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Entretien avec Philippe Charlez (2/3) : L’Europe de l’énergie

Ingénieur et titulaire d’un doctorat en mécanique des roches présenté à l’Institut Physique du Globe en 1983, Philippe Charlez est spécialiste des questions énergétiques. Il a accepté de répondre aux questions du Portail de l’Intelligence Économique sur plusieurs thématiques. Aujourd’hui, nous abordons l’Europe de l’énergie.

Après avoir publié Gaz et pétrole de schiste … en question en 2014, il publie en octobre 2017 un nouveau livre : Croissance, énergie, climat : dépasser la quadrature du cercle.

Cet entretien est décomposé en trois parties :

 

Vous pouvez retrouver la transcription de la vidéo ci-dessous.

 

Transcription de l’entretien :

Portail de l’Intelligence Économique (PIE) : Quelles sont les relations entre transition énergétique et développement durable ?

Philippe Charlez (PC) : Le développement durable est organisé autour de trois grands piliers : le pilier économique, le pilier sociétal et le pilier environnemental. Il y a une vraie relation entre ceux-ci et la transition énergétique :

  • Le pilier environnemental correspond au domaine du « climat » ;
  • Le pilier sociétal correspond au domaine de la sécurité énergétique ;
  • Le pilier économique correspond aux domaines de la compétitivité de l’entreprise et du prix de l’énergie.

Dans ces trois piliers de la transition énergétique, le climat constitue un pilier global qui n’a pas de frontière alors que la sécurité énergétique et la compétitivité des entreprises sont des piliers nationalistes. Plus les deux piliers nationalistes sont grands, plus le pilier du climat est petit, alors même qu’il concerne tout le monde.

C’est pour cela que le pire ennemi de la transition énergétique est le nationalisme, et non le gaz, le charbon ou le pétrole.

PIE : Quelles conséquences pouvons-nous tirer de ces trois piliers ?

PC : Si l’on considère que ce qui est important dans la transition énergétique c’est la sécurité énergétique et la compétitivité des entreprises, alors il faut considérer la transition énergétique comme une somme d’égoïsmes nationaux au sens mondial.

En revanche, si l’on considère que le premier pilier de la transition énergétique est le climat, alors les deux autres sont antinomiques du pilier climatique. Aux États-Unis par exemple, le président Trump sort des engagements de la COP21 en expliquant que cet accord international est contraire au contribuable et aux entreprises américaines. Il renforce donc les deux piliers nationaux contre l’intérêt climatique global.

Ainsi une véritable transition énergétique serait facilitée par des prises de décisions au moins régionales et peut-être mondiales.

PIE : Quelles pourraient être les missions d’une Europe de l’énergie ?

PC : Avant de parler d’une Europe de l’énergie, il faut faire le constat que l’Union européenne fonctionne mal, notamment car elle n’est par articulée autour de projets structurants. Quand ils ont mis en commun les ressources de charbon et d’acier à travers la CECA, les fondateurs européens voulaient construire la paix et éviter un troisième conflit mondial.

Aujourd’hui, l’Europe ne pourra avancer qu’autour de projets structurants. Il y en a plusieurs : la fiscalité, la compétitivité ou encore l’énergie. Cette dernière pourrait donc être un levier très efficace pour relancer le projet européen.

PIE : L’Allemagne est charbonnière, la France nucléaire, la Grande-Bretagne gazière… Une Europe de l’énergie pour dépasser les différences étatiques ?

PC : L’objectif de Donald Tusk lorsqu’il a créé l’Europe de l’énergie en 2014 était de dépasser les différences étatiques. Mais il ne faut pas oublier l’histoire : l’Allemagne est charbonnière, la France nucléaire, la Grande-Bretagne gazière, et les mix énergétiques ne peuvent pas évoluer d’un seul coup.

Cela étant, une Europe de l’énergie aurait l’intérêt de faire évoluer le mix européen vers une adaptation de chaque modèle afin de réduire les émissions de façon marquée. Néanmoins, les grandes décisions sont aujourd’hui nationales. Lorsque l’Allemagne décide de sortir du nucléaire pour des raisons électoralistes en 2011 et aller vers le renouvelable, elle s’est appuyée sur un « ami ». Malheureusement en Allemagne, l’ « ami » fut le charbon. Ainsi depuis 2011, malgré les grands efforts de l’Allemagne pour mettre en place du renouvelable, la quantité d’émissions de gaz à effet de serre a peu diminuée.

Les Britanniques ont fait le chemin contraire. Ils ont décidé de sortir du charbon pour aller vers les renouvelables, en ne touchant pas au nucléaire et en s’appuyant sur le gaz. Ces cinq dernières années, les émissions de gaz à effet de serre britanniques ont ainsi diminué de près de 40%.

En France c’est encore différent : il n’est pas possible de sortir du nucléaire pour aller vers le renouvelable d’un seul coup et le ministre de la Transition énergétique (M. Nicolas Hulot NDLR) a du faire marche arrière, car l’objectif 2025 contenu dans la loi de transition énergétique n’était pas tenable.

C’est une décision politique, car utiliser un « ami » pour sortir du nucléaire et aller vers le renouvelable augmenterait nos émissions de gaz à effet de serre alors que la France est la championne du monde en termes d’émissions.

Si l’Europe mutualisait les données sur les émissions de gaz à effet de serre, une augmentation des émissions en France ne se verrait pas, et permettrait de sortir du nucléaire en s’appuyant sur le gaz et en allant vers le renouvelable plus rapidement.

PIE : L’approvisionnement en gaz israélien réduirait-il la dépendance de l’UE vis-à-vis de la Russie ?

PC : Deux nouveaux acteurs dans le monde du gaz sont apparus dernièrement : dans le Sud-est méditerranéen, on a découvert des gisements gaziers importants en Israël et en Égypte. Israël, qui importait toute son énergie (pétrole, gaz et charbon), va devenir indépendant en gaz : le pays va ainsi transformer ses usines de production électrique fonctionnant en charbon en usine de gaz, ce qui est bon pour le climat.

Israël va par ailleurs devenir exportateur en gaz et pourra exporter vers l’Europe lorsque les pipelines seront mis en place. Ce sera une possibilité pour l’Europe de diversifier l’approvisionnement en gaz, notamment par rapport au gaz russe. Il devra néanmoins être compétitif par rapport au gaz russe, ce qui n’est pas dit, car la construction des pipelines sera coûteuse et devra être amortie.

Propos recueillis par Pouya Canet, Aristide Lucet et Kora Saccharin