Loi Sapin II, corruption et pratique des affaires : la France dégaine son nouvel arsenal juridique (1/3)

A l’occasion de la mise en application de la Loi Sapin II le 1er juin 2017, Olivier Larrieu, consultant en intelligence économique à i2F, revient sur les conditions de son application et de ses enjeux. Quels objectifs se dessinent pour l’État français derrière sa promulgation ? Quelles conséquences sur la pratique des affaires ? Quels liens entre obligation de conformité et intelligence économique ?

Le 22 décembre 2014, alors que son rachat est en cours par l’américain GENERAL ELECTRICS, le couperet tombe : ALSTOM est condamnée à verser 772,29 millions de dollars au Department of Justice américain. La société est en effet accusée d’avoir versé des « pots-de vins » lors de l’attribution de plusieurs contrats en Indonésie, en Egypte, en Arabie Saoudite, dans les Bahamas et à Taïwan.

Avant elle, ce sont TOTAL en 2013 et SIEMENS en 2008 qui sont respectivement sommées de verser 398 millions et 800 millions de dollars à l’État américain pour violation de la législation anti-corruption américaine.  

Comment expliquer ces sanctions venues d’ailleurs ? En matière de lutte anti-corruption, les règles ne sont pourtant pas nouvelles : la convention OCDE du 17 décembre 1997 engage les pays qui en sont membres, notamment la France. Cette dernière développe d’ailleurs progressivement son dispositif dès 1993 à travers la loi relative à la prévention de la corruption puis la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale.

Plus surprenant encore, selon le député Les Républicains Pierre LELLOUCHE, la France n’a jamais condamné ses entreprises depuis plus de 20 ans sur ce sujet ! Ainsi, assiste-t-on à un laxisme exacerbé des instances juridiques en France à l’égard des entreprises ? À une dérive de ces mêmes entreprises liée à leur manque de contrôle sur leur propre activité ? Ou au résultat d’une méconnaissance réelle des conditions d’application du droit concernant les manquements à la probité ? 

                                        

« Nul n’est censé ignorer la loi » dit-on, et ce, malgré un contexte de sur-règlementation, d’internationalisation de l’activité économique des entreprises, mais aussi d’extraterritorialité de législations nationales. La menace juridique américaine est en ce sens bien réelle ! Incarnée par le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) [1], elle exprime un double besoin : celui pour la justice française de reprendre la main sur ce domaine et de sanctionner ses entreprises sur son territoire ; et celui pour les sociétés d’entamer des démarches proactives de mise en conformité afin d’éviter de tels écarts dans la poursuite de leurs affaires.

C’est pourquoi le 9 décembre 2016, à l’occasion de la promulgation de la Loi n°2016-1691 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, Michel SAPIN, Ministre des Finances et des Comptes publics, affirme vouloir à travers elle hisser « la France au niveau des meilleurs standards internationaux dans le domaine de la transparence, et de la lutte contre la corruption ».

S’agit-il pour autant d’une véritable transformation ? Quelles conséquences cette loi aura-t-elle sur la pratique des affaires en France et à l’international ?

A travers une série d’articles et d’interviews, nous essaierons de comprendre quels sont les enjeux de la mise en application de cette loi, et plus généralement, de l’introduction du principe de conformité auprès des entreprises.

 

Olivier LARRIEU     

Consultant à  i2F – Conseil en Stratégie Opérationnelle et Management du Risque         

 


Source :
[1] De l'extraterritorialité des lois américaines : une prise de conscience politique, Portail de l’IE.