Lancée sous l’impulsion de plusieurs ministères en 2018, France Identité est une solution qui permet d’avoir accès à un grand nombre de services publics et privés principalement pour effectuer diverses démarches administratives. Elle se situe dans le sillage de France Connect, le service en ligne d’identification et d’authentification français.
France Identité propose une solution aux citoyens français pour leur permettre de justifier leur identité en ligne tout en apportant une sécurisation accrue de leurs données. L’application n'a pas vocation à devenir obligatoire mais elle vient fournir une technologie complémentaire à ce qui est déjà proposé actuellement. Elle s’inscrit dans un processus plus large de transformation digitale au sein même des différents organismes étatiques européens, à l’image de la dernière version de la carte nationale d’identité.
Cette nouvelle carte d’identité nationale, déployée en mars 2021, intègre désormais une puce permettant d’accroître la sécurité des données de chaque citoyen via des procédés cryptographiques. Différentes données biométriques sont stockées dans cette puce permettant ainsi de justifier l'identité du titulaire de la carte. La refonte de la carte d’identité par les gouvernements de l’Union européenne révèle une volonté de leur part de se tourner vers plus de digitalisation des données sensibles des citoyens européens.
La France n’est pas en reste car, en participant elle aussi à l’effort général, elle apporte une réponse viable concernant la problématique et l’enjeu de souveraineté numérique. En effet, les États sont en confrontation directe avec de nombreuses multinationales (Google, Facebook, Amazon, etc.) dans le domaine du numérique depuis maintenant plusieurs années et la principale raison de ces tensions concerne le traitement des données. Présenter une solution comme France Identité revient donc à tenter – en partie – de développer sa souveraineté sur le cyberespace, lui-même majoritairement contrôlé aujourd’hui par des acteurs privés. La souveraineté d’un pays comme la France ne sera acquise que par la réappropriation de l’identité de ses citoyens sur l’espace virtuel.
L’identité civile et l’identité numérique, une frontière qui est amenée à disparaître dans les prochaines années
Aujourd'hui, deux types d’identité peuvent être distinguées : l’identité civile, fournie par les instances gouvernementales (passeport et carte d’identité notamment) et l’identité numérique, fournie par les différents acteurs privés que l’on retrouve dans le cyberespace. À mesure que la société poursuit sa transformation numérique, il est fortement possible que l’une et l’autre ne fassent plus qu’un. La question de l’identité est donc un enjeu stratégique qui prend de l’importance au fil des années. Plus la société aura tendance à se transposer dans ce cyberespace et plus les questions d’authentification seront déterminantes. À l’avenir, passer par des numéros de téléphone ou des adresses mails ne suffira plus pour s’authentifier efficacement. France Identité pourrait donc venir répondre à ces problématiques en apportant une manière sécurisée, sûre et officielle pour justifier son identité sur le web 2.0 voire 3.0.
L’enjeu est donc ici double, les différents gouvernements de l’Union européenne se doivent d’être intransigeants quant à leur gestion des données d’identité civile des citoyens européens sur le cyberespace. Il leur est vital de s’opposer à l’hégémonie des GAFAM concernant l’exploitation de ces données à des fins commerciales (ciblage, etc.) car il est certain que l’identité civile peut grandement intéresser les géants du numérique. En parallèle, il est primordial de protéger les données de l’identité civile en ligne, principalement des cybercriminels. Les usurpations d’identité se multiplient à mesure que les technologies progressent, notamment via les différentes intelligences artificielles qui permettent de tromper les systèmes de sécurité de plus en plus aisément. Il est stratégique de choisir avec soin les différentes composantes de l’identité civile numérique.
Toutes ces réflexions peuvent être rapprochées au concept de Govtech qui vise à numériser les différentes administrations publiques grâce à des innovations technologiques. Celui-ci est capital pour récupérer le retard des différentes instances publiques sur les entreprises privées dans le domaine du numérique. De nombreux travaux ont d’ailleurs été menés par la Commission européenne en ce sens, notamment via des initiatives liées au e-gouvernement.
Pour illustrer ces avancées, il est possible de regarder du côté de la Corée du Sud, qui a mis en place un système d’identification biométrique. Son instauration n’a pas été sans scandales : des millions d'images faciales obtenues illégalement ont été mises à disposition de sociétés privées par le ministère sud-coréen de la justice dans le but d'entraîner des algorithmes biométriques. Le but est de créer des systèmes d'identification et des systèmes de suivi par intelligence artificielle dans tout le pays. Cependant, l'échange de ces données biométriques s'est fait sans le consentement des personnes concernées. Les différents documents qui ont été transmis aux entreprises privées sont principalement des données sur les étrangers venant visiter le pays. Ainsi, sur les 177,6 millions de données personnelles transmises provenant de l'aéroport international d’Incheon, plus de 120 millions appartiennent à des étrangers. Dans le jeu de données communiqué se retrouvent notamment les visages, la nationalité, le sexe et l’âge des personnes scannées.
Les acteurs de la défense de la vie privée en Corée du Sud ont déjà exprimé leur désapprobation à l'égard de cette initiative, après avoir été étonnés de l’ampleur des données utilisées et transmises à des acteurs privés.Dans les faits, les villes de Bucheon et d'Ansan, dans la province de Gyeonggi, ont mis en place un projet de « système intelligent d'enquête » permettant de détecter de nouvelles maladies en utilisant les caméras de vidéosurveillance. La COVID-19 a entraîné l'accélération de ce programme qui a permis de récupérer des données faciales pour la détection du port du masque avec l'aide de plus de 10 000 caméras déjà existantes.
Le cas de l’Estonie est également intéressant. Dans ce pays balte, la totalité des démarches administratives a été digitalisée et un document d'identité unique a été créé pour chaque citoyen. Aujourd'hui, l’administration estonienne souhaite compléter ce document par des données biométriques. Deux solutions sont à l'étude: la reconnaissance faciale et l'empreinte digitale. Ces nouvelles technologies devaient se développer avec un partenariat avec l’Ukraine mais au vue de la situation actuelle, leurs développement est en hibernation.
La souveraineté numérique est un enjeu majeur pour de nombreux pays, impliquant la capacité de contrôle des flux d’informations, des données et services numériques essentiels pour l’économie et la sécurité nationale. Néanmoins, assurer une souveraineté numérique efficace demande de prendre en compte la notion d’identité des citoyens sur le cyberspace. Les gouvernements doivent être en mesure de protéger les données personnelles tout en assurant que leur identité numérique est sécurisée, authentique et fiable dans un contexte où les échanges numériques et la digitalisation des démarches administratives sont de plus en plus importantes. En somme, l’identité numérique soulève des problématiques propres au numérique, enjeu crucial pour la souveraineté numérique. Les gouvernements doivent accorder une attention particulière à la question de l’identité numérique et veiller à mettre en place des systèmes efficaces et sécurisés pour protéger l’identité des citoyens sur le cyberespace.
Quentin Thiebault et Yacine Ioualitene pour le club Data Intelligence de l’AEGE
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