Avec la venue de géants du commerce en ligne comme Amazon et un changement de mode de consommation des Français, le milieu du commerce de détail vit un bouleversement qui met en péril les acteurs traditionnels et les force à se redynamiser pour éviter de disparaître. Les stratégies d’adoption du numérique sont diverses et propres à chaque entreprise où elles doivent être coordonnées avec le modèle économique déjà en place dans les magasins physiques.
En 2018, l’activité du secteur commercial recule légèrement en raison, notamment, d’un ralentissement de la consommation des ménages. Si le commerce de gros continue à évoluer, le contexte économique et social français freine le commerce de détail. Pour les produits alimentaires, les grandes surfaces prennent un retard conséquent avec une croissance négative alors que les ventes de petites surfaces et magasins spécialisés (ex : magasin bio) évoluent positivement. Le commerce non-alimentaire ne s’en sort pas mieux avec une croissance qui chute à +0,2% (contre 1,9% l’année précédente) avec des difficultés particulières dans le domaine de l’habillement-chaussure. Facteur aggravant, les Français se tournent de plus en plus vers l’e-commerce dont la rapidité et la facilité d’accès participe à rendre l’exercice plus attrayant qu’un déplacement en magasin. En 2018, 65% des français âgés de plus de 15 ans ont déjà acheté un produit en ligne et le secteur réalise un chiffre d’affaire de 92,6 milliards d’euros. En parallèle, le mouvement des gilets jaunes et les manifestations à répétition participent à la chute de fréquentation des magasins physiques. Le coût pour les commerçants est évalué à 2 milliards d’euros. Dans ce contexte peu porteur et face aux pure players numériques, il est essentiel que les enseignes physiques agissent pro-activement afin de s’adapter au mode de consommation français.
Une compétition accrue
Une mauvaise maîtrise de la révolution de l’e-commerce peut fragiliser une entreprise par rapport à deux types de concurrents : les pure players (ex : Amazon, Veepee) et les acteurs traditionnels du commerce (ex : Monoprix, IKEA). Que ce soit des coûts fixes de locaux et entrepôts plus faibles parce que plus éloignés des villes, d’une plus grande efficacité grâce à l’automatisation comme pour Amazon, d’un nombre de clients potentiels plus élevé ou encore d’une fiscalité plus avantageuse, les pure players bénéficient de nombreux atouts par rapport aux magasins physiques. Parce que le e-commerce permet des achats plus rapides et ne demandant aucun déplacement, la grande consommation constitue un facteur clef. Il offre aux clients la possibilité de faciliter leurs dépenses hebdomadaires, notamment alimentaires. Face au rachat de Whole Foods par le géant Amazon, les enseignes de la grande consommation françaises comprennent qu’il faut s’adapter pour devancer l’entreprise américaine sur le marché français.
Ces enseignes, comme Leclerc, Carrefour ou Intermarché, dispose d’un atout de taille : elles sont françaises et revalorisent le made in France. Elles s’acquittent de leurs impôts en France tandis qu’Amazon pratique l’optimisation fiscale et est au centre de discussions sur l’imposition des GAFAM. Elles misent sur la réduction des déchets et un approvisionnement local alors qu’Amazon est impliqué dans plusieurs scandales portant sur sa lourde empreinte écologique. Elles sont tenues de lutter contre le gaspillage alors qu’Amazon encourage la surconsommation. Finalement, Amazon est perçu comme l’envahisseur contre qui, comme un peuple d’irréductibles « gaulois », il faut résister. Cette dynamique d’influence porte initialement ses fruits quand plusieurs enseignes refusent un partenariat avec Amazon. Hors, ce dernier semble avoir compris l’approche en s’alliant avec Monoprix puis Naturalia pour bénéficier de leurs réputations et clientèles.
Malgré tout, la lutte ne se fait pas qu’entre les pure players et les acteurs traditionnels du commerce mais aussi entre ces derniers. Il n’est plus suffisant de rivaliser sur les produits et l’attractivité des locaux, il est également nécessaire de préparer la transformation numérique. Conjuguer ces deux impératifs peut conduire une entreprise à trop diviser ses actions et faillir sur les deux fronts. C’est le cas de Conforama, par exemple, qui annonce en juillet 2019 la fermeture de 42 magasins et la suppression de 1 900 postes. Pour la partie physique, l’enseigne est déjà en difficulté avec des locaux peu attrayants et offrant un choix bien plus réduit que son concurrent IKEA, dont les magasins sont largement plus grands, bien pensés et offrent une expérience conviviale en famille.
En parallèle, Conforama tente de se tourner vers le commerce en ligne en oubliant le plus important : la qualité du service. Ainsi, le site de l’enseigne recueille une note de 1,2 sur Trustpilot, avec 90% des 2 229 avis donnant la note minimale. Des problèmes logistiques ou de relations clients ne peuvent pas être résolus par des améliorations superficielles mais par une refonte du système. Or, en allouant ses efforts de manière confuse, Conforama continue de chuter dans la vente en ligne aussi bien que dans la vente physique, au profit de concurrents comme IKEA ou Maison du Monde.
Les approches variées de la conquête du marché
Les approches du e-commerce se trouvent sur un continuum où, à un extrême, les ventes s’effectuent entièrement en face à face et, à l’autre, en ligne. Aujourd’hui, la tendance est à l’omnicanal avec deux tiers des entreprises de plus de 10 salariés ayant un site web alors que des plateformes de ventes en ligne, comme Miliboo ou Spartoo, commencent à s’implanter en ville. Les entreprises de chaque marché se vampirisent en empiétant sur le territoire de l’autre. Pour éviter de perdre en parts de marché, il est indispensable de mettre en valeur les atouts de chaque canal.
Le magasin physique présente un avantage de taille : il permet au client d’interagir avec le produit qu’il achète en le touchant ou en le testant, facilitant la prise de décision, et en créant une expérience pour le consommateur. Pour que cette stratégie fonctionne, le magasin se doit d’être accueillant et esthétique. Cette dynamique est particulièrement suivie dans le secteur du hard-discount avec, par exemple, la rénovation des magasins Lidl en 2015 qui a donné lieu à une augmentation de sa part de marché de presque 1% en trois ans. En parallèle, il faut inciter les clients à venir en créant des services qui ne sont pas, ou tout du moins peu, accessibles en ligne. Dans le monde de la mode de prêt-à-porter, certaines enseignes comme Promod ou Camaieu donnent le ton en proposant un service de styliste personnel. Cela permet de créer une relation de confiance entre l’enseigne et le client. Dans le cas du centre commercial Evry 2, ce service permet aussi de stimuler les ventes des autres enseignes.
L’implémentation de l’e-commerce doit veiller à soutenir l’activité du magasin en alliant les deux expériences plutôt que de les opposer. En effet, les visiteurs s’étant rendu sur le site web du marchand ainsi que dans le magasin ont tendance à consommer davantage que les visiteurs purement offline ou online (61% contre 46% et 20%). C’est la stratégie pour laquelle opte Fnac Darty depuis 2014 et qui lui a permis de doubler son chiffre d’affaire en quatre ans. En effet, un client peut rechercher et choisir un téléphone portable en ligne, le commander et se le faire livrer chez lui, dans un magasin ou un point relais. Il peut également décider de tester le téléphone en magasin avant de l’acheter. Et si le téléphone n’est pas disponible dans cette boutique, il peut aller le retirer dans un autre magasin de l’enseigne. Finalement, ces ventes omnicanales représentent 49% des commandes internet. Ici, le physique et l’immatériel fonctionnent en tandem pour améliorer l’expérience client ainsi que le taux de transformation. Il n’est pas question de course au numérique parce que les autres enseignes le font mais parce qu’il permet de créer une stratégie de vente qui vaut plus que la somme de ses parties. En utilisant cette stratégie, Fnac-Darty démontre qu’il est tout à fait possible à un Français de rivaliser avec les grandes entreprises américaines.
L’e-commerce n’est pas seulement un atout pour les grandes entreprises mais aussi pour les PME et TPE. En réduisant les frais de logistique, la vente en ligne permet de plus grands bénéfices et, en parallèle, une campagne de publicité à moindre coûts, voire gratuite. Cet outil est particulièrement utile pour ceux qui vendent du « Made in France ». En effet, la clientèle existe : 70% des consommateurs seraient prêts à payer plus pour acheter français. Les arguments consistent premièrement, par la création d’emplois en France, la stimulation de l’économie et la réduction de l’impact écologique du produit. Pour la mode et le textile, en particulier, cela minimise les risques du recours à une main-d’œuvre travaillant dans des conditions dangereuses contre faible rémunération. Le « Made in France » donne donc l’impression au client d’agir de manière vertueuse pour aider la France et la planète. Le deuxième argument est la qualité du savoir-faire français, reconnu partout dans le monde. Ce pendant est particulièrement attractif pour une clientèle internationale qui n’a accès à ces produits que par internet, dans la plupart des cas. Ainsi, le « Made in France » est un outil d’influence dont le rayonnement est permis et facilité par la vente en ligne.
Il n’est malgré tout pas impossible de prospérer tout en se restreignant aux seuls magasins physiques. C’est le cas de Primark, la marque low-cost irlandaise qui, malgré son succès en France, n’envisage pas les ventes en ligne. A la place, les produits sont écoulés dans treize points de vente aux surfaces importantes de plusieurs milliers de mètres carrés, situés en périphérie des grandes villes. La stratégie fonctionne : Primark rentre dans le classement des 100 plus grandes enseignes en France et réalise un chiffre d’affaire de près de 600 millions d’euros en 2018. Contrairement à certaines marques qui n’ont simplement pas su évoluer, la décision de l’enseigne de se limiter aux magasins physiques est raisonnée et basée sur son business model. Construite sur une échelle de masse avec de très faibles marges, l’entreprise risquerait non seulement de ne pas avoir les moyens logistiques de distribuer ces articles mais surtout de ne pas pouvoir financer les retours. Cela est difficilement justifiable lorsque que l’on sait que nombre de leurs produits coûtent moins de 5 euros. Primark démontre qu’il ne faut pas se précipiter sur l’e-commerce pour le seul motif que ce marché s’élargit, mais réellement évaluer sa clientèle, son modèle commercial et ses compétiteurs directs et indirects.
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