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Le soldat français : un outil pour la guerre de l’information

De Wagner à Black Panther 2 en passant par d’autres opérations de déstabilisation, l’armée française est la cible d’une véritable guerre de l’information. Peu à peu, la France se réveille face à ces nouveaux enjeux. Entre bilan et perspectives, sommes-nous armés ?

Black Panther 2 ou l’attaque informationnelle dirigée contre le soldat français

Le 12 février dernier, le ministre des Armées françaises, Sébastien Lecornu, a vivement réagi sur Twitter en dénonçant une séquence du film Black Panther 2 produit par Marvel. Il « condamne fermement cette représentation mensongère et trompeuse de nos forces armées » qui intervient dans un contexte de guerre de l’information continue depuis plusieurs années, portant atteinte à la figure des soldats français et de l’action de la France en Afrique.

Reprenant ouvertement les arguments de propagande du groupe Wagner, cette séquence s’attarde et cible spécifiquement l’action de Barkhane dans la région. En effet, le film met en scène des mercenaires français, pilotés par la France afin de s’accaparer les richesses maliennes. Si l’action fictive se déroule au siège de l’ONU dans lequel les mercenaires sont jugés pour la perpétration d’actes commis à Ansongo au Mali, le parallèle avec la situation réelle de la France en Afrique est évident. Dans les faits, Ansongo était un véritable théâtre d’opérations de l’armée. Mais les ressemblances ne s’arrêtent pas là. Les « mercenaires » français sont vêtus des mêmes uniformes que les soldats de l’opération Barkhane, un clin d’œil qui a su s’attirer les foudres du public français. 

La réaction du ministre s’inscrit dans une volonté de répondre aux « narratifs de nos compétiteurs » sur le terrain de la guerre informationnelle, un champ de bataille où la France était restée beaucoup trop absente. Malgré cette prise de conscience au niveau politique, ce tweet n’a pas manqué de faire réagir les internautes, pointant du doigt la surréaction politique face à ce qui n’est « qu’un film ». Pourtant, les attaques de ce type cachent bien des stratégies et la France constitue une cible privilégiée par son manque de réaction.

 

Le soldat français au cœur de l’attaque informationnelle menée par la Russie en Afrique

Le film Black Panther 2 n’est pas la première attaque informationnelle visant l’image du soldat français. Depuis plusieurs années et par l’intermédiaire de la société militaire privée Wagner, la Russie s’en prend régulièrement à la France avec pour objectif de saper l’influence de Paris en Afrique de l’Ouest pour mieux s’y installer. Cette offensive sur le terrain de l’information s’accompagne d’un accroissement de la présence des mercenaires russes dans la région.

Fin 2022, les internautes francophones ont pu découvrir une courte vidéo d’animation mettant en scène un soldat malien débordé par une attaque de zombies portant l’uniforme de l’opération Barkhane. Ces derniers agissent sous l’ordre du Président Emmanuel Macron, caricaturé en dirigeant autoritaire capable de répandre ses armées de morts-vivants à travers l’Afrique. Plus tard dans la vidéo, c’est au tour du Burkina Faso d’être victime de l’attaque d’un serpent géant tricolore. Évidemment, c’est un soldat russe qui va apporter son aide et du matériel aux combattants africains pour se débarrasser des monstres tricolores.

Par cette vidéo, la Russie tente de modifier la perception que les populations locales se font des troupes françaises et des objectifs poursuivis par l’Élysée dans la région. Le soldat ne doit plus être perçu comme un bouclier face au terrorisme, mais bien comme un monstre décérébré au service d’un pouvoir qui souhaite la destruction de l’Afrique de l’Ouest. À l’inverse, le militaire russe est présenté comme un ami qui vient prêter main-forte avec du matériel.

Pour capter l’opinion, le groupe Wagner n’hésite pas à intégrer des éléments d’attaques informationnelles dans des dessins animés pour enfants. Dans une vidéo de 2019, l’éléphant centrafricain est victime de pillages par des hyènes. Dans la version anglophone, les hyènes sont clairement identifiées comme étant des soldats français par la présence de colliers tricolores autour de leur cou. C’est à nouveau l’ami russe, sous les traits d’un ours, qui vient en aide à l’éléphant pour repousser les charognards. Wagner tente, par l’intermédiaire de ce dessin animé, d’ancrer le sentiment anti-français à toutes les strates de la population et ce, dès l’enfance. C’est une opération d’influence de masse qui ne vise pas seulement le détournement des élites, mais bien de l’ensemble de la population des régions concernées.

 

Force est de constater que malgré la qualité discutable des productions et le manque flagrant de subtilité des messages véhiculés, la guerre informationnelle penche clairement en faveur des russes. Mali et Burkina Faso réclament le départ des troupes françaises pendant que des manifestations de soutien à « l’opération spéciale » russe en Ukraine se déroulent à Bangui. Dans cette attaque, le soldat français est une cible idéale. Étant le seul point de contact entre les populations et la France, nuire à l’image du militaire, c’est nuire à la représentation de l’ensemble de l’hexagone et de sa politique. Rendre le soldat monstrueux, c’est rendre la France monstrueuse par procuration. 

Autre ressort particulièrement efficace, les fausses informations concernant un trafic d’or organisé par l’armée française en Afrique. Depuis 2018, il est possible de retrouver sur Facebook et WhatsApp des images montrant des soldats français au milieu de dizaines de lingots accompagnés d’une description accusant les soldats de détourner l’or du pays pour le ramener en France. Ces attaques, probablement elles aussi à l’initiative du groupe Wagner, font appel au passé colonial et à l’imaginaire des pillages de ressources, particulièrement efficaces dans la région pour susciter la défiance vis-à-vis des troupes françaises.

L’utilisation par la Russie de fausses informations concernant le trafic d’or reste cocasse lorsque l’on connaît les liens avérés entre l’oligarque à l’origine de Wagner, Evgueni Prigojine et plusieurs mines soudanaises qu’il exploite sous couvert d’un réseau complexe de sociétés-écrans.

Ainsi, les attaques informationnelles visant les soldats français ou plus directement la présence militaire de la France ne sont pas l’objet d’actes isolés. Ces actions de désinformation à destination des populations civiles et des décisionnaires font poindre la perte de vitesse de la puissance française, mais aussi et surtout son manque de préparation face à ces attaques d’un nouveau genre.

 

« la guerre de l’information est partie intégrante de toute stratégie militaire : sans capacité à convaincre et à contrer l’influence adverse, tout engagement militaire est voué à l’échec » L2I du Ministère des Armées

 

La guerre de l’information en France : une prise de conscience nouvelle

Pour parer le développement des tentatives d’ingérences russes, turques et chinoises menées dans le but de scinder la société française, la France a adopté en 2018 une loi anti fake-news. En 2021, elle s’est également dotée d’une agence opérationnelle pour lutter contre les ingérences informationnelles au sein de la société française : VIGINUM. Toutefois, rien n’avait encore été mis en place pour protéger les intérêts français à l’étranger.

Gustave Le Bon décrivait déjà en 1895, dans sa Psychologie des foules, la puissance qu’ont les images et les métaphores dans la manipulation des masses. Les réseaux sociaux permettent aujourd’hui une certaine omniprésence de phrasés imagés et constituent en cela un vecteur efficace d’influence de masse. Ainsi, attaquée au cœur, la France a essuyé fake news après fake news les attaques informationnelles sans disposer d’une réelle stratégie d’endiguement. 

La répétition de telles opérations a contraint le ministère des Armées de se doter d’une doctrine militaire de lutte informatique d’influence (L2I). Cette dernière admet que « la guerre de l’information est partie intégrante de toute stratégie militaire : sans capacité à convaincre et à contrer l’influence adverse, tout engagement militaire est voué à l’échec »

Le ministère reconnaît également que « certains acteurs disposent ainsi de la capacité à mobiliser rapidement la violence, en parole et en actes, et à fragiliser la légitimité des différents acteurs du règlement d’une crise ». Afin de riposter aux attaques informationnelles, malgré l’irrationalité propre aux réseaux sociaux, la L2I propose que se systématisent la promotion des actions de l’Armée, la dénonciation des incohérences adverses ainsi que la conduite d’opérations de déception. Ces dernières désignent dans le langage militaire l’utilisation de stratagèmes jugés dans la tradition occidentale – et plus particulièrement latine – illégitimes ou contraires à l’idéal guerrier.

Fort de la nouvelle Loi de Programmation Militaire, le ministère des Armées a projeté le recrutement de 1870 cyber combattants supplémentaires, parmi lesquels une partie sera consacrée à la guerre informationnelle. En effet, créé en 2017, la fonction de Commandant de la cyberdéfense (COMCYBER) vise à intégrer ces nouveaux enjeux dans la planification d’une opération. Alors ministre des Armées, Florence Parly avait d’ailleurs déclaré que l’utilisation de la désinformation constituait une arme hybride « utilisée avec de plus en plus de résultats par nos compétiteurs stratégiques ». On se doit également de rappeler que la dernière revue nationale stratégique (RNS) présentée par le président Emmanuel Macron en novembre dernier, a ainsi érigé parmi les « fonctions stratégiques » de la défense le concept « d’influence » qui inclut la lutte contre les fausses informations à des fins de déstabilisation.

 

Les médias au service des Armées : un pari payant ?

Malgré le savoir-faire français en matière de cinématographie, le CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée) se veut neutre et, de cette façon, ne concourt pas véritablement à la promotion des intérêts français à l’étranger. Toutefois, il n’en demeure pas moins que les films servant le narratif militaire national ont connu un essor au cours de la dernière décennie. Ce phénomène récent a été rendu possible par l’établissement d’un partenariat approfondi entre l’Armée et le CNC, notamment en vue de l’exploitation des bases militaires françaises lors de tournages. Le ministère a même créé une « Mission Cinéma » en son sein en 2016. L’idée de cette mission était « de renforcer le lien Armée – Nation en accompagnant des projets qui parlent de l’armée ». À ce titre, la série du Bureau des Légendes produite par Canal+ a su redonner ses lettres d’or à la DGSE. En effet, la série a suscité bien des vocations pour le service de renseignement extérieur, preuve qu’au-delà de l’art de l’autodérision – à l’image d’OSS 117 ou de la série Au service de la France – la France sait faire valoir ses bijoux de famille.

Après Volontaire (2018), Le chant du loup (2019) et étant donné les retombées positives du Bureau des Légendes, la nouvelle série d’Amazon Prime, Cœurs Noirs, pourrait bien apporter quelques éléments de réponses à l’encontre des attaques informationnelles ciblées contre l’armée française. En effet, la série rend hommage aux forces spéciales françaises et fait apparaître à l’écran une image améliorée du militaire français.

On peut toutefois douter de la portée de cet hommage vibrant à la gloire de l’uniforme. En effet, la France figure parmi les pays ayant la plus haute opinion de leur armée. L’enjeu est donc à l’exportation d’une telle série, qui puisse porter la voix de la France et mettre en scène le professionnalisme de son armée à l’international. La riposte française devra encore affronter les multiples attaques de Netflix à son égard. Affaire – et série – à suivre donc.

 

Colin Guyon, Melvin Derradji et Benoit Lacoux

 

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