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Conséquence du coronavirus : l’ébranlement de l’alliance pétrolière arabo-russe redéfinit les équilibres stratégiques des puissances énergétiques

Effet indirect du coronavirus, la baisse de la demande mondiale en pétrole a conduit l’Arabie saoudite à proposer une nouvelle réduction de la production aux membres de l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) et à ses associés. Toutefois devant le refus de la Russie, la volte-face de la stratégie saoudienne, désormais axée sur les volumes, a redéfini les équilibres des puissances énergétiques au risque d’une guerre des parts de marchés semblable à celle de 2014, impactant fortement les marchés financiers spécialisés et nombre de secteurs dépendant de l’or noir pour leurs activités.

A la suite du ralentissement de l’activité économique et des échanges mondiaux du fait de la diffusion du coronavirus, les treize membres de l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP) et leurs dix autres alliés (dont la Russie) se sont réunis à Vienne les 5 et 6 mars pour convenir d’une réduction supplémentaire de 1,5 million de barils par jour (Mb/j). Présentée par l’Arabie saoudite, cette initiative avait pour objectif d’adapter l’offre de production à la baisse de la demande pour maintenir la stabilité des prix.

Néanmoins cette réunion s’est soldée par le refus d’Alexandre Novak, ministre russe de l’Energie d’entériner une nouvelle diminution, trop risquée à ce seuil critique pour préserver ses parts de marché face au pétrole de schiste américain. A rebours de l’objectif initial de la réunion, l’Arabie saoudite a à la surprise générale, réagi en augmentant sa production de 9,7 à 13 Mb/j, inondant les marchés pétroliers et contribuant à l’effondrement du Brent (baril de référence) de 50 à 33 dollars et de sa cotation sur les marchés financiers (-9% vendredi 6 mars, puis -27% lundi 9 mars), inédit depuis la première guerre du Golfe en janvier 1991. Dans son prolongement, les Emirats Arabes Unis ont également rehaussé leurs capacités de 3 à 4 Mb/j. De son côté, la Russie a annoncé une hausse de 500 000 Mb/j, tout en laissant la porte ouverte à de futures discussions.

Au-delà de l’effet sur les marchés financiers (-8,4% pour le Cac40, -7,8% pour le Dow Jones), ces décisions et leurs conséquences appellent à considérer plusieurs enjeux. Tout d’abord, la situation actuelle rappellerait bien celle de 2014 (où l’Arabie avait adopté sans succès une stratégie de volumes pour contrer l’expansion du schiste américain) si l’extraction du pétrole de schiste était aussi aisée, son coût aussi faible et la dette des compagnies pétrolières stabilisée. Or, les champs faciles d’accès se font rares, leur exploitation devient rentable à partir de 50 dollars le baril (en moyenne) et l’endettement important consenti pour les investissements est de plus en plus difficile à supporter pour d’autres entreprises que les majors locales (Exxon, Chevron, Occidental Petroleum…), faisant présager une perte de vitesse de l’industrie pétrolière américaine. Parallèlement la Russie, forte des 150 milliards de dollars de son fonds souverain et 2000 tonnes d’or, affirme pouvoir financer son budget dès le seuil de 42 dollars/baril, deux fois plus soutenable pour cet Etat du fait d’une économie plus diversifiée que celle de l’Arabie, qui a besoin d’un baril à 83 dollars pour couvrir ses besoins malgré des coûts d’extraction très faibles (2,8 dollars/baril).

Dans ces conditions, l’affaiblissement potentiel de l’industrie pétrolière américaine bénéficierait autant au géant sibérien, sanctionné dans son projet de gazoduc Nord Stream 2 et contesté dans sa sphère d’influence par les Etats-Unis, qu’à son rival moyen-oriental, leader d’une OPEP à l’influence réduite par la surabondance d’hydrocarbures américaines, faisant ressortir une fois de plus la réalité de la coopétition à l’œuvre dans ce secteur. A long terme, la guerre des prix du baril pourrait donc bien profiter à la puissance énergétique la plus résiliente et la mieux positionnée sur le ‘’facteur temps’’.

Enfin, si la chute des cours du Brent a des effets positifs sur les particuliers, importateurs et transporteurs automobiles, aériens ou maritimes restants, elle met sensiblement à mal la croissance des Etats vivant essentiellement de la manne pétrolière, à l’instar de l’Irak, du Nigeria ou de la Norvège à travers son fonds souverain. La fermeture de l’espace aérien des Etats-Unis aux liaisons européennes ne devrait probablement pas non plus redresser les prix du baril, ni plus largement améliorer la santé actuelle de l’économie mondiale.

Louis-Marie Heuzé