Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Atos risque une OPA hostile, menace pour la souveraineté numérique française

Depuis 2021 et l’annonce d’un projet d’acquisition de l’américain DXC, la situation financière d’Atos, fleuron français des entreprises de services numériques, apparaît particulièrement préoccupante et laisse entrevoir une possible OPA hostile par un concurrent étranger. Si un rachat advenait, de nombreuses technologies de pointe liées au cloud, à l’intelligence artificielle et à la cybersécurité risqueraient d’être perdues. En conséquence, la souveraineté numérique française serait considérablement affaiblie.

Né de la fusion entre Axime et Sligos en 1997, Atos a réussi en 20 ans à devenir un des leaders mondiaux des entreprises de services numériques (ESN). Le groupe s’est diversifié dans de nombreux secteurs grâce à une multitude d’opérations de croissance externe. Aujourd’hui, le groupe se hisse dans le peloton de tête [CM2] sur les segments tels que la transformation digitale, les services cloud, la cybersécurité et le traitement des données. Ces divers secteurs sont primordiaux dans la construction d’une souveraineté numérique française, notamment pour stocker et protéger les données sensibles des acteurs publiques et privés nationaux. 

Alors que l’entreprise générait un chiffre d’affaires de plus de 11,5 milliards d'euros en 2018, le groupe a connu de nombreuses difficultés après l’annonce d’un projet d’OPA sur l’Américain DXC, acteur important des entreprises de services numériques, en 2021. Cette annonce a provoqué la fureur des investisseurs qui ont jugé que ce projet était dispendieux et inutile. Ces derniers estimaient également que le projet accroissait la vulnérabilité d’Atos au secteur de l’infogérance, c’est-à-dire l’externalisation de la gestion des services informatiques, d’autant que le groupe se positionne déjà parmi les leaders du marché et que les perspectives de croissance de ce segment apparaissent limitées. Dans ce contexte, l’agence de notation Standard & Poors a jugé que l’investissement dans les titres d’Atos était devenu spéculatif, abaissant sa notation de BBB+ à BB.

 

Face aux difficultés financières auxquelles le groupe est confronté, un plan de restructuration est décidé en juin 2022 : Atos sera divisé en deux entités. D’une part, la branche infogérance, dont l’avenir passera par de lourdes refondations ; d’autre part, la branche cybersécurité et transformation digitale destinée à être introduite en bourse sous le nom d’Evidian. Ce nouvel acteur opèrera sur un segment particulièrement dynamique où les perspectives de croissance sont nombreuses mais nécessitent de lourds investissements. C’est notamment pour financer ces lourds investissements qu’Atos estime qu’une introduction en bourse d’Evidian est nécessaire. 

Dans ce contexte, Atos semble particulièrement vulnérable à une opération d’OPA hostile de la part d’un concurrent. De fait, une première offre « amicale », proposée par OnePoint (acteur français) et ICG Partners (fonds d’investissement londonien), pour un montant de 4,2 milliards d’euros, a été rejetée par le conseil d’administration d’Atos. En cause, cette offre ne dépasserait pas le cours de bourse actuel du fleuron numérique français après les divers retraitements comptables et ne permettrait donc pas de financer le sauvetage du groupe. Par ailleurs, d'après les rumeurs, les marques d’intérêt se multiplient de la part de fonds d’investissements comme Cerberus et Apollo, par exemple. Néanmoins, ces offres sont jugées incertaines par le conseil d’administration, tant dans leur montant que dans leur acceptabilité. 

Si les offres « amicales » examinées par Atos jusqu’à présent n’ont pas donné lieu à des passes d’arme, les signaux d’alerte se multiplient et indiquent que le risque d’OPA hostile s’accroit. Premièrement, rançon de la mondialisation, les groupes internationaux sont contraints d’acquérir une taille critique pour se projeter de façon compétitive à l’étranger. Par ailleurs, le secteur du numérique se consolide autour de quelques mastodontes particulièrement attentifs aux possibilités de rachat des entreprises innovantes. Ces dernières représentent des relais de croissance importants pour obtenir des avantages comparatifs face à leurs concurrents. 

Deuxièmement, le fait que le secteur du numérique se concentre autour de quelques acteurs majeurs n’est pas nouveau, à l’inverse de la fragilité financière du fleuron français. L’effondrement de plus de 80 % du cours de bourse du titre Atos depuis 2021 réduit considérablement le prix d’une OPA hostile. De plus, puisque près de 97 % du capital est flottant, sa structure capitalistique constitue une vulnérabilité qui permettrait de court-circuiter le conseil d’administration en faisant une offre directement aux actionnaires. 

Enfin, un ramassage n’est jamais innocent. Les volumes de vente du groupe progressent anormalement depuis le début d’année 2022 sans qu’aucune raison particulière ne puisse être déterminée (annonce de nouvelles commandes, publication de résultats financiers, etc.). Pire, le fonds d’investissement de l’Allemand Siemens déclare le 2 novembre avoir franchi à la baisse les seuils des 5 % du capital et des droits de vote de la société après la vente d’une partie de ses parts. Le fait que des fonds d’investissements majeurs se départissent des titres du groupe constitue un signal d’alerte montrant que le marché n’a plus confiance dans la stratégie du groupe. Ces investisseurs institutionnels seront donc les premiers à accepter de vendre leurs titres à de potentiels acquéreurs, augmentant de fait le risque de réussite d’une OPA hostile. 

Comme l’indiquent les signaux d’alerte mentionnés précédemment, il apparaît primordial de garder un œil attentif sur les actifs d’Atos et les propositions de rachat qui pourront être faites. De nombreux concurrents étrangers pourraient essayer de s’emparer des actifs stratégiques qui font aujourd’hui la renommée mondiale du fleuron français, notamment les technologies liées à la cybersécurité et au traitement des données sensibles. Ces solutions sont entre autres utilisées par les grands groupes du CAC40 qui souhaitent voir leurs données demeurer sur le sol européen afin de ne pas être soumis à l’extraterritorialité du droit américain. 

Par ailleurs, la scission d’Atos en deux entités distinctes constitue un enjeu de souveraineté majeur. Les technologies développées par le groupe sont particulièrement sensibles et contribuent à la construction de la souveraineté numérique européenne et a fortiori française. En effet, Atos compte parmi les groupes majeurs de l’initiative GAIA-X. La perte d’un acteur aussi stratégique pourrait de fait entraîner le ralentissement voire l’abandon de ce projet particulièrement important pour la protection des citoyens et des entreprises européennes. 

La transition numérique des acteurs économiques soulève une multitude d’enjeux stratégiques ayant trait notamment au stockage et à la protection des données. Concernant cette dernière, les menaces se multiplient notamment sur les systèmes critiques des organisations. Les environnements digitaux sont de plus en plus complexes et les cybermenaces évoluent rapidement. Face à ces constats, Atos articule ses offres autours de cinq principaux piliers : la détection et la réponse aux menaces ; la sécurisation de l’internet des objets ; la sécurité des réseaux de stockage de cloud ; la sécurité des données. Grâce à cette organisation, Atos permet à ses clients de déployer des systèmes informatiques résilients face aux cyberattaques et constitue un partenaire fondamental pour de nombreux acteurs économiques français et internationaux. En effet, le fleuron français leur permet de bénéficier d’un espace informationnel sécurisé pour travailler dans des conditions idoines. 

Si l’argument financier derrière la scission semble prévaloir afin de préserver les unités opérationnelles rentables, la question de la taille critique, c’est-à-dire suffisante pour faire face à la concurrence internationale, demeure également ouverte. En effet, après s’être séparé de la branche infogérance, Evidian pourrait ne pas disposer du poids nécessaire pour rivaliser avec ses concurrents, notamment dans l’obtention de contrats à l’étranger. Pire encore, le marché français semble insuffisant pour permettre à une industrie numérique nationale d’émerger, d’autant que les marchés publics ne privilégient pas les acteurs nationaux. Face à ces constats alarmants, Evidian sera contraint d’exporter ses savoir-faire à l’étranger pour financer les lourds investissements nécessaires à son maintien dans le peloton de tête mondial.

En somme, la conjonction entre l’impossibilité d’acquérir une taille critique et la politique d’ouverture des marchés publics à la concurrence internationale rend Evidian particulièrement vulnérable à une OPA hostile, tant sur le plan financier que concurrentiel. De ce fait, le nouveau fleuron français de la cybersécurité constitue une cible potentielle pour les grands acteurs mondiaux à la recherche de relais de croissance en France et en Europe. Si une OPA hostile venait à advenir, la capacité de la France à acquérir sa souveraineté numérique serait grandement amputée.

 

Noé Di Franco, pour le club Risques de l’AEGE

 

Pour aller plus loin :