Malgré la rupture du « contrat du siècle », Naval Group assure à la France son autonomie face aux défis et enjeux de la dissuasion océanique. Les premiers essais du sous-marin nucléaire d’attaque Duguay-Trouin mettent en lumière la force de la BITD française dans un domaine maîtrisé par quelques pays seulement.
Pilotés par la Direction Générale de l’Armement (DGA), ces essais marquent une avancée conséquente dans le programme Barracuda. Ce dernier a pour objectif, d’ici 2030, de faire bénéficier la Marine nationale de six sous-marins nucléaires d’attaques (SNA) de type Suffren. Le Duguay-Trouin a été baptisé du nom d’un des officiers généraux de la Marine ayant été anobli par le Roi-Soleil suite à ses exploits maritimes, dont notamment sa descente à Rio de Janeiro pour libérer 500 Français retenus en otage en 1711. Ses Mémoires sont, à l’époque, déjà un point d’appui pour prendre conscience des enjeux de la guerre navale au tournant du XVIIe et du XVIIIe siècle.
Un enjeu technologique pour renforcer la position française
Cette première sortie en mer correspond à un jalon majeur avant de réaliser des essais en Atlantique puis en Méditerranée. Une fois la vérification progressive de l’ensemble des capacités techniques et opérationnelles du sous-marin terminée, ce dernier sera livré à la Marine nationale. Ses missions seront multiples telles que le soutien à la dissuasion, la protection du groupe aéronaval, le recueil de renseignements ainsi que la lutte sous-marine et antinavire.
Pourvus d’une propulsion nucléaire, ces nouveaux vecteurs de puissance militaire permettent à l’Élysée de disposer d’un rayon d’action considérable tout en s’assurant d’une grande discrétion. Une étape franchie dans l’objectif de renouvellement à l’horizon 2030 des six SNA de type Rubis mis en service en 1980.
Qualifié de « socle de la stratégie nucléaire », par Corentin Brustlein, directeur de recherches à l'Institut français des relations internationales (IFRI), les SNA – équipés des dernières technologies maritimes – représentent la nouvelle assurance-vie face aux menaces contre les intérêts existentiels de l’Hexagone. En dépit des prédations économiques, notamment le rachat par un fond américain de la PME tricolore Segault – fournisseur de la robinetterie nucléaire, Naval Group travaille conjointement avec les responsables étatiques pour assurer l’autonomie stratégique de la Marine nationale. Une collaboration qui s’illustre également par la première sortie en mer du bâtiment ravitailleur de forces (BRF) Jacques Chevallier ce 18 mars 2023.
Parfois décriée en raison de ses coûts d’entretien, estimés à 5 milliards d’euros par an, la force de dissuasion française oblige les industriels tels que TechnicAtome, MBDA, Safran, Thales et Jeumont (principaux fournisseurs du projet Barracuda) à maintenir un très haut degré d’innovation et de maîtrise des savoir-faire pour répondre aux nouveaux défis technologiques. Cette contrainte est vertueuse car elle entraîne des retombées importantes sur l’économie, au sein d’un marché mondial de l’armement qui a dépassé, pour la première fois, les 2 000 milliards de dollars avec le conflit ukrainien, selon le rapport du Sipri.
Arme de contribution au rayonnement de la politique étrangère française
Organisé autour du triptyque – permanence, suffisance et souplesse – les SNA sont plus puissamment armés que les SNLE de la force océanique stratégique et capables de plonger à plus de 300 mètres de profondeur, permettant à la France d’assurer sa position dans le club très restreint des nations qui mettent en œuvre des SNA modernes et performants. La capacité de frappe mer-terre, grâce à la mise en service du nouveau missile de croisière naval (MDCN), leur confère une force de frappe tactique remise au goût du jour par le retour de la haute intensité.
Alors que la France voit son influence reculer dans un Indo-Pacifique disputé, en témoignent l’accord AUKUS, la compétition technologique qui se joue entre Washington et Pékin, les différents tirs de missiles balistiques et la menace de drones d’attaque nucléaire sous-marins de la Corée du Nord, il fait peu de doute que ces nouvelles unités arrivent à point nommé pour permettre à la France d’assurer sa capacité de déploiement avec succès. Les programmes d’armement américain et chinois ne souffrent pourtant pas de comparaison, en termes de taille principalement, avec le programme français. Ainsi, grâce à un programme de 110 milliards de dollars, les États-Unis vont remplacer leurs 14 SNLE de classe Ohio par 12 de classe Columbia à partir de 2031. Outre la nécessité de pérenniser leurs capacités de dissuasion, il s’agit en outre de répondre aux ambitions de la Chine qui bouleversent l’équilibre stratégique de la zone.
Les nouveaux SNA de la classe Suffren constituent la garantie de la continuité de notre puissance navale dans sa capacité à se déployer, à frapper et à dissuader. Ils seront amenés à intervenir dans un contexte global dégradé et ultra-compétitif, « le dernier Far-West » selon les propos du Chef d’état-major de la Marine. Ils sont enfin une preuve de plus de la continuité d’une politique initiée à la fin de la IVème République et des efforts considérables consentis pour rester constamment à la pointe de l’innovation dans le domaine.
Quentin Beunet
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