Le Portail de l’IE, par l’intermédiaire d’Amélie Aïdi, coordinatrice du Club Sûreté de l’AEGE a eu le privilège de s’entretenir avec le Responsable du Pôle Formation d’Amarante International, Pierre Carrel, une entreprise française leader en matière de sûreté en zones hostiles. Cette entreprise propose des formations en sûreté destinées aux voyageurs d’affaires et expatriés, travaillant au sein d’entités privées ou publiques, françaises ou internationales. Ce service de plus en plus proposé par de nombreuses entreprises de sûreté permet à un employeur de répondre à ses obligations légales, ouvrant ainsi un marché intéressant pour les ESSD. Pierre Carrel a partagé sa vision sur les enjeux actuels de cette prestation.
Amélie Aïdi (AA) : Comment légitimer la formation auprès des entreprises afin qu’elles y consacrent une part de leur budget ?
Pierre Carrel : Depuis une bonne quinzaine d’années, la jurisprudence française a beaucoup évolué concernant la responsabilité légale de l’employeur au regard des déplacements professionnels de ses collaborateurs, notamment depuis l’emblématique affaire Karachi. L’employeur voit sa responsabilité croitre en termes de sécurité de ses salariés à l’étranger. Il a trois devoirs : celui d’informer (sur la destination de ses salariés), celui de former (afin que le salarié développe des comportements permettant de limiter l’exposition aux risques), et celui de le protéger (mise en place de moyens de protection une fois le salarié sur zone). Les entreprises sollicitent nos services afin que nous les accompagnions dans le respect de leurs obligations légales, mais aussi leur devoir moral. Si un incident survient lors du séjour à l’étranger d’un salarié, l’événement peut avoir des conséquences dramatiques sur l’activité de l’entreprise, mais aussi sur son image, et bien sûr sur sa situation financière. Par exemple, dans le cas où la famille du salarié porte plainte contre l’entreprise qui n’aurait honorées ses obligations légales. La responsabilité pénale de l’employeur peut également être engagée, un risque qui ne laisse pas les dirigeants d’entreprises insensibles.
AA : Estimez-vous que les entreprises françaises soient à ce jour suffisamment sensibilisées sur leur obligation légale ? Comment palier à cet éventuel manque ?
Les grands groupes sont sensibilisés, mais les PME ETI le sont beaucoup moins. Certains employeurs ne sont même pas au courant de cette obligation légale, qui peut pourtant avoir des conséquences extrêmement négatives s’il arrive malheur à un de leurs collaborateurs à l’étranger. En revanche, certaines entreprises sont conscientes de cette obligation légale, mais ne savent pas concrètement comment y répondre.
Pour pallier à ce manque d’informations, je pense qu’il faudrait communiquer beaucoup plus à ce sujet. Il faudrait que les pouvoirs publics communiquent dessus afin de sensibiliser tout type d’entreprise. C’est aussi un devoir des entreprises proposant ce type de formations, comme nous Amarante International, de communiquer sur ce sujet.
AA : Est-ce que l’on vous a déjà rapporté des incidents lors de voyages d’affaires ou d’expatriations de salariés que vous auriez formés ? Cette menace est-elle encore présente ?
Non, jamais. En revanche, au début de chaque formation, nous avons pour habitude d’échanger avec les participants et de leurs demander de partager leurs précédentes expériences à l’étranger. Durant cet échange, on observe que beaucoup de voyageurs ont déjà eu des problèmes à l’étranger. Nous recueillons ainsi un nombre incroyable d’anecdotes et d’expériences de voyages, de la petite agression à Rio de Janeiro jusqu’à la fusillade pendant une attaque terroriste au Sahel.
Oui cette menace est très présente. Les risques à l’international évoluent différemment selon les zones, mais la menace reste présente. Un environnement sécuritaire peut se dégrader dans un pays ou une région, tandis qu’il peut s’améliorer ailleurs. Mais paradoxalement, les incidents de voyage ne surviennent pas forcément dans les zones à risques.
AA : Parmi le large panel de formations que vous proposez, laquelle est la plus demandée ? Autrement dit, quels sont à l’heure actuelle les déplacements et besoins les plus prégnants des entreprises françaises dans leur développement à l’international ?
En volume, le format le plus demandé reste la formation géo-spécifique, c’est-à-dire portant spécifiquement sur certains pays. C’est intéressant, parce que ce type de formations permet de nous rendre compte de l’évolution du développement des entreprises françaises à l’étranger. En effet, comme nos clients sont essentiellement français, nous prenons conscience des zones géographiques à risque où ils envoient des collaborateurs. Par exemple, en l’Amérique Latine, trois pays ressortent régulièrement dans les demandes en formations géo-spécifiques, il s’agit du Mexique, du Brésil et de la Colombie. Du côté de l’Afrique, les plus fortes demandes ciblent le Nigéria, l’Afrique du Sud et la Côte d’Ivoire. Concernant le Maghreb et le Proche Orient, on constate que l’Égypte, l’Algérie, la Tunisie et la Turquie sont les plus demandés en termes de formations. On peut donc avoir une vision des flux d’investissements des entreprises françaises à l’étranger, c’est une autre facette des formations en sûreté.
AA : Avez-vous constaté des évolutions dans les demandes en formation ? Par exemple avec l’épidémie de Coronavirus ?
Pour l’heure, cette pandémie, n’a créé aucune évolution sur les demandes en termes de formations sûreté, mais c’est très certainement une évolution à venir. Par ailleurs, de nouveaux thèmes nous sont demandés et cela révèle également de nouvelles préoccupations des entreprises françaises. La radicalisation interne en entreprise, la menace terroriste en France et à l’étranger, mais aussi la gestion d’une prise d’otages, sont des thèmes qui nous sont demandés en matière de formation.
Les évolutions que j’ai pu constater portent entre autres sur le format de la formation souhaitée. On observe une hausse de la demande des formations en ligne, notamment le « e-learning » que nous avons développé. En deux modules, basique et avancé, le salarié peut se former pour développer les comportements adaptés face aux risques lors de leurs déplacements à l’étranger.
AA : Vous parlez de la radicalisation interne en entreprise. Pensez-vous que la préoccupation est telle que vous allez développer une formation spécifique à ce sujet ? L’attaque au couteau à la Préfecture de Police de Paris en octobre dernier a dû accroitre cette demande ?
C’est une demande en effet croissante de la part des entreprises françaises, c’est un sujet qui préoccupe réellement le secteur privé, et particulièrement depuis l’incident que vous venez d’évoquer. Mais les entreprises ne savent pas réellement qui il est préférable de former au sein d’une entreprise. Nous pensons développer une formation dédiée, notamment auprès des équipes dirigeantes ou des services Ressources Humaines.
AA : Mais, quelle est la légitimité de vos formateurs à sensibiliser des salariés partant en zones hostiles, extrêmement hostiles parfois ?
Les formateurs tiennent leur légitimité de deux critères. Tout d’abord, il faut que le formateur ait une expérience de terrain des pays à risques, qu’il ait déjà dû faire face au risque, particulièrement lorsqu’il anime une formation géo-spécifique. Il est impératif qu’il dispose d’une excellente connaissance de la zone. De plus, on exige des formateurs qu’ils aient des connaissances académiques ou professionnelles sur les dynamiques sécuritaires et les enjeux géopolitiques à l’échelle internationale. Il faut en effet qu’ils aient une certaine capacité d’analyse, et pas seulement une expérience de terrain. Nos formateurs sont donc des analystes, chercheurs ou experts du domaine de la sûreté, mais aussi d’anciens militaires, parfois issus de troupes d’élites.
AA : La formation étant une demande croissante, est-ce que cette activité devient l’une des plus importantes dans une entreprise comme Amarante ?
Malgré le fait que cette activité soit en réelle croissance dans notre entreprise, elle reste minoritaire par rapport aux autres services d’Amarante. Mais nous établissons un constat très positif de cette Business Unit, puisque nous notons une réelle hausse de la demande de formation, et de la diversité des offres que nous pouvons fournir.
AA : Quelles évolutions voyez-vous dans les années à venir pour le secteur de la formation ? Pensez-vous que l’usage deviendra essentiellement numérique par exemple ? Et concernant les thèmes ?
Le digital a de belles heures devant lui, c’est une certitude. La formation e-learning a de l’avenir parce que c’est un outil très pratique. En effet, il permet de former un grand nombre de collaborateurs, sans impératif d’horaire ou de lieu et cela limite également les coûts. Mais tant que les entreprises continueront d’envoyer leurs employés dans des zones à hauts risques, le e-learning ne sera pas suffisant. Vous comprendrez aisément qu’il faut plus qu’un e-learning pour préparer une personne à se rendre dans des villes telles que Bagdad, Kaboul ou encore Caracas. Le présentiel restera donc irremplaçable.
Concernant les thèmes abordés lors des formations, je pense que la radicalisation et le terrorisme continueront d’être une demande croissante. Il en est de même pour les formations portant sur les pays du Sahel qui continueront à être assez demandées par les organismes de la coopération au développement. Ce sont des pays qui connaissent une détérioration du climat sécuritaire depuis 8 ans, ce qui implique la nécessité de former les salariés. Je pense aussi que l’enjeu sanitaire risque de devenir une préoccupation grandissante des entreprises françaises, et donc créer un nouveau besoin en formation. Dans le contexte de la pandémie de Coronavirus, certains salariés se rendant dans des pays touchés pourraient demander une formation particulière à leurs employeurs.
Amélie Aïdi
Club Sûreté