Depuis le retrait des États-Unis du Plan d’action global conjoint en mai 2018 et l’imposition de nouvelles sanctions à l’Iran par l’administration de Trump, Téhéran a perdu l’espoir de normaliser ses relations avec l’Occident et a marché vers l’Est. La stratégie iranienne vise à renforcer la coopération économique et informationnelle avec la Russie. La République islamique d’Iran a connu un certain nombre de graves échecs en matière de renseignement, la signature de ce pacte russo-iranien est une tentative de réforme de l’appareil de contre-espionnage du régime.
L'Iran et l'Union économique eurasienne : opportunités et risques
Lors de sa visite à Moscou en février 2021, le président du Parlement iranien, Mohammad Baqer Qalibaf, a annoncé que Téhéran souhaitait devenir un membre à part entière de l'Union économique eurasienne (UEEA). Cette déclaration montre que l'Iran cherche à renforcer ses relations avec les membres de l'UEEA, dirigée par la Russie, et à trouver des moyens de sortir de l'isolement total de l'Occident et de ses alliés au Moyen-Orient. L'Iran, dans sa stratégie de « Look to the East policy » , essaie maintenant de faire partie de l'UEEA.
Bien sûr, cela ne montre pas seulement que l'Iran poursuit des objectifs économiques, mais reflète également l'ambition politique de Moscou d'unir ses alliés dans un groupe politique et économique fort. Tout d'abord, elle ouvrira le marché des 180 millions d'habitants de l'UEEA aux produits iraniens. À son tour, l'Iran devra également ouvrir pleinement son marché aux marchandises russes, arméniennes, biélorusses, kazakhes et kirghizes. Les parties ont déjà pris des mesures pour améliorer leurs relations commerciales, lorsque le 17 mai 2018, dans le cadre du Forum économique d'Astana, elles ont signé un accord intérimaire conduisant à la formation d'une zone de libre-échange entre les États membres de l'Union économique eurasienne et l'Iran. Cet accord est entré en vigueur le 27 octobre 2019. Le commerce entre l'Iran et l'UEEA a atteint 3 419 milliards de dollars en 2020, soit 8 % de plus par rapport à la même période de 2019.
La réforme du renseignement iranien suite à leurs récents échecs
L'Iran tente ainsi de renforcer ses relations politiques et économiques avec les États membres de l'UEEA et de rétablir ses positions affaiblies en Asie centrale et dans le Caucase du Sud, avec l'aide du Kazakhstan, du Kirghizstan et de l'Arménie. En devenant membre à part entière de l'UEEA, dirigée par la Russie, l'Iran tente de renforcer sa sécurité et de pallier aux derniers échecs qu’a connu le renseignement iranien.
La République islamique d'Iran dispose d'un appareil de renseignement vaste et complexe. Ses deux institutions de renseignement les plus importantes sont le ministère du renseignement (MOI) et la branche renseignement du Corps des gardiens de la révolution islamique (IRGC). Une troisième organisation clé du renseignement est l'Organisation de protection du renseignement de l'IRGC, qui fonctionne indépendamment de la branche du renseignement du Corps et qui s'occupe du contre-espionnage.
Si les services de renseignement iraniens sont bien équipés et ont obtenu des succès importants en matière de propagande informationnelle ou notamment dans le domaine du renseignement sur les transmissions, ou SIGINT. L'appareil de renseignement du pays est déficient en ce qui concerne le contre-espionnage, ou « protection du renseignement » comme le régime l'a rebaptisé. Les trois derniers échecs en matière de contre-espionnage ont concerné l'assassinat du chef de la Force Quds, Qassem Soleimani, à Bagdad, le meurtre du numéro 2 d'Al-Qaïda sur le sol iranien et l'assassinat à Téhéran de l'architecte du programme nucléaire iranien, Mohsen Fakhrizadeh. Il ne fait aucun doute que le récent assassinat de l’architecte du programme nucléaire iranien, qui a été un énorme embarras pour le régime, a intensifié ce processus. Cela est d'autant plus vrai que le chef des espions iraniens a récemment affirmé dans une interview que l'assassinat de Fakhrizadeh était organisé par un membre des forces armées iraniennes cela indique que les services de renseignements et de contre-espionnage iraniens sont compromis.
Après que le second d'Al-Qaïda, Abu Muhammad al-Masri, ait été assassiné par le Mossad israélien à Téhéran, la faiblesse du contre-espionnage iranien allait contraindre le régime à réformer son contre-espionnage. Pour ce faire, il était probable qu'il se tournerait vers la Russie. Le mois dernier, en janvier 2021, le ministre des Affaires étrangères iranien Muhammad Javad Zarif a effectué une nouvelle visite à Moscou pour rencontrer son homologue, Sergueï Lavrov. Zarif s'est rendu en Russie plus de 30 fois, ce qui a mis en lumière la grande dépendance de la République islamique à l'égard de ce pays. Sa dernière visite a été marquée par la signature d'un traité de sécurité entre les pays.
Le pacte de renseignement, un moyen pour l’Iran de renforcer sa sécurité physique et informationnelle
Lavrov a déclaré à l'agence de presse russe TASS : « Nous [la Russie et l'Iran] avons signé un accord intergouvernemental sur la coopération pour assurer la sécurité de l'information ». Il n'a pas fourni d'autres détails. L'Iran, cependant, a déclaré par l'intermédiaire de l'Agence de presse de la République islamique (IRNA) que l'accord impliquait une collaboration en matière « d'information, de crimes commis par l'utilisation des technologies de l'information et des communications, d'aides technologiques, de coopération internationale, y compris la reconnaissance, la coordination et la coopération nécessaire aux communautés régionales et internationales pour garantir la sécurité nationale et internationale ».
Alors que l'accord vise ostensiblement à accroître la collaboration entre les pays dans le domaine de la cybersécurité, l'agence de presse Tasnim, qui a des liens étroits avec l'IRGC, a déclaré : « Le chef de l'Organisation de la défense civile de l'Iran [..] a dévoilé des plans de coopération conjointe axés sur l'échange de renseignements, l'interaction contre les menaces et la défense commune ». Le ministère iranien des Affaires étrangères a déclaré dans un communiqué de presse que l'Iran et la Russie avaient signé un « Pacte de coopération en matière de sécurité de l'information » et que l'un des objectifs du pacte est de « renforcer la sécurité de l'information ». Si la sécurité de l'information et la cybersécurité sont les principaux objectifs de l'accord, les spécialistes des études sur le renseignement sont bien conscients du lien étroit qui existe entre la sécurité de l'information et le contre-espionnage. Nombreux sont ceux qui affirment que la sécurité de l'information est effectivement le principal objectif du contre-espionnage (ou de la « protection du renseignement », pour reprendre le terme du régime islamique). Le cyber-espionnage est considéré par de nombreux organismes de renseignement comme une question de contre-espionnage.
L'Iran devient peu à peu le principal partenaire du tandem sino-russe au Moyen-Orient et tente de trouver son rôle dans le pôle politico-économique oriental, qui émerge après la conjonction de l'UEEA dirigée par la Russie et de l'IRB de la Chine en 2015. Le pacte Iran-Russie n'est pas une surprise. Plus d'un an s'est écoulé depuis l'assassinat de Soleimani et six mois se sont écoulés depuis l'assassinat d'al-Masri. Les services de renseignements iraniens ont eu tout le temps d'analyser leur appareil de contre-espionnage, de faire face à ses énormes faiblesses et de présenter leurs conclusions aux décideurs politiques. Les échecs successifs qu’a subi le contre-espionnage iranien ont déclenché cette mutation. Le régime s’appuie donc sur la Russie sur le plan économique avec l’UEEA et informationnel avec le pacte de sécurité de l'information comme leviers de ce virage Iranien vers l’est.
Bastien Thérou, pour le Club Défense de l’AEGE
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