Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

[JdR] Loi Sapin II : la corruption au cœur de la souveraineté juridique française (2/3)

A l’occasion de la mise en application de la Loi Sapin II le 1er juin 2017, Olivier Larrieu, consultant en intelligence économique à i2F, revient sur les conditions de son application et ses enjeux. Quelles en sont aujourd’hui les conséquences d’un point de vue institutionnel ? Quel rôle va jouer l’Agence française anticorruption ? Et surtout quels pouvoirs lui seront attribués ?

Tout au long de la gestation de la loi Sapin II, le même constat s’abat : « la France est encore mal notée par des organisations internationales ». En 2014, un groupe de travail de l’OCDE exprime « d'importantes préoccupations quant au caractère limité des efforts » de la France en matière de lutte contre la corruption internationale. Le 25 janvier 2017 encore, à l’occasion de la publication du Corruption Perception Index 2016 de l’ONG Transparency International, la France se classe 23ème sans que sa note n’évolue sensiblement depuis 2012.

Michel SAPIN le rappelle : « la justice française sur ce sujet n’a condamné définitivement aucune société française pour corruption active d’agent public étranger depuis 2000, date de la création de cette infraction ». Un retard aujourd’hui inacceptable, notamment lorsque l’image de la France et de ses entreprises en pâtit.

Restaurer une forme de souveraineté           

Selon le rapport d’information sur l’extraterritorialité de la législation américaine du 5 octobre 2016, il y a en France une insuffisance criante des moyens alloués à la justice et notamment au pôle financier. Une « inadaptation totale des dispositifs juridiques de coopération judiciaire classique, qui donnent des résultats aléatoires et avec des délais imprévisibles ». Il est en effet extrêmement difficile de prouver l’acte de corruption et d’en apporter la preuve tangible.

Cette inaction rédhibitoire de la justice française – notamment en raison de la lourdeur de la procédure pénale – à agir lors de cas de corruptions avérés est d’autant plus inacceptable et néfaste à la souveraineté de nos institutions qu’elle a permis à des juridictions étrangères de sanctionner, parfois lourdement, des entreprises françaises.

Les entreprises ne peuvent dès lors plus ignorer la nécessité de se doter d’outils de mise en conformité allant dans le sens d’une lutte active contre la corruption, qu’elle soit induite par la loi Sapin II ou non.

 

L’intérêt de cette initiative gouvernementale est avant tout géopolitique : par l’encadrement légal du comportement des entreprises dans leur pratique des affaires, le pouvoir judiciaire français a l’opportunité de reprendre la main sur les sanctions appliquées aux actes de corruption commis par les entreprises nationales. Le principe du non bis in idem lui permet en effet de proscrire toute poursuite ou condamnation pour des faits déjà jugés ou en cours de jugement.

Selon Dominique Lamoureux, directeur Éthique et Responsabilité d'entreprise de Thales, plus que de sanctionner, le projet de loi a pour objectif d’aider « les entreprises à développer un programme de conformité et s’inscrire dans une démarche éthique […] Cela clarifie les attentes [sic] ». Cette dernière phrase est éloquente : les entreprises, si elles sont de bonne foi, peuvent se prémunir de futures sanctions, notamment à l’international.

Incarner la norme

Afin d’être efficace, il est nécessaire pour la France de se doter des moyens nécessaires afin d’intervenir et de poursuivre les entreprises – françaises ou non – coupables d’actes délictueux ou criminels. C’est pourquoi la loi Sapin II prévoit la création de l’Agence française anticorruption (AFAC), service à compétence nationale chargé de lutter contre les pratiques dites de « manquement à la probité », à savoir : la corruption, le trafic d’influence, la concussion, la prise illégale d’intérêts, le détournement de fonds publics et le favoritisme.

D’un point de vue institutionnel, l’Agence remplace le service central de prévention de la corruption créé par la loi du 29 janvier 1993. Elle en reprend les missions mais s’en voit également attribuer de nouvelles. Placée auprès du Ministre de la Justice et du Ministre chargé du budget, elle a pour but d’aider les autorités compétentes et les personnes confrontées à des phénomènes de corruption. Ainsi, l’agence :     

  • « Centralise et diffuse les informations nécessaires à la prévention et à la détection des faits de manquement à la probité ;
  • Élabore des recommandations destinées à aider les personnes morales de droit public et de droit privé ;
  • Contrôle de sa propre initiative la qualité et l’efficacité des procédures mises en œuvre par l’État, les collectivités, établissements publics, associations et fondations d’utilité publique. »

Pour enquêter sur des phénomènes de corruption, l’agence peut alors s’autosaisir (il est notamment dit qu’elle « contrôle de sa propre initiative la qualité et l’efficacité des procédures ») mais agit également sur demande de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, du Premier Ministre, des ministres ou d’un représentant de l’État. Elle avise ensuite le Procureur de la République compétent des faits dont elle a eu connaissance pouvant constituer un crime ou un délit.

 

Sanctionner sans punir

Vient enfin la question de savoir comment asseoir l’autorité de l’AFAC. Pour parvenir à ses fins, celle-ci est armée d’une commission des sanctions qu’elle peut saisir afin de pénaliser les personnes morales ou physiques contrevenant à leur obligation de conformité. Ces sanctions, d’ordre pécuniaire, s’élèvent jusqu’à 200 000 euros pour les personnes physiques et 1 000 000 d’euros pour les personnes morales.

Si les recommandations formulées ne sont pas respectées, des peines complémentaires de mise en conformité sont prévues par le nouvel article 131-39-2 du Code Pénal pour des délits de corruption ou de trafic d’influence soit 2 ans d’emprisonnement et 50 000 euros d’amende pour les personnes physiques, ou 250 000 euros pour les personnes morales.

Pour les personnes morales ou physiques inquiétées par des faits de corruption, il est toutefois possible de faire appel à la convention judiciaire d’intérêt public à condition que l’action publique n’ait pas encore été sollicitée et que la personne morale reconnaisse les faits et accepte la qualification pénale retenue par le Procureur de la République. Inspirée du Deferred prosecution agreement  américain cette mesure, inconnue de la tradition juridique française, oblige une entreprise à :

  • Verser au Trésor Public une somme proportionnée aux avantages tirés des manquements (limitée à 30 % du chiffres d’affaires moyen annuel) ;
  • La mise en œuvre d’un programme de mise en conformité (voir article n°3) ;
  • La réparation éventuelle des dommages causés par l’infraction.

Loin d’assurer l’impunité des personnes poursuivies, cette mesure souhaite surtout rediriger la manne financière versée par les entreprises aux États-Unis vers le Trésor Public français. Comme l’indique le cabinet PwC, et conformément à l’article 15 du Code civil, «  si des actes de corruption sont commis à l’étranger par une personne de nationalité française ou par une personne résidant habituellement ou exerçant tout ou partie de son activité économique sur le territoire français, la loi française sera applicable en toutes circonstances ».

Moins qu’une punition, symbole de l’exercice du pouvoir de l’État sur ses entreprises, c’est un aspect éducatif et d’accompagnement qui est privilégié à travers la sanction permise par la convention judiciaire d’intérêt public.