par exemple, si un collaborateur est confiant car à l’aise à son poste et qu’il décide de ne pas collaborer, il faut être en mesure de l’y amener. L’auditeur va chercher à trouver une faille, un choc émotionnel qui pourra briser le silence. Enfin, cette pression émotionnelle peut être utilisée pour obtenir des informations et mieux cibler son discours ou ses actions grâce à la justesse de l’émotion.

L’intelligence émotionnelle peut aussi être mise à profit de façon malveillante : une attaque informatique commence toujours avec du renseignement, de l’« intelligence » sur les cibles. Il en va de même dans le domaine cyber : l’attaque commence avec du renseignement, de la collecte de données et du « spear-phishing » (phishing ciblé). L’émotion est là encore présente : on cherche, avec ce type d’approche, à viser des personnes émotionnellement instables. Ainsi, des experts techniques se plaignant de leur ennui au travail sur les réseaux sociaux seront des cibles « faciles » pour les pirates informatiques.

 

Conclusion

Intégrer la résistance émotionnelle dans la formation des individus constituerait un sérieux avantage pour protéger et renforcer sa structure. Le prochain niveau, selon Téodor Chabin, c’est de mieux comprendre l’intelligence émotionnelle et de l’intégrer dans l’analyse et la gestion des risques, compte-tenu du fait qu’il reste une majorité d’individus qui n’ont pas conscience de ce concept.

Club Risques AEGE

 

Cette conférence a été organisée le 3 décembre 2018 dans les locaux de l’EGE.

Retrouvez l’intervenant sur Twitter : @teodorcbn ou sur son site : www.teodorchabin.com.

Par ailleurs, les réflexions de Simon Sinek sur le concept de marketing des émotions peuvent vous permettre d’approfondir les concepts évoqués lors de cette intervention.