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Comment la technologie rebat-elle les cartes de la compétition mondiale ?

Le 20 mars 2022, Microsoft annonçait avoir réalisé une avancée majeure en matière de quantique, faisant un pas de plus vers la mise au point d’un supercalculateur qui laisse entrevoir des possibilités d’une ampleur inégalée. Les nouvelles technologies s’affirment comme un levier de puissance incontournable et font émerger un nouveau paradigme. Plus que jamais, l’analyse des rapports de force nécessite d’adopter le prisme des nouvelles technologies, car elles rebattent les cartes de la compétition mondiale, avec plusieurs conséquences : les indicateurs traditionnels de puissance (poids démographique, taille de l’économie) cèdent le pas face à la capacité à innover. Miniaturisation, quantique, intelligence artificielle, sont autant d’éléments de puissance qui seront le socle de toute hégémonie dans les décennies qui s’ouvrent.

L'égalisation des rapports de force par la technologie 

L'arme atomique permet au faible de tutoyer le puissant. Parce qu'elle donne un potentiel de destruction démesuré à ses détenteurs, ces derniers se voient placés sur un même piédestal. Dans ce nouveau schéma, exposé par le général Pierre Gallois, père de la dissuasion nucléaire française, dans son ouvrage Stratégie de l'âge nucléaire (1960), la taille ne compte pas autant que l’arme employée. Si le 20ᵉ siècle fut celui de l'égalisation par l'atome, les nouvelles technologies pourraient se voir jouer un rôle semblable dans la sphère économique et scientifique, mais aussi militaire au 21ᵉ.

Elles induisent en effet une nouveauté fondamentale dans l'évaluation des rapports de force. Elles brouillent les hiérarchies en donnant l'avantage non plus au volume des moyens engagés, mais au degré d'innovation. Si le poids des budgets dédiés à la recherche est déterminant dans l’accouchement des nouveautés technologiques, il serait profondément réducteur de ne pas prendre en compte des facteurs plus subtils et non quantifiables, qui relèvent de la psychologie humaine : créativité, sens de l’initiative, esprit de compétition. Aussi constate-t-on que si le budget en recherche et développement d'Israël s’élève à 13,5 milliards de dollars, soit moins d’un dixième de celui des États-Unis, cela n’empêche pas l’État hébreux d’être à la pointe des technologies civiles comme militaires dans de nombreux domaines : sécurité, santé, fintechs pour ne citer qu’eux. Il faut mentionner également Taïwan, qui parvient à s’attribuer une place géopolitique importante en dépit de son poids économique et démographique limité. Cela est rendu possible grâce à sa maîtrise de la conception des semi-conducteurs, fruit d’une stratégie d’investissement et de recherches ciblés. Dans ces cas comme dans bien d’autres, la question de l’innovation permet de compenser des faiblesses qui seraient autrement lourdement incapacitantes pour peser dans le jeu mondial.

Il est à noter que cette observation s'inscrit dans une continuité historique, au sens où le progrès technique a toujours généré un avantage décisif pour les acteurs qui se l'approprient. Les techniques de navigation avancée ont ainsi permis aux Pays-Bas de s'accaparer le commerce mondiale au 17ᵉ siècle, et de se forger un Empire en totale démesure avec la taille et le poids démographique de la métropole. Les exemples pourraient se multiplier. L'irruption des nouvelles technologies modernes crée donc un bouleversement qui diffère par son degré plutôt que par sa nature. Toujours est-il que des innovations comme l'intelligence artificielle ont le potentiel d'impacter si profondément tous les attributs traditionnels de la puissance (économique, militaire, politique) que tout retard pris dans ce domaine pourrait s'avérer irrattrapable. 

 

Des technologies-clefs en matière de puissance au 21ᵉ siècle

Dans ce contexte, on comprend aisément que les rapports de force internationaux tendent à se structurer, de plus en plus, autour de la maîtrise de certaines technologies et procédés. 

Citons d’abord la miniaturisation, symbole paradoxal d’un monde contemporain où la puissance dépend de la capacité à produire de l’infiniment petit. Enclenchée par l’apparition du circuit-intégré, la course à la miniaturisation fut consacrée au 20ᵉ siècle, qui a vu se succéder des innovations tels que le transistor (1947), le micro-ordinateur (1973) ou encore le compact-disque (1982). Ce mouvement est porté à son paroxysme avec les puces électroniques d’aujourd’hui, dont les plus petites ne mesurent plus guère que quelques nanomètres. Pourquoi une telle frénésie dans la quête du microscopique ? Là n’est pas qu’une question de commodité : l’enjeu est de faciliter la portabilité, mais aussi de diminuer les prix et la consommation de matières premières et d’énergie. Les applications sont multiples et stratégiques, allant de la téléphonie aux réacteurs nucléaires. L’intérêt est vital pour les industries, comme en témoigne les tensions autour de la question de Taïwan, pays producteur majeur de semi-conducteurs, composants indispensables à la miniaturisation…

Ensuite, la technologie quantique, permise d’ailleurs par la miniaturisation, sera probablement le cœur de la compétition mondiale des décennies qui s’ouvrent. Appliquée à la sphère informatique, elle accroît de façon exponentielle la puissance de calcul des ordinateurs. Les possibilités qui se dessinent sont immenses : en permettant la résolution de problèmes mathématiques éminemment complexes en une fraction de seconde, l’ordinateur quantique est appelé à révolutionner tous les domaines, que ce soit en matière de recherche ou d’industrie. Une étude de 2021 sur le sujet estime que le quantique pourrait représenter un marché de 300 à 700 milliards de dollars dans les quatre domaines clefs que sont la finance, l’automobile, la chimie et l’industrie médicale. Force est de constater qu’un véritable affrontement prend déjà forme sous nos yeux et qu’un choc bipolaire s’annonce pour l’hégémonie sur le quantique : en témoignent les investissements massifs de la Chine et des États-Unis.

Enfin, l’intelligence artificielle, qui devrait immanquablement être transformée de fond en comble par l’avancée du quantique, porte en elle des changements radicaux. Cet ensemble de technologies, qui vise à reproduire les capacités cognitives de l’homme, est le principal moteur de ce que certains qualifient de quatrième révolution industrielle, et constitue l’un des principaux leviers de croissance économique et de progrès scientifique à moyen terme. La principale révolution qu’elle amène réside dans l’utilisation d’algorithmes auto-apprenants, qui se réforment et s’améliorent sans cesse et de façon autonome au fur et à mesure qu’ils traitent de nouvelles données. Les cas d’usage sont nombreux et déjà largement exploités par nombre d’entreprises. Ici encore, on assiste à une course au développement de l’intelligence artificielle, enjeu de puissance majeur de notre siècle.

Ces trois éléments, reliés les uns aux autres, ne sont que des exemples, incontournables il est vrai, de technologies appelées à devenir le centre de gravité d’une compétition mondiale déjà largement engagée. Leurs champs d’application colossaux ne manqueront pas de bouleverser nos sociétés mais aussi les liens de domination à l’échelle globale. Dans ce contexte où l’innovation est le nerf de la guerre, il convient de renouveler ses grilles de lecture et d’adopter un nouveau paradigme permettant de visualiser les rapports de force à l’aune de ces nouvelles technologies.

 

Alexandre Jeandat pour le Club Data Intelligence de l’AEGE

 

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