Les risques liés à l’accès à l’eau en Asie centrale

L’accès à l’eau a été reconnu comme un enjeu stratégique majeur du XXIe siècle. Ayant déjà été victime de l’assèchement de la mer d’Aral, l’Asie centrale se présente aujourd’hui comme une zone stratégique exposée aux risques hydriques qui menacent sa population.

L’Asie centrale regroupe le territoire de 5 États indépendants depuis la chute de l'URSS, à savoir, le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan, le Turkménistan et l'Ouzbékistan. Elle se compose principalement de steppes, de déserts et de montagnes, abreuvée en eau par les fleuves Amou-Daria et Syr-Daria, ainsi que par les glaciers du Tian-Shan et du Pamir.

Sujette à des tensions diverses en raison de sa proximité avec la région ouïgoure et l’Afghanistan voisins, l’Asie centrale est aussi en première ligne des risques liés à l’accès à l’eau, menaçant de créer de potentiels conflits à l’avenir. En effet, la région est déjà témoin de la plus grande catastrophe écologique d'origine humaine, l’assèchement de la mer d’Aral. Par ailleurs, des affrontements causés par la problématique d’accès à l’eau entre les pays de la région ont déjà vu le jour. Dans un contexte de tension entre une ressource indispensable pour la survie de la population et une croissance démographique significative, l’Asie centrale se confronte à 3 risques majeurs liés à l’eau: le risque écologique, le risque de sécheresse et le risque de conflit.

 

Risque écologique

L’assèchement progressif de la mer d’Aral a éradiqué tout un écosystème à cause d'une gestion irraisonnée de l'irrigation du coton. Il a aussi tué l'industrie de pêche de la zone et des décennies d'utilisation de pesticides ont rendu son sol toxique. Le désastre écologique a complètement désertifié la région aujourd’hui connue sous le nom d’« Aralkoum » ou le désert d’Aral. Ses tempêtes de sels toxiques  disséminent des particules dans les pays voisins et la population locale souffre de troubles respiratoires, notamment les plus jeunes. La désertification de l’espace habitable autour de l'Aral accentue les tensions auprès des populations, les forçant à se relocaliser. 

Avec l'aide d'organisations internationales, le Kazakhstan et l'Ouzbékistan ont tenté de stabiliser la situation à travers un plan de barrage pour raviver le nord de la mer, et la plantation massive d’arbres dans le sud pour fertiliser son sol et calmer les tempêtes de sel. Ses projets ambitieux devraient permettre d'atténuer la propagation de la désertification et de l'intoxication de la population.

Cependant, la fonte des glaciers renforce elle aussi davantage le risque écologique en menaçant les écosystèmes naturels et leurs habitats. Le risque de disparition de centaines de plantes et d'animaux de la région est particulièrement élevé au Kirghizstan, qui  accueille 1% de la biodiversité terrestre et dont 90% de son eau provient de ses glaciers. En 30 ans, une cinquantaine d'espèces animales et une dizaine d'espèces végétales ont disparu de la région centrasiatique. 

 

Risque de sécheresses

Le changement climatique est aussi un facteur majeur quant à l’accès à l’eau en Asie centrale. La sécheresse est en mesure d'avoir des conséquences dévastatrices, comme à l’été 2021 au Kazakhstan, pendant lequel des villageois ont vu leurs récoltes mourir et leur bétail souffrir de déshydratation. On compte plus de  2000 animaux de ferme retrouvés morts pendant cette période. La situation a créé un lourd précédent, donnant lieu à un état d'urgence dans le pays. Le Kazakhstan a en conséquence exigé l'arrêt de ses exportations de bétail et un besoin de soutien hydraulique de la part de ses voisins méridionaux.

Si l’élevage et l’agriculture sont fortement impactés par la situation, la population locale se retrouve elle aussi menacée de pénuries: la sécheresse peut menacer la région en réduisant son accès à l’eau potable, une ressource indispensable à la survie de sa population en plein boom démographique. L'aggravation de ces phénomènes dû au changement climatique présente donc un risque colossal pour l'Asie centrale. 

 

Risque de conflit

Le dernier risque est enfin celui des conflits armés. Si l’assèchement de l’Aral n’a pas eu de conséquences conflictuelles directes, la raréfaction de l’eau a suscité des turbulences autour des fleuves de l’Amou-Daria et de la Syr-Daria depuis le projet de création du lac artificiel de  « l’Âge d’or » au Turkménistan. Ce projet attise les tensions avec l’Ouzbékistan voisin: fort d'une population de 35 millions d'habitants et principal exportateur de produits agricoles de la région, il voit son apport en eau menacé. Ces tensions seraient susceptibles de déborder si Tachkent se voyait en situation de pénurie d'eau à cause de la gourmandise du lac turkmène.

Enfin, rappelons que les réseaux et infrastructures hydrauliques étaient conçues à l'échelle soviétique. Lors des indépendances, des barrages d'une république se sont retrouvés à alimenter en eau une autre devenue étrangère. C'est le cas de celui de Talas au Kirghizstan qui alimente le Kazakhstan via le réservoir de Kirov. Dans le cadre d'une situation similaire, le contrôle d’une centrale hydraulique a fait naître un conflit armé entre le Kirghizstan et le Tadjikistan en mai 2021 dans la région de Batken, causant des dizaines de morts en pleine période de sécheresse ravageuse.  L’appartenance de ces pays à l’OTSC n'a pas empêché les clashs armés, prouvant que l'accès à l'eau risque de déstabiliser l'équilibre sécuritaire centrasiatique.

Avec une raréfaction de l'eau de plus en plus croissante dans la région, les risques d'affrontements se renforcent donc entre les pays d'Asie centrale, créant la nécessité d'une stratégie de gestion hydraulique commune.

 

Une situation incertaine

En définitive, beaucoup d’initiatives sont entrées en vigueur pour répondre aux problèmes liés à l’eau et à son utilisation en Asie centrale. Le Kazakhstan et l’Ouzbékistan en ont été les pionniers en Aral. Cependant, le changement climatique et la raréfaction de l’eau ont causé des pénuries de grande ampleur, et les décisions politiques peuvent être à l’origine de situations conflictuelles entre les États de la région. Si l’Asie centrale vise à se consolider, l’instabilité liée à l’eau risque toutefois d’exacerber les divisions entre les républiques. De tels désaccords auraient des conséquences significatives pour la Russie, qui garantit la sécurité de cette région de sa zone d’influence, ainsi que pour la Chine dont le projet de la nouvelle route de la soie passe par les États d’Asie centrale. Les affrontements liés à l’eau contribuent à l’instabilité d’une région déjà en proie à de nombreux conflits, comme ce fut le cas au Tadjikistan ou encore aujourd’hui en Afghanistan. 

Karl Haddad pour le Club Risques AEGE

 

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