Le 2 septembre 1945, l’Allemagne nazie et ses alliés sont battus. Si les vainqueurs de cette guerre étaient alimentés par le désir d’anéantir l’Axe, leurs doctrines divergentes reprennent leur place d’antan. Les blocs de l’Ouest et de l’Est entrent en conflit idéologique. De part et d’autre d’un Berlin disloqué se livre alors une guerre informationnelle visant à achever le camp adverse.
La conférence de Potsdam d’après-guerre réunit respectivement W. Churchill, C. Attlee et H. Truman qui souhaitent redonner à l’Allemagne l’attrait de la démocratie, ainsi que J. Staline aspirant à rallier le peuple allemand au communisme. Chaque dirigeant insuffle à son État une doctrine politique qui lui est propre, discréditant par la même l’opposant et ce, dans un contexte où la «chasse aux nazis» s’additionne à un impérieux besoin de reconstruction. L’URSS utilise alors la dénazification comme levier d’influence afin de fragiliser la République Fédérale Allemande
L’absolution des nazis et la démocratie attirent les allemands soviétisés
Tandis que la chasse aux nazis se poursuit, les tribunaux s’engorgent, la lourdeur administrative qui en découle freine les procédures et la reconstruction allemande semble utopique. Ainsi, à Nuremberg, vingt-quatre hauts responsables du IIIème Reich sont jugés et condamnés, les Alliés espèrent par ce biais étancher la soif de justice des victimes en introduisant pour la première fois la notion de «crime contre l’humanité». Pointés du doigt pour leur implication tacite ou assumée dans le nazisme, neuf millions d’allemands sont alors blanchis après le procès de Nuremberg, se lançant dans la reconstruction économique nécessaire au pays. En 1949, Konrad Adenauer devient chancelier, enterrant pour de bon la chasse aux nazis, il réaffirme la place de l’Allemagne dans la guerre commerciale menée par les grandes puissances. Si bien qu’en 1955, la RFA devient la deuxième puissance industrielle mondiale. Dans l’Allemagne de l’Est de Wilhelm Pieck, l’absolution des citoyens passe par leur adhésion au Parti Communiste, dont les effectifs compteront 175 000 anciens membres du parti nazi ou d’anciens officiers de la Wehrmacht. Le modèle soviétique imprègne alors l’industrie et les grandes usines sont confisquées, accusées d’avoir épaulé un dessein capitaliste au service du Reich. En 1953, une révolte anti-communiste éclate, la réponse est violente et 25 000 insurgés sont arrêtés. Ainsi, chaque année, 200 000 allemands quittent l’Est pour l’Ouest, entraînant une expansion démographique en faveur de la RFA. L’URSS ne cache pas son mécontentement, et, en complément de la délimitation physique de Berlin, elle riposte sur le terrain de la guerre de l’information
L’offensive informationnelle de l’Union Sovétique
L’impunité sur laquelle vogue l’économie de Berlin-Ouest est le principal levier d’influence de la RDA. Adenauer, fier de tirer un trait sur le nazisme est dépeint comme le successeur d’Hitler, et particulièrement contesté sur les postes occupés par d’anciens membres de l’élite nazie, comme Franz Six, ou Friedrich Flick. Cependant c’est l’entourage proche du chancelier qui met le feu aux poudres. Hans Globke, son conseiller le plus proche, a participé à la rédaction des lois antisémites de l’ancien régime. L’Allemagne de l’Est révèle l’information à un moment stratégique, c’est-à-dire durant le procès d’Adolf Eichmann à Jérusalem. La pression exercée pousse Globke à la retraite et Adenauer quitte ses fonctions en 1963, donnant donc raison à la stratégie soviétique.
Le plan d’action des communistes vise à relayer l’information compromettante auprès de médias occidentaux afin que la polémique bourgeonne à l’intérieur même de la RFA. A titre d’exemple, un expert communiste décèle en 1968 que la signature de Heinrich Lübke, successeur de K. Kiesinger apparaît sur les plans des camps de concentration, l’incriminant pour son implication dans la Shoah. L’information est transmise à The Gazette, maison de presse canadienne, qui le diffuse dans son journal, l’embrasement populaire s’ensuit, fragilisant l’Occident. Pansant les plaies encore ouvertes de la guerre, les Soviétiques placent leurs pions hors du terrain militaire afin d’appuyer leur influence. Pousser l’ennemi à se déchirer de l’intérieur est finalement plus fertile que de l’attaquer frontalement considérant la déstabilisation politique et la division citoyenne qui en découlent.
Au-delà d’un désir d’affaiblissement de l’ennemi, la guerre de l’information menée contre les Alliés cache une autre intention ; parler des autres pour éviter que les Soviétiques et citoyens des États satellites ne s’attardent trop sur leur sort. La RFA est incriminée quant au nombre d’anciens nazis œuvrant dans son administration, cependant, les Soviétiques ne peuvent pas s’en délier non plus. Les douze années de gouvernance des nazis les ont placés au cœur de la machine administrative et étatique, ils sont par conséquent trop nombreux et trop importants pour être remplacés. De plus, malgré un contrôle drastique de l’information, les Allemands de l’Est réalisent que l’Allemagne occidentale se construit plus vite et plus librement, preuve en est que les populations ne migrent que vers l’Ouest. Cela dit, l’URSS sait s’appuyer sur la colère post-mai 68 et le jaillissement de groupes virulents pour irriguer son influence.
Un groupe terroriste au soutien du dessein soviétique
En 1968 émerge la Fraction Armée Rouge (Rote Armee Fraktion, ou RAF), aussi appelée Bande à Baader. Ce groupe terroriste d’extrême gauche sévira jusqu’en 1998 en Allemagne de l’Ouest, contribuant aux années de plombs allemandes et plus généralement à un schéma d’insécurité et de peur en Europe. En 1977, la RAF kidnappe et détient en otage Hanns Martin Schleyer, au passé tumultueux. Ancien membre d’un mouvement national-socialiste au lendemain de l’annexion de l’Autriche par le IIIe Reich, il est plus tard chargé de favoriser l’intégration de l’industrie de la Bohême-Moravie dans celle de l’Allemagne nazie. La RFA ne cède pas au chantage du groupe terroriste qui assassine le patron industriel allemand. Ce meurtre secoue l’Allemagne, cependant la mise en lumière du passé du défunt entache de nouveau l’Occident. Son inaction face à la réinsertion nazie a certes déjà créé la discorde, mais l’offensive de la RAF alimente la doctrine anti-occidentale aux yeux du peuple. Dans une même mesure, la stratégie d’unité des révolutionnaires en Europe de l’Ouest pousse la Fraction Armée Rouge à s’allier à Action Directe en France en 1984 puis quatre ans plus tard aux Brigades Rouges italiennes, musclant la mainmise communiste en Europe. Bien que le groupe soit qualifié de terroriste, toute la population ne le tient pas en criminel. Les partisans de l’abolition du simple combat politique au profit d’actes violents idolâtrent la Bande à Baader voire l’érigent en martyr, témoignant par là même l’efficacité de l’influence bolchévique.
Finalement, l’Union Soviétique a appliqué de manière agile l’art de fragiliser l’ennemi hors du terrain martial. La guerre informationnelle engendrant une rage populaire a ici prouvé sa fertilité considérant le tintamarre provoqué dans la politique et le crédit ouest-allemands. En outre, l’URSS s’est illustrée dans l’exercice du détournement de regards et usant, finalement, des mêmes leviers d’influence que ses ennemis de l’Axe.
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