Dans l’après-midi du jeudi 13 avril dernier s’est tenu, en présentiel et en distanciel, un atelier du Groupement français des industries de l’information (gf2i) coanimé par Sylvie Sage, Séverine Noyelle et Mathieu Andro sur la manière dont est pratiquée et perçue la veille à l’international, ainsi qu’une présentation des différents métiers liés.
Dans le cadre d’un partenariat entre l’AEGE et le gf2i, le club OSINT & Veille a pu y assister. Retour sur une journée riche en informations.
La veille en Afrique francophone
L’atelier s’ouvre sur un travail concernant la veille en Afrique, qui cherche à dresser un état des lieux pour fournir des pistes de compréhension sur la théorie et les pratiques de veille dans une partie du continent africain. Son objectif était de percevoir la veille et la réalité des veilleurs en Afrique en se fondant sur les résultats LinkedIn obtenus via Sales Navigator. La veille étant un concept plutôt francophone, ce sont les régions d’Afrique subsaharienne et du Nord francophones qui ont été ciblées par cette recherche. Effectivement, en langue anglaise, c’est le terme de competitive intelligence qui réunit les postes de « chargé de veille » ou de « veilleur analyste ».
De plus, la veille étant perçue comme une compétence, un hardskill à posséder lorsque l’on fait du knowledge management, du social listening ou que l’on est librarian, seuls les professionnels ayant un an d’expérience minimum ont été retenus afin d’éviter une analyse de résultats faussée. À noter que sont inclus dans cette évaluation les différentes strates hiérarchiques : veilleurs assistants, cadres et managers. En ajoutant également les spécialistes en intelligence économique qui font de la veille, ce sont près de 700 à 800 veilleurs qui ont, in fine, été recensés. Les métiers de chargé de veille, veilleur analyste ou encore veilleur média ont connu la plus grande récurrence, ce dernier titre plaisant particulièrement du fait d’un paysage informationnel peu développé et d’une raréfaction de sources d’information structurées.
Dans la veille, le secteur public est autant pourvoyeur d’emplois que le secteur privé. Dans le premier, les veilleurs sont principalement recrutés par des administrations, des agences, des ministères et des organisations internationales ; dans le second, ce sont des banques, des grandes entreprises nationales ou étrangères et des groupes industriels qui manifestent un intérêt certain pour ce domaine. Les sociétés prestataires spécialisées en veille ou en intelligence économique, telles que CAVIE ou Global Intelligence Partners, se font rares.
D’un point de vue géographique, les veilleurs sont généralement plus présents dans les pays au développement économique plus avancé ainsi qu’à Madagascar. À ce titre, le Maroc représente presque un tiers des veilleurs analysés. Il est essentiel de rappeler que ce pays accueille de nombreux éditeurs français de veille – tel Digimind – et formations dans le domaine, comme le Campus Rabat de l’École de Guerre Économique.
Néanmoins, peu de veilleurs travaillent à temps plein sur ce poste, la veille ne constituant généralement pas leur activité principale, bien que proche de leur fonction d’analyste, pratiquant de l’intelligence économique, responsable communication ou marketing, par exemple. Ainsi les veilles réalisées dans ce cadre se révèlent plutôt générales et pluridisciplinaires (sectorielle, sécuritaire, stratégique, etc.). Par ailleurs, celles-ci semblent peu automatisées, malgré la présence de certaines plateformes de veille à des évènements telles que les Assises Africaines et Francophones de l’Intelligence Économique.
La récolte d’information et la surveillance se font donc principalement via le réseautage, les contacts et la présence dans des lieux où l’information circule de manière traditionnelle, respectant l’héritage de la forte culture orale en Afrique. La diffusion, quant à elle, est principalement faite par le biais de newsletters, d’abonnements papiers et, de plus en plus, des réseaux sociaux.
La veille, comme nous l’entendons, se trouve donc à un stade embryonnaire dans la majorité des pays d’Afrique francophone. La complexe structuration des sites internets en Afrique peut en être une explication : beaucoup d’informations y sont trouvées, bien que peu hiérarchisées et triées, ce qui oblige à mener un ensemble d’actions pour affiner la recherche. De plus, dans le cas d’accessibilité à l’information grâce à un compte, la veille ne peut pas s’automatiser et implique nécessairement la création puis l’utilisation d’un outil utilisant la technologie RPA (Robotic Process Automation).
Enfin, l’information récoltée en sources ouvertes provient souvent des dépêches de l’AFP et autres quotidiens nationaux, les presses sectorielles et organisations professionnelles spécialisées étant peu répandues dans cette région du monde. Avec une raréfaction des médias locaux et l’absence de sites Internet pour ceux existants, à l’exception du Maroc et sa digitalisation de presse massive, il est nécessaire de se rapprocher de médias possédant des sources sur place, tels que Jeune Afrique ou Radio France Internationale, pour consulter une information sûre et vérifiée. Cependant, c’est par l’utilisation de réseaux informels et d’associations non gouvernementales que les journaux spécialisés sur l’Afrique mènent leurs enquêtes.
Ainsi, la presse africaine francophone est très peu digitalisée. Sinon, cette digitalisation – tout comme les locaux chargés de surveiller le web – est située en France afin d’éviter une potentielle censure de la part de certains pays africains. Dans le cas d’une veille en Afrique – ou sur l’Afrique – se pose donc le problème de l’opposabilité des sources. Pour sourcer les faits ou écrire sur de l’actualité dite « chaude » avant les grands médias, il est essentiel d’avoir des contacts locaux.
Les limitations techniques étant également conséquentes (manque d’accès à la presse, information divisée par zones géographiques, etc.), il revient souvent à la branche française de soutenir financièrement et de fournir les abonnements ainsi que les sources nécessaires à la veille. S’ajoute à cela la double casquette des veilleurs professionnels, également chargés de sûreté sur le terrain, dont ils profitent pour faire de l’HUMINT et récupérer de l’information. Enfin, un grand nombre d’applications mobiles et de chaînes radio diffusent de l’information, tandis que les diaspora multiplient les échanges, produisant suffisamment de sources pour recouper ce qui peut être intéressant.
La pratique de la veille à l’international
Suite à ce travail, l’atelier a porté en seconde partie sur les pratiques de veille à l’international, notamment dans les pays anglo-saxons et européens. Comment nos voisins définissent-ils et pratiquent-ils la veille ? Quelles différences peut-on observer avec les cellules de veille en France ?
Tout d’abord, certaines écoles forment ou sensibilisent aux pratiques de la veille dans la francophonie, telles que l’ENAP (École Nationale d’Administration Publique) au Québec ; SwissIntel, la Haute École spécialisée de Suisse Occidentale ou encore la Haute école de gestion de Genève en Suisse. Cependant, dans certains pays, la veille semble être davantage une capacité ou un atout plutôt qu’un métier. C’est un hardskill dans la competitive intelligence et les professionnels de la veille sont généralement des professeurs ou des chercheurs.
La veille est considérée comme une compétence technique et ce, notamment chez les Anglo-saxons, les Allemands et les Néerlandais. En outre, faire de la veille demande une double compétence : maîtriser les outils et posséder des connaissances spécifiques dans le sujet suivi. Dans certains domaines telle que la pharmaceutique, les spécialistes sont des personnes de terrain qui complètent la veille technologique avec de l’HUMINT, à l’échelle locale ou internationale, via leurs réseaux composés de professionnels. Être un expert est nécessaire afin de produire des analyses mensuelles pertinentes et de comprendre l’environnement observé.
Il est également important de souligner que les pratiques de veille varient d’un pays à un autre. Aux États-Unis, l’information n’est pas collectée mais est insérée dans une base de données et poussée lorsqu’il est nécessaire de la ressortir afin d’éviter les « trous dans la raquette » et les doublons. Ces pratiques se dissocient ainsi de l’Europe où la pertinence est recherchée dans l’information collectée, qui est ensuite analysée et commentée, possédant ainsi une valeur ajoutée qui peut être valorisée. Les veilles américaines ne traduisant pas leurs sources et se renseignant uniquement via des sources d’information anglophones, l’information collectée n’est que peu ou pas recoupée, ce qui soulève des questions quant à sa justesse et sa pertinence.
De plus, la veille étant perçue comme une tâche annexe, les entreprises américaines externalisent son fonctionnement, notamment en Inde où quelques membres de ces dernières pilotent des équipes locales tout en traduisant en américain l’anglais indien. Cependant, il serait trompeur de penser que la veille est délaissée par les entreprises américaines : en fonction de l’intérêt du sujet suivi, cette dernière peut être plus ou moins travaillée. Dans un contexte de sujet d’importance stratégique (industrie, armement), les moyens d’investigation sont poussés et un maximum d’information est collecté, analysé, puis affiné. Les veilles brevets sont notamment très actives et séparées des veilles technologiques ou générales – contrairement à l’Europe.
Il existe également un knowledge manager qui articule une base de données fondée sur un mélange entre informations externes et internes récoltées (compétences collaborateurs, réseaux annuaires internationaux, référentiels missions, appels d’offre, veille sur l’état de l’art, etc.) afin de permettre à l’entreprise de connaître son environnement et son écosystème. Ces personnes – chargées de tisser un lien entre toutes les informations disponibles – sont souvent des docteurs en ingénierie et ayant suivi une formation en knowledge management quand en Europe, leurs équivalents sont formés à la veille. Dans les faits, la veille centrale et la veille R&D ne comptabilisent pas les mêmes profils aux États-Unis et sur le continent européen.
Cependant, les grands groupes ne pouvant surveiller l’ensemble des pays dans lesquels ils sont implantés, des relais locaux – généralement peu formés – sont sollicités pour réaliser une veille, malgré une perte d’information généralement conséquente, notamment en Asie. De fait, la pertinence d’une collecte d’information réalisée dans un pays étranger réside dans deux facteurs essentiels : la constitution d’un réseau local fiable et de solides connaissances dans le domaine veillé.
Pour résoudre ce problème, les pays anglo-saxons se reposent sur des outils d’e-reputation et de social listening (ou social monitoring) pour mener leurs veilles car ces derniers intègrent des sources d’information plus simples à suivre : les réseaux sociaux. De plus, ces logiciels permettent de chercher via les commentaires et les avis ce qui est dit de l’entreprise, de ses partenaires (actuels comme futurs) ou encore de ses concurrents, et d’en déduire la réputation dans un pays ou dans une région du monde.
Les pratiques de veille à l’international sont donc plurielles, chacune présentant ses particularités, ses qualités et ses défauts. Dans le cadre de groupes internationaux possédant plusieurs cellules de veille implantées dans le monde, il est nécessaire de connaître la manière dont la veille est perçue et imaginée afin de ne pas installer un quiproquo. De plus, comprendre comment cette dernière est mise en œuvre dans un pays ou dans une zone géographique permet de mieux construire et paramétrer sa propre veille dans ce même espace.
Le prochain atelier mené par l’équipe pédagogique des ateliers veille du gf2i aura lieu le jeudi 15 juin 2023 et aura pour thème « Jouons un peu avec GPT3 et GPT4 ». En collaboration avec l’équipe pédagogique de l’atelier Open Science, cette journée sera l’occasion de faire un partage d’expérience autour de ces technologies, mais également de réfléchir à leurs impacts sur le métier de veilleur et les pratiques de veille en entreprise.
Ronan Le Goascogne pour le club OSINT & Veille de l’AEGE
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