[CR] Reconquérir une indépendance dans les secteurs d’activités d’importance vitale (2/2): l’inquiétant constat de l’absence de dispositifs de protection

Le 11 mars 2021 s’est tenue la conférence relative à la reconquête d’indépendance dans les secteurs d’activités d’importance vitale à la Bibliothèque Nationale de France organisée par la Fondation pour la Recherche Stratégique. Dans un contexte de tensions géopolitiques, de guerre informationnelle et de crise sanitaire, il était question d’en étudier l’impact des phénomènes d’interdépendance. La validité et la clarté du constat de l’importance de la souveraineté technologique ne font pas oublier le manque de dispositifs de protectio

La deuxième table ronde avait pour but de “dépasser les constats et agir pour préserver des secteurs clefs”. Elle a vu l’intervention de Isabelle Tisserand (Coordinatrice défense et sécurité, Direction Générale de la Recherche et de l'Innovation, Ministère de l'Enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation), Franck Mouthon (Président de France Biotech, Directeur général de Theranexus), Luca del Monte (Responsable du pôle politique industrielle et PME, Agence Spatiale Européenne) et Guillaume Adam (Directeur Affaires Européennes et Numérique, Fédération des industries électriques, électroniques et de communication).

L’administration se veut rassurante

Tout d’abord, Isabelle Tisserand, du fait de l’importance de la technologie dans 12 secteurs vitaux confidentiels, a rappelé l’importance vitale de la souveraineté en la matière. Cependant elle a souhaité également nuancer l’impératif de souveraineté dans le sens où plutôt que de parler de reconquête ou de conquête, la souveraineté technologique consiste à maintenir un équilibre. La philosophie de l’administration française est donc de multiplier les partenariats comme par exemple au niveau des câbles sous-marins. Elle a ensuite poursuivi sur l’importance de la réunion des moyens : sans des moyens adéquats il est impossible de parler de souveraineté technologique et c’est ce qui a piloté en partie à la création de l'ANSSI. 

La Coordinatrice défense et sécurité a également insisté sur le fait que l’indépendance numérique n’est pas forcément une bonne chose. Après avoir rassuré sur le fait qu’il était nécessaire d’analyser chaque situation et que la stratégie de l’administration était à la fois défensive et offensive, elle a souligné un point faible du système de régulation française. Selon elle, le manque d'analyse de coût/profit systématique dans le cadre des partenariats fait cruellement défaut. Pour remédier à cette situation, elle souligne l’importance de fournir de l’aide à la décision aux stratèges, le besoin de formation et l’importance de soutenir l'échelon territorial. Madame Tisserand a conclu en indiquant que pour préserver les activités vitales ou des dépendances acceptables il fallait nécessairement pouvoir définir un objectif commun partagé de manière encadré et réglementé. 

Si son intervention se voulait rassurante, les intervenants suivants n’ont pas manqué de faire remarquer (involontairement peut-être) le manque de dispositifs de protection pour certains secteurs clés comme l’innovation médicale et l’industrie spatiale. 

Les start-ups de la Health tech française à la merci des États-Unis

Franck Mouthon a dressé un constat plutôt inquiétant pour la Health Tech française alors que cette dernière dispose pourtant de gros atouts. La Health Tech en France a évolué vers un modèle de PME innovantes alors que dans le même temps les grands groupes font de moins en moins de R&D et se contentent d’investir dans ces dernières. En matière d’innovation médicale, il a relativiser l’importance de l’innovation française puisque sur les 5 dernières années ⅔ des brevets en médecine ont été déposés aux États-Unis. En indiquant que l’innovation médicale nécessite beaucoup d’investissements, Monsieur Mouthon a souhaité rappeler la nécessité du contrôle des flux étrangers tout en les attirant. A ce titre, le marché américain est de loin plus attractif. Cela tient selon lui autant par les marges bien supérieures aux États-Unis, ce qui incite les start-ups françaises à s’implanter rapidement outre-Atlantique, que par la politique publique en la matière. En effet, il existe un organisme original qui explique l’excellence américaine: la “Barda”. Outre la veille sanitaire, cette autorité publique a pour but d’investir dans certaines start-ups en émettant des promesses d’achat en aval ce qui permet d’éviter les aléas de commercialisation. C’est ainsi que AstraZeneca a pu recevoir 1,2 milliards de dollars afin de développer son vaccin. Ce genre de dispositifs n’existe pas au niveau français ou européen. 

Contrastant avec le début de cette deuxième table ronde, Franck Mouthon a déploré que la France ait manqué un certain nombre de virages comme la délocalisation de la production de dispositifs médicaux et l’éparpillement de la propriété intellectuelle (2000 PME) qui nécessite une véritable réflexion tout comme les lourdes contraintes réglementaires. Le sentiment d’inquiétude s’est poursuivi avec l’intervention de Luca del Monte de l’Agence spatiale européenne.

L’atonie de la filière spatiale européenne

L’industrie spatiale subit de lourdes barrières à l'entrée qui implique,  selon Luca Del Monte, l’absolue nécessité de sauvegarder la technologie en Europe car elle est très dure à développer. Il est en effet selon lui très difficile de convaincre les entrepreneurs de s’y intéresser. L’intervenant note l’augmentation du nombre d’acteurs publics et privés dans le secteur. Concernant le secteur privé, la plupart des acteurs sont des petites sociétés la plupart du temps hormis les gros groupes qui ne sont que des intégrateurs de ces dernières. L’industrie a besoin d'investissement privé au-delà du public pour exister. Or en UE, l’investissement privé est, selon Luca Del Monte, tout simplement inexistant comparé à ce qui se fait outre-Atlantique, alors que cela aurait l'intérêt d'accompagner le secteur qui marche sur des cycles longs. 

La longueur de ces cycles présente selon lui un aspect positif, une visibilité sur 5-6 ans, et un aspect négatif pour les investisseurs, les prix sont figés durant ce cycle. L’intervenant note que la crise a réduit la compétitivité de la filière. Il se félicite néanmoins de la mise en place d’un observatoire pour identifier les fragilités de la filière et intervenir, c'est-à-dire augmenter la maturité de la filière européenne qui est très liée à l' innovation mais pas la production. Il salue la cartographie des entreprises à protéger qui a été faite mais déplore l’absence de système de contrôle des IDE au niveau européen alors même que certains pays au sein même de l’UE les encouragent. Enfin, Luca Del Monte a souhaité soulevé le fait que les États-Unis avaient retiré de la liste ITAR (International Traffic in Arms Regulations) une partie des productions de l’industrie spatiale américaine afin d’en faciliter l’export ce qui pose désormais un problème concurrentiel pour l’industrie européenne. 

Un dernière intervention symbolique des problèmes français

Le dernier intervenant de cette table ronde était Guillaume Adam, Directeur Affaires Européennes et Numérique à la Fédération des industries électriques, électroniques et de communication. Il a présenté le Conseil National de l'Industrie (CNI), un dispositif stratégique français.  Créée en juin 2010, le CNI est une instance consultative placée auprès du Premier ministre. Elle est destinée à “éclairer et conseiller les pouvoirs publics sur la situation de l'industrie et des services à l'industrie en France” et se présente comme un outil de la reconquête industrielle française (sic). Guillaume Adam a donc présenté la filière technologie ainsi que les actions menées en son sein (sécurisation des données, meilleure utilisation des ressources). Il a ensuite insisté sur certains projets en cours comme la revue du contrat stratégique de filière, c'est-à-dire la stratégie du gouvernement en concertation avec les professionnels, puisque le Covid a révélé les manques en la matière. Il a indiqué également le lancement de la “stratégie d'accélération de l’électronique”, le nouveau projet européen en cours de discussion et le lancement d’un programme commun avec la filière auto qui subit une pénurie de puces électroniques (déjà évoquée par M. Célestin-Urbain). 

Cette dernière intervention a bien résumé ces deux tables rondes et le problème français. Le constat est partagé, clair et précis concernant l’importance de la souveraineté technologique. Cependant, au niveau de la mise en pratique, force est de constater que les dispositifs sont peu opérants voire même inexistants. 

 

Pierre-Guive Yazdani

Partie 1: le constat d’une indispensable souveraineté technologique

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