Au 1er janvier, la France a emboîté le pas de la décision de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), restreignant ainsi la transparence financière des sociétés. Une mesure critique et critiquée qui soulève de nombreux débats, notamment dans un contexte de guerre en Ukraine.
Le 22 novembre 2022, les juges de la CJUE avaient déclaré que rien ne justifiait l’accès en source ouverte aux registres répertoriant les bénéficiaires effectifs ou propriétaires réels des sociétés. L’arrêt de la CJUE vient clarifier un élément central de la directive anti-blanchiment de 2015 qui disposait qu’il fallait autoriser l’accès à ces documents « à toute personne ou organisation capable de démontrer un intérêt légitime ». Dès lors, le débat a toujours été de comprendre la signification « d'intérêt légitime ». Les membres de l’Union avaient jusqu’alors, dans leur grande majorité, opté pour une définition dite « maximaliste », offrant à tout un chacun la possibilité de consulter ces registres.
Cependant, les juges de la CJUE ont tranché et la définition restreinte de « l'intérêt légitime » sera retenue. Selon les mots des juges, rien ne justifie l’accès de ces informations au grand public. Si huit pays ont immédiatement verrouillé leurs registres au public (les Pays-Bas, l’Irlande, Malte, Chypre, l’Allemagne, la Belgique, l’Autriche et le Luxembourg), la France vient compléter cette liste en ce début d’année.
Jusqu’alors, la définition maximaliste faisait le bonheur des cabinets d’intelligence économique et des associations de lutte contre la fraude. Ces registres en étaient même devenus l’outil majeur. Selon Transparency International : « 95 % des signalements concernant des erreurs ou des divergences dans le registre des bénéficiaires effectifs proviennent justement du public, des ONG ou de journalistes ».
Un regard plus approfondi sur la liste des pays ayant précipité la fermeture de l’accès à ces informations cruciales nous permet d’envisager la situation sous un œil nouveau. À l’exception du Luxembourg et de la France, chacun de ces pays a déjà été épinglé par les médias et la société civile pour avoir introduit des obstacles à la consultation des données au moment de la création de ces registres – en rendant par exemple l’accès payant, ou en exigeant une identification préalable des internautes.
Le Luxembourg est aussi soupçonné de collusions avec le milieu de la criminalité transnationale. À ce titre, l’enquête OpenLux faisait état du Luxembourg comme un acteur clé de l’évasion fiscale et du blanchiment en Europe.
L’arrêt du 22 novembre est d’autant plus important que l’État et les entreprises russes usent déjà de stratagèmes pour contourner le blocus européen en se basant sur le manque de transparence des États européens. En effet, le service de renseignement militaire russe (GRU) aurait créé un grand nombre de sociétés aux Pays-Bas pour acheter des produits en toute discrétion. Cette décision vient alors rendre d’autant plus opaque le suivi de ces sociétés.
Pour ce qui est de la France, en juillet 2022, l’hebdomadaire L’Obs, associé à un collectif de journalistes indépendants, a révélé qu’une soixantaine de personnalités impliquées dans des affaires de corruption ou visées par des sanctions avaient massivement investi dans l’immobilier français. Une enquête rendue possible par les données du registre des bénéficiaires effectifs français.
Plus récemment encore, les registres ont permis au média d’investigation Disclose de questionner les liens d’Agnès Pannier-Runacher, alors ministre de la Transition énergétique, avec la société pétrolière Perenco – la privant de tout dossiers approchant de près ou de loin les activités de la société.
Dès lors, la société civile européenne aura jusqu’à la prochaine directive anti-blanchiment pour penser la nécessité de transparence du registre des entreprises. Le débat s’annonce toutefois houleux, car par-delà la fermeture du registre s’appliquent ni plus ni moins les enjeux de la protection de la vie privée.
Benoit Lacoux
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