[JdR] Une communication de crise efficace : retour sur la Nuit de la Gestion de Crises

La Nuit de la Gestion de Crises du 8 juin dernier proposait d’aborder tous les aspects de la gestion de crise dont fait partie la communication de crise. Pour traiter de ce sujet, Anne-Lise Coeur-Bizot, formatrice spécialisée en communication de crise et mediatrainer de l’INHESJ (Institut National des Hautes Etudes de la Sécurité et de la Justice), proposait de partager son expérience et d’entraîner les participants à la communication de crise à travers des simulations de conférences de presse.

Anne-Lise Cœur-Bizot a directement mis en situation les participants : un produit chimique utilisé dans une usine proche d’un petit village se répand dans la rivière. Il contamine l’eau et, par extension, la faune et la flore aux alentours. Plus grave encore, certains habitants ont ingéré cette eau et plusieurs d’entre eux sont déjà entre les mains des services hospitaliers les plus proches. Le produit en question était sujet à de nombreuses polémiques, malgré le fait que quelques jours auparavant, les responsables de l’usine avaient déclaré celui-ci tout à fait inoffensif.

Le scénario proposait dès lors trois choix possibles pour la prise de parole des candidats :

  • En tant que maire du village ;
  • En tant que directeur de l’usine ;
  • Ou bien en tant qu’association environnementale.

Une fois la décision prise, le volontaire devait faire face à un parterre de journalistes enclin à toutes les questions les plus coriaces et déroutantes. En tant que volontaires plusieurs questions se posent : « Pensez-vous être à l’aise dans ce genre de situation ? Croyez-vous que rien ne peut vous faire fléchir et êtes-vous prêt à faire face à cet exercice ? ». Détrompez-vous, même les plus confiants s’y sont heurtés et sont tombés dans les pièges les plus classiques ! En effet, on ne s’improvise pas « champion de la communication ».

 

Que faire en situation de crise dans un temps limité ?

Dans cette situation, que faut-il dire ? que faut-il cacher ? faut-il être franc ? faut-il mentir ?

C’est autant de questions que de problèmes à résoudre dans un temps très court.

Lors d’une gestion de crise, celui qui maîtrise le temps, maîtrise la situation. L’atelier nous a fait remarquer qu’à l’apparition d’une crise, les messages relayés par tous les acteurs concernés adoptent un schéma identique : ce schéma, simple mais efficace, peut se résumer par l’acronyme FACT.

F : Un résumé clair des Faits, juste les faits, rien que les faits.

A : Les Actions en cours et l’ensemble des dispositifs mis en œuvre pour résorber la crise.

C : Témoigner de la Compassion envers les victimes.

T : Faire preuve de la Transparence la plus totale, sans mensonge et sans pour autant divulguer toute la vérité.

Afin de comprendre pleinement le fonctionnement de ce système, analysons le discours de l’ancien Président de la République, François Hollande, au lendemain de l’attentat de Nice, le 14 juillet 2016.

 

 

Après l’attentat de Nice, la crise perturbe l’unité de la Nation mais également le gouvernement en place. Le Président de la République applique le schéma de communication sans omettre un seul élément. Il maîtrise, par ailleurs, une dimension cruciale : le temps. Tout au long de son discours, il annonce le calendrier de ses mesures. Cette maîtrise lui donne un avantage : il apparaît comme un chef qui tient la situation sous contrôle et organisé. Par ailleurs, il apporte suffisamment d’éléments d’enquête pour contenter les journalistes et la population sans trop en révéler et sans mentir. Ses messages de soutien sont soigneusement dirigés, une première fois, vers les cibles directes de l’attentat, une seconde fois, vers l’ensemble de la nation. C’est un message d’espoir, certes, mais témoignant aussi de sa volonté et de sa force.

 

Pendant combien de temps la communication de crise doit-elle être menée ?

Pour l’INHESJ, la réponse est simple : tout le temps de la crise et au-delà. En effet, une crise peut s’avérer courte comme très longue. Et les conséquences de celle-ci ne se limitent pas à l’instant de sa résolution, c’est un enjeu sur le long terme.

Une fois passées les premières allocutions, le travail de fond commence. « Le diable est dans les détails » accorde-t-on à Nietzsche. Cet adage ne saurait être plus vrai en communication.

Il existe un cas d’école qui démontre l’importance de cette temporalité à la perfection. Exemple parfait de la plus grande réussite de l’exercice, s’achevant sur l’une des plus grandes déroutes médiatiques : l’affaire Kerviel.

Le lundi 21 janvier 2008, la Société Générale est forcée d’annoncer une perte de plus de 5 milliards d’euros. Le responsable de cette crise est un trader qui travaille pour la banque depuis trois ans. Le groupe attaque dès lors Jérôme Kerviel, celui-ci étant tenu pour seul et unique responsable de la situation. La banque connaît bien-sûr une crise majeure, mais pour Jérôme Kerviel, la situation est également délicate : il clame son innocence sans relâche et s’entoure des meilleurs avocats et conseillers de crise. La guerre médiatique entre la Société Générale et son ancien trader commence alors.

Dans un premier temps ses conseillers lui intiment de veiller à son image et de rôder son discours de façon très naturel. Il n’aura aucun mal à être persuasif sur les plateaux de télévisions, étant donné sa profonde conviction d’innocence dans cette affaire. Il change également de « look ». On le voit apparaître dans la rue, tout sourire, en jean, affichant une barbe de trois jours. De même, à sa sortie de prison, Jérôme Kerviel arbore une sérénité improbable. L’opinion publique commence à voir en lui la victime de cette affaire, certains diront le syndrome de « David contre Goliath ». Or, tout ceci n’est que mise en scène. Pensez-vous vraiment que l’on peut sourire à sa sortie de prison, après y avoir passé trois mois, salit dans sa réputation et avec une épée Damoclès à 5 milliards d’euros au-dessus de la tête ?

Par la suite, il décide d’adopter sa propre stratégie. Il sort en 2010 son livre L’Engrenage : Mémoire d’un trader, malgré les recommandations opposées de ses conseillers. Il adopte son ancien look, rasé de près, habillé de noir. Fini le temps de « monsieur tout le monde » : Jérôme Kerviel est redevenu le stéréotype du trader arrogant et, par conséquent, perd le soutien de l’opinion publique. Par ailleurs, lors de son procès sa stratégie de communication lui sera même reprochée par les juges, qualifiée d’abusive et d’agaçante. Rappelez-vous, on ne s’improvise pas champion de la communication.

 

Ainsi la communication de crise est un exercice habile comprenant un ensemble de techniques. Aucun détail ne doit être omis. Transmettre un message clair et précis dans un temps court, où la pression s’accumule, est primordial. En boxe, on dit que l’on peut connaitre son adversaire au premier coup qu’il reçoit ; en temps de crise, nous connaissons le sérieux de l’interlocuteur dès le premier message qu’il diffuse.

 

Médéric Mezzano