Dans le cadre du portrait du mois de mai de sa newsletter « Mag’OSINT », le club OSINT & Veille donne la parole à des experts de l’Intelligence économique afin de découvrir leur parcours, leur rapport au renseignement d’origine sources ouvertes (OSINT), leur vision du métier et leur avenir professionnel. Pour évoquer ces sujets, nous avons rencontré Margaux DUQUESNE, ancienne journaliste, devenue détective privée et directrice de l’agence Millenium Investigations.
Club OSINT et Veille (COV) : Bonjour Margaux, pouvez-vous vous présenter et raconter votre parcours à nos lecteurs ?
Margaux DUQUESNE (MD) : J’ai obtenu une licence de droit à l’Université Lyon III mais j’ai été un peu déçue lorsque j’ai réalisé que « la vérité juridique », celle qui sortait des tribunaux, était parfois loin de la vérité réelle. J’ai donc rapidement fait un pas de côté et poursuivi dans le journalisme. Dès 2011, j’ai eu la chance de découvrir les problématiques liées à l’intelligence économique, en travaillant aux côtés d’Ali Laïdi pour son émission diffusée sur France 24. Grâce à cette expérience, je me suis spécialisée dans les thèmes de l’intelligence économique, des nouvelles technologies et du renseignement. J’ai travaillé par la suite pour un groupe de presse informatique, PC Presse. En 2014, en rentrant à France Inter, j’ai eu l’opportunité de faire une chronique sur ces thématiques dans l’émission d’investigation Secret d’Info de Matthieu Aron. En 2018, j’ai quitté le monde des médias pour faire une formation d’Agent de Recherches Privées, qui m’a permis d’ouvrir mon agence de détective privé en novembre 2020, Millenium Investigations.
COV : Auparavant vous étiez journaliste, qu’est-ce qui vous a donné envie de changer de métier ?
MD : Déjà dans le journalisme, je trouvais que le travail d’investigation était très différent. J’aimais la difficulté (toutes les barrières humaines, techniques, les non-dits) que l’enquête imposait et le fait qu’on ne savait jamais ce qu’on allait trouver. Quand on fait un reportage, on sait à peu près ce qu’on veut dire, tandis que lorsqu’on commence une enquête, on tire un fil mais la conclusion est encore inconnue. Je voulais mener des enquêtes, et uniquement cela, mais les possibilités dans les médias étaient réduites. J’avais également envie de redevenir indépendante pour plus de flexibilité dans mon quotidien. Je cherchais enfin un travail qui ne soit pas constamment dans un bureau, derrière un ordinateur. Détective privé m’est apparu comme le seul métier qui réunissait tous ces critères et me permettait d’utiliser mon savoir-faire pour aider des personnes.
COV : Qu’est-ce qui vous a poussé à fonder votre propre agence de renseignement privé ?
MD : On découvre rapidement à l’école de détective (l’ESARP, pour ma part), qu’il n’y a que très peu d’agences de détective privé qui engagent des salariés. C’est un métier d’indépendants, qui travaillent les uns avec les autres, sur des missions différentes. Un jour, une agence a besoin d’un motard, un autre jour, elle a besoin d’un couple homme-femme, un autre, elle a besoin de quatre agents… Je collabore avec beaucoup d’agences, aux profils très différents et sur des affaires diverses. Être indépendant, ce n’est pas forcément être seul dans son coin, surtout dans ce métier ! Je travaille rarement seule.
COV : Vous avez récemment produit la série de podcasts "Détective Privée", qui met en lumière un métier de l'ombre. Qu’est-ce que vous avez souhaité mettre en valeur et communiquer à travers ce podcast ?
MD : Ce que j’ai retenu de mes années en tant que journaliste, c’est qu’il faut qu’un papier sonne vrai. Le podcast visait cette authenticité. Pendant six mois, j’ai réfléchi à tous les thèmes que je voulais aborder. J’avais envie de démystifier le métier parce que je trouve que la réalité est mille fois plus intéressante que les idées reçues. Là, je suis arrivée au bout de tous les thèmes que je voulais aborder qui étaient importants selon moi pour connaître le métier dans sa globalité.
Une page se tourne mais je vais essayer d’approfondir certains sujets dans un nouveau format. Cette fois, j’ai envie de reprendre ma casquette de journaliste et de tendre le micro à des professionnels de l’enquête. Tout seul, on s’ennuie vite. La saison 2 se prépare et sera l’occasion de rencontres, avec des épisodes plus longs, moins fréquents, mais aussi moins en surface. Il y aura de l’OSINT, c’est certain et plein de spécialités peu connues.
COV : Pouvez-vous nous parler de votre rapport aux sources ouvertes (OSINT) et la veille dans vos missions au quotidien. Quels sont les outils et sources indispensables dans votre domaine d’activité ?
MD : L’OSINT, c’est un réflexe. Pour mes enquêtes, je passe tout ce que j’ai « à la moulinette » Google. C’est une manière d’obtenir, de la manière la plus rapide et efficace possible, des renseignements. Parmi les sites que j’utilise beaucoup, il y a le fichier des décès de l’Insee. Quand je recherche des informations sur une personne, je commence toujours par vérifier si elle n’est pas décédée. Cela peut énormément aider pour retrouver des dates et des lieux de naissance ou de décès. Très utile ! Ensuite, pour les entreprises, j'utilise le site CreditSafe. C'est sur abonnement donc ce n’est pas vraiment de l’OSINT, mais je complète toujours avec Pappers qui est je trouve plus facile pour obtenir des documents d’entreprises. Le passage obligé pour ouvrir une société, c’est de faire une publicité dans le Bodacc, avec le plus souvent, l’adresse du domicile du dirigeant…
Sinon, les réseaux sociaux permettent toujours de faire de grandes choses : retrouver des témoins, établir des liens entre les personnes, mettre des visages sur des noms, sonder le niveau de vie, voir qui commente les posts… Souvent, j’enquête sur des gens de la génération qui utilisent encore Facebook. Les groupes liés à des lieux peuvent aider à retrouver des gens qui ont connu telle personne, à telle époque… Copains d’Avant est pas mal aussi dans son genre un peu old school ! Après, ce sont plutôt les techniques de recherche sur Google qui me sont utiles au quotidien.
COV : A l’occasion du Forum International de la Cybersécurité (FIC), vous animerez le 7 juin prochain, un atelier intitulé : « Retrouver des personnes disparues ». Quelle part de renseignement d'origine humaine (ROHUM/HUMINT) réservez-vous dans vos enquêtes ?
MD : À un moment, on peut être très bon en OSINT mais lorsque vous enquêtez sur des évènements qui se sont produits avant l’apparition d’Internet, il n’y a que les souvenirs des gens qui peuvent vous apporter des réponses. L’OSINT nous aide à les trouver, à savoir où fouiller, mais aller au contact permet parfois de débloquer des situations extrêmement verrouillées. Dans les disparitions encore plus, car tout le monde a envie de vous aider ! Sauf le cas où la personne disparue est un escroc notoire ou un criminel, si vous dites que vous cherchez une personne qui a disparu et que la famille est très inquiète, les gens font tout leur possible pour vous aider. C’est plus fort que nous : l’humain aime se rendre utile. L’enquête de voisinage m’a parfois permis de savoir que je ne cherchais pas la personne dans le bon pays… Le renseignement humain permet de laisser de côté un fil qui ne mène à rien ou à l’inverse nous confirme qu’on est sur une bonne piste.
COV : Pour conclure, quel regard portez-vous sur l’avenir de votre profession ? Que suggéreriez-vous à quiconque voudrait poursuivre une carrière dans ce domaine aujourd'hui ?
MD : Je ne sais pas ce qu’il va advenir de cette profession, mais je regrette que nous n’ayons pas suffisamment de droit d’accès à des informations, alors même que nous sommes aujourd’hui diplômés, contrôlés, etc. En contrepartie de montrer patte blanche, j’osais espérer qu’on puisse avoir accès à des fichiers tels que le registre des plaques d’immatriculations, ou encore les actes de naissance avec filiation, or ce n’est pas le cas contrairement aux assureurs pour les plaques ou aux généalogistes pour les actes d’état civil.
Je regrette aussi que si peu d’avocats et autres professionnels du monde juridique, connaissent notre travail. J’aimerais qu’il y ait plus de passerelles entre les pouvoirs publics et privés, il y aurait plein de possibilités à imaginer. Dernièrement, on a parlé de l’ouverture d’un pôle d’affaires non résolues : pourquoi ne pas inviter quelques détectives à l’épauler? Après, je ne pense pas que le métier délaissera le terrain au profit de recherches uniquement sur Internet. On aura toujours besoin d’agents sur le terrain pour constater, faire des photographies – qui sont des preuves admissibles -, effectuer des filatures ou faire parler les voisins. C’est indispensable et les nouvelles technologies, aussi évoluées qu’elles soient dans le futur, n’y changeront rien. Les plus gros secrets ne sont pas sur Internet.
Propos recueillis par Steven Deffous pour le Club OSINT & Veille
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