Le golfe de Guinée est un espace clé pour le commerce international et le pétrole mondial. Toutefois, il constitue également l’un des principaux épicentres mondiaux de la piraterie maritime. 34 incidents ont été enregistrés durant le premier trimestre 2020 et 111 actes de piraterie ou de brigandage ont été relevés dans la région en 2019. Pour y diminuer l’insécurité, une alliance régionale a été créée à travers le processus de Yaoundé (2013), puis la Charte de Lomé (2016). Cette alliance ne semble cependant pas encore capable de faire preuve d’une réelle efficacité opérationnelle.
Le golfe de Guinée victime de l’abondance de ses propres ressources
Le golfe de Guinée est un espace maritime qui s’étend de l’Angola au Sénégal, avec un littoral de 6000 km partagé par 17 pays. Ces derniers se divisent entre la communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et de l’Afrique Centrale (CEEAC). Cette région maritime correspond aux 7ème réserves mondiales de pétrole et aux 9ème réserves mondiales de gaz. Elle est donc stratégique pour les compagnies pétrolières étrangères telles que Total, ExxonMobil, Schell ou ChevronTexaco, qui y ont implanté une multitude de plateformes offshores.
Toutefois, à cause de la corruption et de l'instabilité systémique de la région, les populations ne profitent pas de cette manne et des groupes rebelles ont émergé. Le Delta du Niger est au cœur de cette criminalité maritime qui s’est étendue à l’ensemble du golfe. Les attaques sont à la fois le résultat de motivations pécuniaires, mais aussi politiques, menées par des gangs organisés. En 2007, le Mouvement pour la Libération du Delta du Niger (MEND) déclare la guerre aux compagnies pétrolières, accusées de participer à la précarisation des communautés. Les pirates visent donc prioritairement les plateformes offshores, les tankers, les ravitailleurs et les navires devant faire du transbordement de pétrole. Les types de violence sont très diversifiés, tels que l’enlèvement des équipages, le détournement des navires, le vol ou le soutage des cargaisons d’hydrocarbures. En 2019, plus de 90% des enlèvements maritimes ont eu lieu dans le golfe de Guinée. Le Bureau International Maritime a recensé 121 enlèvements d’équipages, contre 78 en 2018.
Une réglementation juridique divergente entre le golfe de Guinée et le golfe d’Aden qui pénalise la capacité de répression internationale
Les actes de piraterie au sens strict du terme sont des attaques qui se déroulent dans les eaux internationales. Au sein du golfe de Guinée en 2019, plus de la moitié des violences sont des actes de brigandages ou de vols à main armée qui ont lieu dans les eaux territoriales, en deçà de 12 milles marins des côtes. Dans cet espace, les États côtiers sont donc souverains ce qui entraîne une responsabilité juridique entière sur la gestion du brigandage maritime. Cependant, les États restent soumis au droit international. L’article 5 du protocole additionnel (2005) de la Convention pour la répression d’actes illicites contre la sécurité et la navigation maritime a créé une obligation de répression dans les eaux territoriales des pays concernés. La transposition dans le droit interne reste lacunaire pour plusieurs pays du golfe de Guinée telle que la Côte d’Ivoire ou le Nigéria. Il en résulte une souplesse réglementaire qui limite la pénalisation des actes criminels, et facilite donc sa propagation.
Les dispositions juridiques sont bien différentes dans le golfe d’Aden. En vertu de la résolution 1816 adoptée le 2 juin 2008, la communauté internationale est autorisée à réprimer la piraterie au sein des eaux territoriales de la Somalie. Cette répression doit être conforme aux règles du droit international applicables en haute mer. En effet, le caractère failli de l’État somalien a permis aux puissances étrangères de mettre en place des opérations internationales. Par exemple, l’opération militaire « EUNAFAVOR Somalie – Opération Atalanta » a été déployée par l’Union européenne dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Par ses intérêts géostratégiques dans la région, la France s’est investie dans la mise en place de cette opération. Ainsi, l’exception juridique qui s’est instaurée dans le golfe d’Aden, a contribué à la chute des actes de piraterie à partir de 2013. Le golfe d’Aden était en 2011 le principal lieu de la piraterie mondiale. On constate aujourd’hui un retour vers un espace maritime sécurisé. En 2019 par exemple, seul un acte de piraterie a été recensé autour des côtes de la Somalie.
Dans le golfe de Guinée, des opérations internationales d’une telle envergure ne sont pas envisageables, car elles pourraient constituer une ingérence des anciennes puissances coloniales aux yeux des Etats côtiers. Ainsi, les puissances locales ont choisi d’affirmer leur souveraineté dans le processus de sécurisation de leur espace maritime. De ce fait, l’ensemble des coopérations militaires s’inscrivent dans le respect de l’architecture de Yaoundé, élaborée en 2013.
Le processus de Yaoundé : une architecture interrégionale ambitieuse à l’efficacité opérationnelle limitée
Le sommet de Yaoundé, soutenu par les Nations-Unies, s’est déroulé en juin 2013. Il a inauguré les prémices d’une architecture de coopération interrégionale pour prévenir et réprimer les actes illicites au sein du golfe de Guinée. Ainsi, les dirigeants de la CEDEAO, la CEEAC et la Commission du Golfe de Guinée (CGG) ont adopté conjointement trois instruments : la déclaration des chefs d’État qui s’engagent à renforcer leur mobilisation, un code de conduite pour la lutte contre l’insécurité maritime et un mémorandum d’entente entre les trois entités régionales. Ce processus s’est notamment accompagné de la création d’un centre interrégional de coordination (CIC). Celui-ci se positionne comme un outil clé facilitant « la coordination, la coopération, l’interopérabilité et la mutualisation ». Par cette initiative, les pays du golfe de Guinée s’approprient les enjeux locaux de la sécurité maritime, et montrent leur attachement à la recherche de « solutions africaines aux problèmes africains ». En complément, il a été signé en 2016 à l’initiative de l’Union Africaine, la charte de Lomé sur la « sûreté, la sécurité maritime et le développement » par plus d’une trentaine d’états africains. Cette charte a pour ambition de rassembler l’ensemble de l’Afrique autour d’engagements contraignants pour promouvoir « l’économie bleue » mais aussi lutter contre, la piraterie et la pêche illégale.
Paradoxalement, les actes de brigandage et de piraterie maritime se sont intensifiés ces dernières années, démontrant les limites du système Yaoundé. Malgré cette nouvelle entente, les motifs de division demeurent entre les États membres, empêchant la mise en place d’opérations efficaces et coordonnées. D’une part, la compétition institutionnelle entre la CEDEAO et la CEEAC entraîne une duplication inefficace des efforts. Elle est accompagnée d’une rivalité de leadership entre les présidents et plus particulièrement à l’encontre du Nigéria, perçue comme le noyau du problème par ses partenaires. D’autre part, les tensions qui persistent au sujet des frontières maritimes rendent difficile une coopération totale entre les États du golfe de Guinée. Depuis 1972, le Gabon et la Guinée équatoriale ont un conflit frontalier maritime dans la baie de Corisco. Ce n’est qu’en mars 2020 que ces deux pays se sont mis d’accord pour régler leur différend devant de la Cour Internationale de Justice.
Sur le long terme, la survie de l’architecture de Yaoundé est incertaine du fait de l’absence d’un mécanisme pérenne de financement. Pour y remédier, des pays étrangers tels que le Japon, la Chine ou le Royaume-Uni participent à ce financement par le biais de l’Organisation Maritime Internationale, ce qui remet en cause la réelle autonomie des puissances locales. Enfin, les textes signés lors du Sommet ne font pas mention des causes structurelles de l’insécurité maritime telles que la mauvaise gouvernance, la pauvreté ou le sous-développement. Par cet « oubli », les dirigeants participent à la perpétuation de ce système défaillant.
Le déficit sécuritaire des États de la région rend indispensable la privatisation de la sécurité des navires
Dans ce contexte, la coopération interrégionale en matière de sûreté maritime semble être plus un prétexte qu’une réelle volonté d’élaborer un système fonctionnel et durable. À l’image du golfe d’Aden, le processus de Yaoundé ne se substitue pas aux opérations militaires étrangères, qui restent nécessaires pour assurer la sécurité du trafic maritime. Par exemple, la France est présente de manière permanente par le déploiement de la mission navale Corymbe depuis mai 1990.
De même, le recours aux entreprises de sécurité privées constitue actuellement une solution partielle pour pallier à l’insuffisance sécuritaire des États régionaux. Au sein du golfe de Guinée, pour qu’une société militaire privée puisse se déployer, elle doit nécessairement collaborer avec les forces de sécurité nationales. Des navires marchands bénéficient alors de la présence de gardes armés de la nationalité de l’État côtier. De ce fait, les armateurs et les opérateurs maritimes français ont suggéré, lors du sommet de Lomé, de faciliter l’intervention de ces entreprises. Ils préconisent l’autorisation et l’accréditation « des entreprises de sûreté privées, y compris armées dans les ZEE, pour protéger les navires et les équipages ». En parallèle des moyens de protection militaires, des procédures de sécurité en matière de gestion de crise ou de reporting sont recommandées. La protection physique des navires doit être une priorité telle que l’installation de citadelle permettant de mettre les membres de l’équipage à l’abri en cas de kidnapping. De même, l’utilisation de peintures glissantes, canon à eau, fils barbelés, mais aussi vidéosurveillances, alarmes et capteurs de mouvements, sont des dispositions pratiques qui empêchent l’abordage d’un navire.
Ainsi, l’architecture de Yaoundé apparaît, en surface, comme un modèle idéal de gouvernance permettant de lutter contre l’insécurité maritime dans les eaux du golfe de Guinée. Cependant, la situation actuelle semble s’éloigner des ambitions premières de cette coopération. Malgré la volonté de souveraineté des puissances locales en matière de sûreté maritime, un appui de la communauté internationale reste toujours indispensable. Sans une nécessaire résolution des tensions interétatiques régionales, une efficacité opérationnelle semble constituer une illusion institutionnelle plus qu’une réalité de terrain.
Elina Melloul pour le club sûreté de l’AEGE
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