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Rencontre avec Valéry Mercier (1/3) : l’IE selon IWCEA France

Valéry Mercier, président d’IVA et président d’IWCEA France a accepté d’échanger avec nous sur ses activités et sa pratique de l’IE, bien qu’il ne soit qu’un autodidacte en la matière. Régulièrement, en effet, le Portail de l’IE tient à rendre compte de l’expérience des Hommes de terrain.

Aux origines de cette rencontre, nous pensions simplement rendre compte de l'interprétation qu'un dirigeant de PME se fait de l'intelligence économique. Force a été de constater que son témoignage renoue avec l'identité première de la discipline : l'IE est avant tout un état d'esprit que doivent s'approprier les couches dirigeantes d'une organisation afin d'en imprégner la structure entière.

M. Mercier dirige une entreprise qui est n° 2 mondial sur son secteur, il est également membre du CA du pôle de compétitivité Axelera  et président de la branche française d'une association professionnelle internationale. C'est notamment à lui que son entreprise doit la conquête du marché chinois.

Cette première partie est dédiée à la présentation de l'aspect que nous avons retenu comme un des plus intéressants de notre rencontre : la démarche IE d'IWCEA [1] France.

 

Une association pas comme les autres : se réunir par marchés et non par filières

L'IWCEA est un peu un OVNI en France. Parce qu'elle regroupe 80 % des acteurs français fournisseurs de l'industrie du câble et que sa structure est donc résolument orientée « clients et marchés », elle dénote fortement dans un pays qui compartimente habituellement ses forces vives par filières ainsi que par métiers. Pour illustrer un peu la chose, IWCEA France regroupe des fournisseurs divers, des constructeurs de machines-outils, d'appareils de mesure, de consommables, etc. Là où les regroupements habituels français se structurent autour de filières entières (la chimie, les nouvelles technologies,…) et de métiers spécifiques (ingénieurs, ouvriers, commerciaux,…).

IWCEA compte plusieurs branches à travers le monde, notamment en Allemagne, en Autriche ainsi qu'en Italie. Son but originel est la co-organisation de salons internationaux à finalité commerciale. Mais depuis que Valéry Mercier en assure la présidence en France, l'association s'est un peu transformée en plateforme d'intelligence économique…

 

D'un outil de visibilité à un outil de prospection

La branche française mène depuis plusieurs années maintenant des études pays groupées. Après avoir traité les marchés polonais, nord-africain, brésilien, chinois et russe, l'association s'intéresse maintenant au pays à la mode : l'Iran. Ainsi, elle a organisé en janvier dernier une conférence sur les problématiques clés de l'implantation là-bas : le circuit financier local, le système juridique, l'identification d'acteurs et de pratiques spécifiques afin d'éviter certains malentendus voire des arnaques… entre autres.

Tout l'intérêt d'une telle démarche de mutualisation des efforts dépasse le simple aspect financier (qui est pourtant une problématique majeure pour les PME). Cela permet in fine de pratiquer la chasse en meute. Aborder un marché à plusieurs est parfois moins risqué tout en étant potentiellement plus efficace  car les activités des membres se complètent les unes et les autres. Également, parce qu'il s'agit de marchés bien ciblés , il n'est pas rare qu'un membre soit en relation avec un client qui en intéresse un autre. Alors il est possible de prendre contact plus facilement. Un autre exemple est celui du partage d'information quant à l'efficacité  d'un agent ou ses nouvelles orientations.

Mais la chasse ne se limite pas aux démarches proactives, c'est aussi savoir se faire désirer. Lorsqu'un client ou un investisseur entame une démarche de familiarisation avec l'environnement à des fins commerciales, sa ressource la plus consommée est le temps. Les fournisseurs du câble font donc le pari qu'il est plus rémunérateur de lui présenter trois ou quatre acteurs en même temps ; c'est une économie de temps et un gain en termes d'approche « globale », permettant ainsi à la personne concernée de se familiariser plus rapidement avec le secteur envisagé. C'est un point sur lequel M. Mercier insiste : c'est une stratégie mise en place par des pays fortement attractifs pour les investissements étrangers. En Chine notamment, dans le cas d'une implantation d'usine, le responsable du projet rencontre simultanément les responsables de la voirie, des infrastructures aquifères, électriques et tous ceux potentiellement nécessaires à la bonne réalisation du projet. En comparaison, la France ne propose pas un tel confort d'implantation : jamais le maire d'une commune ne songerait à réunir autour d'une table tous les responsables des infrastructures afin qu'ils puissent dialoguer avec l'investisseur à propos de ses besoins.

Vous l'aurez donc compris, IWCEA France est plus qu'une simple association organisatrice de salons. Organe de mutualisation et de canalisation des énergies vives de ses membres vers leurs clients, c'est le fer de lance d'une stratégie commerciale alternative et efficace qui gagnerait à se généraliser en France selon les contextes de chacun. À l'heure où on nous rabâche les oreilles avec la révolution numérique et l'information libre, la France aurait tout à gagner à se décomplexer vis à vis de la coopération, du partage de l'information et de la mutualisation des efforts. Car comme nous l'enseignent les professionnels de la sécurité informatique : même avec les meilleurs systèmes d'information et les meilleures solutions techniques, la faille la plus béante restera toujours humaine. Autrement dit : il serait bienvenu que les Français abandonnassent  leur rapport individualiste à l'information et à leur activité s'ils entendent réellement concurrencer des pays dont les cultures de la coopération et du partage de l'information sont autrement plus développées. Attention cependant à ce que l'esprit de partage ne soit pas teinté de naïveté : veiller à ne pas faire entrer le vers dans la pomme (des stagiaires espions, par exemple) ou savoir tenir sa langue (partager ses recettes à la façon de Coca-Co la, notamment) sont des règles élémentaires à ne pas oublier (voire à développer, selon les plus mauvaises langues d'entre nous….). La branche française de l'association refuse d'ailleurs de partager ses études de marché avec les branches étrangères, notamment celle Allemande qui ne perd jamais une occasion d'en demander l'accès.

 

Les limites de l'IE à la sauce IWCEA

Malgré tout, si IWCEA est une belle illustration de l'esprit IE, sa pratique de la discipline IE semble relativement limitée. Mais est-ce par manque de savoir-faire ou bien parce qu'on touche à des limites propres à l'IE ?

Comme le souligne son président, l'association est fondamentalement une auberge espagnole et l'information qui s'y échange n'est pas codifiée. Hormis les fiches pays et les quelques autres travaux collectifs, aucune information n'est réellement écrite et partagée à l'ensemble des membres. De même, l'association n'est pas une plateforme de veille ou de lobbying, ni même d'investissement dans la recherche. Les intérêts de chacun sont bien trop divers pour cela. L'association est fondamentalement un espace de mise en relation et de partage de l'information sur des marchés afin de mieux s'y déployer. En témoignent les modalités de rencontre : une grande partie du temps l'association se réunit sur les salons internationaux et seules deux séances plénières par an sont prévues . Bien évidemment, les membres n'attendent pas ces seules occasions pour se rencontrer en fonction de leurs affinités et, surtout, les sujets d'études sont nombreux à être proposés, ce qui témoigne d'une forte implication au sein de la structure malgré la relative absence de procédés standardisées de création et de partage de l'information.

Un autre témoignage des limites de l'application des méthodes d'IE par les membres d'IWCEA est donné par Valéry Mercier au sujet de sa propre entreprise. Dans un secteur aussi technologique que le sien, il est quasiment impossible de prévoir les standards futurs. Quand deux de ses clients développent des solutions opposées destinées à une même finalité, comment savoir vers laquelle pencher afin de soi-même choisir une orientation de recherche ? Comment trancher là ou plusieurs équipes de scientifiques n'arrivent pas à se mettre d'accord ? Bien que M. Mercier reconnaisse que tout ne se joue pas forcément sur l'échiquier économique et qu'il existe des stratégies de contournement du marché (telles que l'imposition par la norme ou la réputation, pour ne citer que celles-ci), une analyse des rapports de force et des réseaux d'influence ne lui paraît pas pertinente dans ce cas de figure. On arrive là à des dimensions où l'aléatoire a beaucoup d'importance et il est préférable de  suivre une des lois fondamentales de la cybernétique, en optant pour la solution qui a le plus d’applications possibles.

 

De quoi IWCEA est-elle le nom ?

Alors que nous atteignons le terme de cette première partie, nous aimerions insister sur les raisons qui nous ont porté à nous attarder sur le cas IWCEA.

C'est d'abord parce que l'association résume bien, selon l'avis du rédacteur, l'esprit de l'IE. Sa démarche est en effet résolument conquérante et elle sait mutualiser l'information pour mieux tirer parti de la diversité de ses équipes. Or la mutualisation de l'information au profit d'une multiplicité d'acteurs est à la base des plus grands mécanismes d'intelligence économique. Depuis le système japonais jusqu'aux systèmes anglo-saxons, en passant par le modèle allemand. Des systèmes qui ont tous en commun d'intégrer les têtes pensantes d'une organisation, que ce soit un pays, une entreprise, une collectivité locale ou même une association. L'IE est faite pour résonner au cœur des cercles de décision et se répercuter sur l'organisation des activités. Elle est inutile si la tête et les membres (les veilleurs, influenceurs, responsables sécurité,…) sont déconnectés.

Mais c'est aussi parce que la peinture de l'IE que nous fait Valéry Mercier confronte la discipline à ses propres limites potentielles. Alors que le flou artistique qui caractérise si bien la discipline en amène certains à considérer que « tout est IE » et que certaines activités de veille et d'influence du professionnel interviewé sont encore maximisables, il est ardu de trancher réellement sur la question. Jusqu'à quel point l'intelligence économique peut-elle réduire l'incertitude ? À partir de quel moment sommes-nous forcés d'accepter la part de hasard qui nous revient ? Voilà des questions d'apparence philosophique qui sont pourtant au cœur même de nos métiers… Une réponse légitime concernerait peut être simplement la limite des ressources attribuables aux activités d'IE… Qu'en pensez-vous ?

 

Vous pouvez continuer avec les  : Les défis de l'alliance PME-laboratoire de recherche !


[1] International Wire & Cable Exhibitors Association