Alors que la France entre dans sa septième semaine de confinement, que la majorité des commerces sont fermées et que le CAC 40 a chuté de 25% en trois mois, il apparaît à présent essentiel pour les entreprises de s’intéresser au risque réputationnel. Jusqu’ici, la priorité a en effet été d’assurer la sécurité des salariés, gérer le télétravail, payer les collaborateurs, voir les commandes s’annuler (ou, au contraire, ne pas avoir les matériaux pour les honorer), ou encore entreprendre les démarches pour obtenir l’aide de l’État.
La réputation a de particulier que tout ce que l’on fait l’affecte, qu’on le veuille ou non. Cela implique que toutes les décisions prises par une entreprise (chômage partiel ? sécurité ? paiement des dividendes ? primes ?) vont avoir un impact, qu’il soit positif, négatif ou neutre, sur l’opinion que les consommateurs se font d’elle. In fine, cela peut affecter ses ventes, ses relations clients et fournisseurs, son attractivité et donc sa pérennité. En contexte de crise du Covid-19, certaines entreprises mettent en exergue l’impact négatif du risque réputationnel, tandis que d’autres démontrent qu’une bonne gestion de l’image peut par ailleurs représenter une opportunité.
Impacts néfastes
Certaines entreprises ont choisi de mettre l’accent sur les bénéfices plutôt que la sécurité ou même les salaires des employés. L’attention est portée sur leurs investisseurs et le potentiel manque à gagner. Même si les conséquences de leurs décisions ne seront pas complètement visibles au court terme, il ne faut pas oublier qu’une image de marque se construit sur la durée et sera perçue différemment par les diverses parties prenantes.
Le cas d’Amazon
Pour le géant des ventes en ligne, la crise du Covid-19 représente une aubaine après un boom de commandes dès le début du confinement. Amazon n’hésite pas à recruter des intérimaires pour répondre la demande croissante. Conséquence immédiate : les entrepôts deviennent plus densément peuplés et les mesures de sécurité, déjà lacunaires, peinent à protéger les employés. De ce fait, Amazon semble peu s’intéresser à leur santé et refuse de fermer les entrepôts occupés par des employés potentiellement atteints du Covid-19. Ces derniers ne se sentent pas en sécurité, les syndicats interviennent et la cour d’appel de Versailles finit par donner 48h à l’entreprise pour restreindre les livraisons aux produits essentiels (mesure pourtant annoncée dès le 21 mars). Dans le cas contraire, elle serait contrainte de payer 100 000 euros pour chaque colis non-autorisé.
La réponse d’Amazon ? Les entrepôts resteront fermés. Bien évidemment, Amazon survivra et prend déjà ses dispositions pour continuer de vendre au travers d’entrepôts à l’étranger et de leur marketplace. Cela dit, il est important de noter que la marque a eu plusieurs conflits avec le Gouvernement français ainsi que l’Union Européenne. Un rappel à l’ordre du Ministre du Travail ne joue donc pas en sa faveur.
Le cas de SFR
Alors que SFR permet à Altice, maison-mère, de faire progresser son chiffre d’affaire en 2019, l’entreprise considère toujours ne pas être à même de payer ses salariés pendant le confinement. En effet, elle met 40% de ses effectifs (soit 5 000 personnes) au chômage partiel, y compris des salariés de la branche marketing ou juridique pour qui le télétravail est pourtant possible. Cela implique une réduction forcée de salaire pour les employés et une économie pour l’entreprise qui, selon la CFDT, se défausse sur les collectivités.
Le cas de Vivendi
Alors que le Ministre de l’économie somme les entreprises de ne pas verser les dividendes aux actionnaires, ou tout du moins de les réduire, Vivendi décide d’aller à l’encontre de ce mouvement. Pire, puisque l’année a été particulièrement bonne, les actionnaires décident de s’accorder une augmentation de 20%. Cette décision tourne à l’absurde lorsque l’entreprise ainsi que ses filiales font appel au chômage partiel et laissent à l’État la responsabilité de rémunérer les employés, alors que leurs investisseurs sont largement bénéficiaires. Il n’est donc pas surprenant de savoir que les syndicats de Canal+ comptent s’unir pour faire pression sur le groupe.
Impacts bénéfiques
De nombreuses entreprises se sont engagées à contribuer comme elles le pouvaient depuis le début de la crise. Ne pas oublier que même s’il n’y a pas de bénéfice direct à une « good story », le consommateur la gardera en mémoire et, la prochaine fois qu’il achètera un produit de l’entreprise, il en aura en tête une image positive. C’est le principe de la publicité, qui a pour vocation de créer une association avantageuse et positive avec un produit. La crise du Covid-19 donne donc à chaque entreprise l’opportunité de mettre cette notion en application à l’échelle de la marque toute entière.
Le cas de C’est qui le patron ?
La marque est déjà bien connue pour ses principes d’équité en établissant notamment le prix de ses produits de telle sorte qu’il permette une bonne rémunération des producteurs. Pendant cette crise, elle fait mieux encore : alors que certains veulent faire augmenter les bénéfices, C’est qui le patron décide de reverser tous les gains obtenus durant la période de quarantaine aux personnes mises en difficultés par l’épidémie. En moins d’une semaine, 750 000 euros sont déjà recueillis. C’est un geste que les clients savent déjà reconnaître. Par ailleurs, ceux qui n’avaient jamais entendu parler de la marque seront interpelés par cette initiative visant à soutenir les agriculteurs. Si l’on ne peut pas savoir dans quelle mesure les augmentations de ventes sont dues au confinement, il ne serait pour autant pas surprenant que la marque ressorte de la crise avec des clients supplémentaires.
Le cas de LVMH et Renault
Ces entreprises ont été très réactives et ont rapidement arrêté leurs productions habituelles pour se concentrer sur les produits sanitaires. Alors que le confinement n’a pas encore commencé, LVMH interrompt sa production de parfums et utilise les bouteilles pour faire confectionner du gel hydro-alcoolique à destination des soignants. De son côté, Renault utilise ses imprimantes 3D pour fabriquer des pièces de respirateur et des visières pour protéger ceux en contact avec le public (à un moment où ces équipements indispensables se font rare). Ces actions ont contribué à une meilleure protection de nombreux soignants, patients et caissiers et ne seront pas oubliées des Français.
Le cas de Décathlon
Décathlon est la marque préférée des Français avec une bon rapport qualité-prix, une large gamme de choix et un souci pour le bien-être de ses employés. Quand une startup italienne trouve un moyen d’attacher un filtre à un masque de plongée, la filiale du pays lui envoie ses plans pour que l’adapter à l’impression 3D. En France, un docteur se filme testant le masque et, après avoir contacté Décathlon, en reçoit plus de mille en dix jours. Au final, la marque retire les masques de la vente pour les consacrer uniquement aux soignants (et autres personnes à risque). Aujourd’hui, cinquante salariés travaillent avec l’université de Stanford pour utiliser les masques Easybreath à des fins sanitaires. En couplant la générosité de ces dons avec le fait que les Français cherchent à faire de l’exercice chez eux, Décathlon voit les commandes en ligne doubler sans signe d’un recul à venir.
Et les start-ups ?
Pour le moment, les histoires positives qui ressortent le plus sont celles des grandes entreprises. Et pourtant, celles qui auraient le plus à gagner en termes de réputation pourraient être les startups. De nombreux reportages existent, sur des entrepreneurs qui s’impliquent en mettant en avant leurs talents pour lutter, à leur manière, contre l’épidémie. Docndoc ouvre par exemple deux plateformes pour faire appel aux médecins disponibles pour des téléconsultations. De même, pour venir en aide aux équipes locales, la plateforme Switch met en contact des individus récemment licenciés avec des entreprises en plein recrutement. De leur côté, Coorpacademy forme les soignants sur la prise en charge du COVID-19, et Jubiwee mesure le moral des salariés pour permettre aux entreprises de les soutenir. Autant de startup dont nous n’aurions pas entendu parler sans l’épidémie. S’engager est donc un moyen de gagner en visibilité pour éventuellement attirer l’attention d’investisseurs et développer une image de marque positive. En contexte de Covid-19, les levées de fonds s’annonçant difficiles représentent une raison supplémentaire d’essayer de se démarquer.
Les bonnes pratiques
Parmi les différents cas énoncés ci-dessus, les erreurs des uns ainsi que les bonnes décisions des autres font ressortir un plan d’élaboration de bonnes pratiques. Il est important de se concentrer sur des actions à fort impact pour les parties prenantes les plus importantes (fournisseurs, clients, salariés).
- Communiquer …
Prévenir les clients de délais supplémentaires dans les livraisons, justifier les mesures de sécurité adoptées sur les réseaux sociaux, maintenir le dialogue avec les investisseurs… La Poste par exemple, n’ayant pas communiqué sur la décision prise avec l’État de conserver leur stock de masques pour protéger les postiers, a été accusé de l’avoir caché pour ne pas être réquisitionné. Le public ne peut pas connaître les actions prises par une entreprise si elle ne communique pas. En prenant les devants, l’entreprise facilite le contrôle du dialogue avec la population.
- … Mais pas pour ne rien dire
Le mot-clé « coronavirus » dans une boîte mail fait ressortir des centaines de platitudes et de messages de soutien. Ce type de mail est susceptible d’être ignoré, voire critiqué. Il y a en effet une grande différence entre communiquer sur les réseaux sociaux à propos de commandes en ligne et envoyer un mail à toute une base de clients. S’il est intéressé, un client ira de lui-même chercher les informations et, s’il ne l’est pas, un email lui donnera l’image d’une entreprise purement opportuniste.
- Éviter l’opportunisme
La crise du Covid-19 ne doit pas, en soit, représenter une opportunité d’augmenter les bénéfices. La marque de lunettes Polette a commis une erreur en proposant « une paire de lunette achetée, deux masques offerts ». Les consommateurs sont particulièrement sensibles aux entreprises tournant la situation à leur avantage.
- Rester crédible
Si une entreprise commence tout juste à se préoccuper de sa réputation, elle possède une faiblesse importante : le retard. Les entreprises qui ont le mieux réussi ont agis dans les premières semaines, voire les premiers jours de la crise. En conséquence, les actions entreprises ont maintenant été normalisées. Le risque de communiquer, en commençant ce jour, sur les initiatives prises par l’entreprise est de susciter chez le client : « Pourquoi avoir attendu aussi longtemps ? ». Il est préférable de développer une image crédible, petit à petit, en s’assurant que toutes les parties prenantes soient satisfaites plutôt que de mener de grands projets.
- Assurer le bien-être des employés
L’avis d’un employé sur son entreprise joue un rôle très important sur l’opinion générale. Les Français font d’ailleurs trois fois plus confiance à un employé qu’aux médias (campagnes de publicité comprises) pour juger une marque. Il est donc indispensable que les collaborateurs se sentent écoutés et en confiance avec leur entreprise.
L’élément le plus important reste la transparence : il s’agit de communiquer régulièrement et de répondre aux éventuelles questions. Il est également important de les remercier, de partager leur frustrations, de les encourager et de les impliquer avec des retours d’expérience.
Les potentielles craintes et interrogations, notamment quant aux masques et aux tests, doivent être prises en compte. Faire preuve de souplesse est essentiel : en vue du déconfinement, le volontariat pourrait un élément à privilégier.
En d’autres termes, impliquer les employés dans la construction de procédures extraordinaires. La pandémie étant devenue omniprésente, les expériences professionnelles sont au cœur des discussions ; si la posture de l’entreprise est mauvaise, les employées en parleront à leur entourage. Il est important de garder à l’esprit qu’un employé accorde trois fois plus d’importance à l’éthique qu’à la compétence lorsqu’il juge son employeur.
Jade Friggeri