Reconnaissance faciale en France : quelle place dans la politique de sécurité intérieure ?

« Big Brother is watching you ». Cette expression tirée de l’œuvre de George Orwell « 1984 » est aujourd’hui utilisée pour dénoncer des mesures de surveillance jugées excessives. Si les caméras de surveillance font partie intégrante du paysage urbain français, celles-ci ne permettent actuellement pas d’identifier automatiquement un individu. La question de cette évolution divise, notamment au regard des risques d’atteinte aux libertés individuelles qu’elle implique.

 

La reconnaissance faciale renvoie à différents usages 

Favoriser la recherche d’un individu en fuite, empêcher l’accès aux zones à haut risque (aéroports, gares, zones touristiques…) à un individu dangereux, identifier une personne au milieu d’une foule … Qu’il s’agisse de la sécurisation de grands évènements ou encore de lutte contre le terrorisme, les possibilités offertes par la reconnaissance faciale suscitent l’intérêt tant de l’Etat que des acteurs privés. 

La reconnaissance faciale est une technique biométrique permettant d’identifier ou d’authentifier une personne. Si l’identification implique que les visages d’un certain nombre d’individus soient comparés à l’image ou la vidéo de la personne recherchée, l’authentification nécessite quant à elle uniquement de comparer le visage de l’individu concerné avec celui déjà présent dans une base de données et rattaché à l’identité qu’il déclare.

L’authentification par reconnaissance faciale est utilisée à titre privé par de nombreux utilisateurs de smartphones pour déverrouiller leurs appareils notamment, mais elle est également utilisée par l’Etat français. Le récent lancement en test de l’application Alicem mais aussi et surtout, en matière sécuritaire, le déploiement du système PARAFE en sont des illustrations. 

Concernant l’identification par reconnaissance faciale, le décret n° 2012-652 du 4 mai 2012 relatif au traitement d’antécédents judiciaires (TAJ) permet, dans le cadre d’enquêtes judiciaires et administratives, de comparer les photos de suspects avec celles contenues dans le TAJ.

Si certains restent fermement opposés à ce type d’utilisation, le débat actuel ne semble plus porter sur le fait de savoir si la reconnaissance faciale a une place ou non dans la politique de sécurité intérieure française mais plutôt sur le cadre de son usage. 

Dans certains Etats, comme l’Espagne et le Royaume-Uni, des systèmes d’identification par reconnaissance faciale sont d’ores et déjà déployés sur la voie publique. A Londres, par exemple, les phases de test sont terminées et la reconnaissance faciale peut désormais être utilisée en direct par les services de police. La ville de Moscou a quant à elle récemment fait le choix de déployer un système de reconnaissance faciale qui en fera la ville la mieux équipée au monde.

En Chine, le déploiement de cette technologie est massive et de nombreuses dérives ont été recensées, au premier rang desquelles le fait qu’elle puisse être utilisée pour soumettre la population à un système de notation sociale généralisé.

 

L’encadrement juridique de la reconnaissance faciale est nécessaire

En l’absence de prise de position ferme de l‘Etat français sur la possibilité de déployer de tels systèmes, certaines villes ont pris les devants. C’est le cas de Nice où la reconnaissance faciale a été testée sur la voie publique à l’occasion de la 135ème édition du carnaval de Nice de février 2019. Fin 2019, concernant l’expérimentation de la reconnaissance faciale dans deux lycées, la CNIL rappelait que « ce dispositif concernant des élèves, pour la plupart mineurs, dans le seul but de fluidifier et de sécuriser les accès n’apparaît ni nécessaire, ni proportionné pour atteindre ces finalités ».

Plus récemment, et sans avoir procédé à l’analyse d’impact relative à la protection des données (AIPD) requise par le règlement général sur la protection des données (RGPD), le stade de Metz a déployé cette technologie afin de détecter les « personnes interdites d’accès au stade ». La nécessité de légiférer semble donc prégnante et la France, comme les autres Etats européens dont l’Allemagne, est confrontée à un débat de société.

Début janvier, l’Union européenne envisageait de publier un moratoire de trois à cinq ans sur l’utilisation de cette technologie. Si ce projet a été abandonné, la démarche reste intacte car l’UE souhaite toujours déterminer des « exigences spécifiques » encadrant les systèmes d’identification par reconnaissance faciale. Dans son livre blanc sur la régulation de l’intelligence artificielle publié le 19 février dernier, la Commission européenne a annoncé qu’un débat européen sera lancé afin de déterminer si l’utilisation de tels systèmes dans les lieux publics est envisageable, puis fixer, le cas échéant, les garanties qui devront lui être attachées.

 

Une fiabilité en question et des cas d’usage pluriels

Outre les risques pour les libertés publiques qu’implique cette technologie, sa fiabilité est également remise en question. Une étude du National Institute of Standards and Technology (NIST) démontre notamment une variation du taux de réussite de ce type de logiciel selon la couleur de peau, l’âge et le sexe des individus. Au Royaume-Uni où la reconnaissance faciale a été testée, pour 42 identifications de suspects, 8 seulement se sont révélées exactes soit un taux de réussite de 19%.

Les déclinaisons de cette technologie sont nombreuses. La police de San Diego l’a par exemple  testée en équipant ses agents de dispositifs permettant de comparer les visages des individus contrôlés à leur base de données avant d’y renoncer, lui préférant le système de reconnaissance des empreintes digitales. A New-York, la technologie de l’entreprise française IDEMIA visant à identifier les occupants des véhicules n’a pas du tout convaincu.

Aujourd’hui, certains chercheurs se penchent même sur la reconnaissance faciale à partir des images thermiques.

 

Une expérimentation avant de trancher ? 

Afin de faire avancer le débat, le gouvernement français envisage de lancer, à l’instar de la ville de Londres il y a quelques années, une expérimentation de la reconnaissance faciale en temps réel. Cette proposition portée par le secrétaire d’Etat au numérique Cédric O s’inscrit dans sa volonté de faire progresser les industriels français dans ce domaine. 

L’enjeu est immense en matière économique, avec un marché estimé à près de 7 milliards de dollars en 2024, mais aussi en matière de souveraineté, du fait de l’avance prise par les technologies asiatiques. La Chine en particulier, de par son statut de précurseur dans ce domaine et ses investissements massifs en matière d’intelligence artificielle, s’impose comme un leader capable d’exporter massivement et d’imposer ses propres standards, au risque de favoriser des excès autoritaires dans certains Etats. 

Or si l’Etat français fait le choix de recourir à des entreprises françaises, IDEMIA et Gemalto actuellement, des acteurs privés peuvent quant à eux être tentés de faire appel à des entreprises étrangères dont les garanties vis-à-vis des libertés et droits fondamentaux ne sont parfois pas respectées. Ainsi le débat est particulièrement complexe et au-delà du choix du gouvernement français d’autoriser ou non l’utilisation de cette technologie, les initiatives privées doivent être encadrées. 

La reconnaissance faciale fait aujourd’hui partie de notre quotidien mais ne doit pour autant pas être banalisée. Si son usage à des fins sécuritaires semble acté, ses limites restent floues et un encadrement juridique à la hauteur des enjeux qu’elle représente apparait donc nécessaire.

 

Macéo Croppo

Club Sûreté