[JdR] Spécificités culturelles et implantation des entreprises à l’étranger : risques financiers et réputationnels

Aujourd’hui, lorsque l’on parle de risques pour les entreprises, la tendance principale est de penser aux risques liés à la cybersécurité. Pire, lorsque l’on évoque le risque culturel, on inclut bien souvent uniquement le management interculturel. Il s’agit ici d’apporter un éclairage sur la notion de risque lié aux facteurs culturels pour une entreprise. Dans un monde où l’empreinte géographique des entreprises ne cesse de s’étendre, il est intéressant de se pencher sur ce risque car sa non prise en compte peut avoir de véritables impacts financiers et réputationnels pour une entreprise.

Par facteur culturel, nous entendons une spécificité propre à un pays, que l’on ne retrouve pas ailleurs (ou dans sa zone géographique proche). Par exemple, lorsqu’une grande marque de prêt-à-porter, de maquillage ou d’alimentation cherche à s’implanter hors de son marché domestique ou proche culturellement, il lui est nécessaire d’apporter une attention particulière aux spécificités culturelles de la zone d’implantation. Il s’agit donc ici de démontrer l’importance de la gestion des risques interculturels dans le développement et la sécurisation de l’activité d’une entreprise. À défaut de mettre en place ce genre de pratique, une entreprise s’expose à des risques financiers et réputationnels majeurs. Les quatre cas développés ci-dessous servent d’exemples de risques culturels ayant été mal appréciés.

 

Valentino au Japon et le obi piétiné

En avril 2021 Valentino, marque de prêt-à-porter de luxe, sort sa nouvelle campagne de publicité à destination du Japon. On peut y voir des mannequins marcher en chaussures sur des obi. Cela ne choquera peut-être personne de prime abord, mais le obi est une ceinture longue de près de 3 à 4 mètres qui fait partie du kimono, tenue traditionnelle très ancrée dans la culture nippone. Le bad buzz n’a pas manqué, puisque cela revenait à fouler du pied l’histoire et les valeurs du pays. Autre élément, la chaussure est un objet « sale » au Japon. Lorsque l’on rentre dans une maison ou même à l’école, il convient de se déchausser et de mettre des chaussons. Cette polémique a obligé la marque à s’excuser publiquement et a causé d’importants dommages réputationnels puisque l’information a été relayée dans les médias du monde entier.

 

KitKat en Inde, déchirer et jeter les dieux à la poubelle

En janvier 2022, c’est KitKat qui fait les frais d’une mauvaise prise en compte du facteur culturel lié à la culture hindoue. Un emballage spécial avait été créé à destination du public indien pour « célébrer la culture indienne », représentant des déités hindous. S’est posé un problème puisque, pour ouvrir le paquet de KitKat, il fallait d’abord déchirer l’image du dieu avant de le jeter à la poubelle, comble de l’irrespect. L’entreprise a dû présenter ses excuses publiquement.

 

Starbucks en Australie, échec de l'implantation de ses enseignes et pertes financières

Là où nous avons vu des impacts réputationnels forts dans les deux derniers exemples,  il s’agit ici d’étudier l’impact financier à travers le cas de Starbucks en Australie. En 2008, Starbucks ferme 61 établissements dans le pays et chiffre une perte à 105 millions de dollars sur 7 ans. En cause, l’exigence en matière de café des Australiens, une gamme de produits inadaptés à leur goût (trop sucré), un prix trop élevé (supérieur aux commerces de proximité pour une qualité moindre), une palette de café insuffisante face à l’exhaustivité de la production australienne, et une mauvaise identification du consommateur (le café se consomme en se déplaçant plutôt que sur place).

Par un phénomène d'acculturation, cette culture si présente du café ramenée d'Italie est aujourd'hui ancrée en Australie. On trouve plus de 20 000 coffee shops dans le pays, les Australiens étant les plus grands consommateurs de café (2 kg par an et par personne).

Ce manque de prise en compte de la culture liée au café en Australie a conduit à l’échec de Starbucks et à de véritables pertes financières. Aujourd’hui, la chaîne dispose de 39 magasins en Australie, tournés vers une clientèle de touristes, issus de pays dans lesquels Starbucks est populaire.

 

Mattel en Chine, le flop du Barbie Store et la prise en compte du facteur culturel

L’exemple de Mattel en Chine permet d’abord de voir les conséquences financières d’une mauvaise gestion du risque interculturel. En 2009, Mattel ouvre son Barbie Store flambant neuf à Shanghai, avec spa, boutiques, cafés… En 2011, le Barbie Store doit fermer, faute de revenu. L’échec du Barbie Store vient de la mauvaise évaluation des attentes du consommateur chinois. Avec des poupées Barbie qui correspondaient à l’esthétique occidentale, vêtue de tenues échancrées et sexy, le consommateur chinois n’a pas été séduit.

L’affaire aurait pu s’arrêter là mais Mattel est de retour sur le marché chinois en 2013, cette fois-ci en ayant fait au préalable une étude des attentes des consommateurs. La poupée Barbie qui est alors vendue est violoniste, un exemple de réussite et de travail, spécificité importante pour les parents chinois qui éduquent leurs enfants dans le culte de la réussite.

 

Gestion des risques culturels et « intelligence culturelle »

Face à l’expansion des entreprises sur les marchés mondiaux, il est donc nécessaire d’inclure une approche multiculturaliste dans la définition des risques. Déjà en 2015, un rapport de la délégation interministérielle à l’intelligence économique notait qu’ « à l’international, l’incompétence interculturelle est un facteur de crise majeur alors qu’à l’inverse, la connaissance de la culture du pays partenaire est une prévention efficace ». Il s’agit donc là d’un enjeu stratégique majeur qui, s’il n’est pas pris en compte, peut mener à des déconvenues pourtant prévisibles et évitables.

En définitive, faire preuve d’une gestion des risques interculturels c’est faire preuve d’intelligence culturelle. L’intelligence culturelle, c’est voir la dimension stratégique de la prise en compte du facteur culturel. C’est en fait la capacité à décrypter les particularités de l’autre, les comprendre et les assimiler afin de proposer un produit en adéquation avec le pays dans lequel on cherche à faire du business.

Dans le contexte de la mondialisation, les entreprises ne peuvent pas se reposer uniquement sur leur marché domestique ou proche et doivent être capables de s’exporter en répondant aux attentes d’un consommateur étranger.

 

Tiphaine Dieudonné pour le Club Risques de l’AEGE

 

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