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[JDR] : Le retard français dans l’innovation nucléaire civile, un risque économique et de souveraineté

Suite au choc pétrolier de décembre 1973, le Gouvernement français a lancé le “plan Messmer”. Celui-ci prévoyait la construction de trois réacteurs nucléaires par an afin de placer le nucléaire au cœur de la production d’énergie française. Cependant, très rapidement un lobby antinucléaire s’est développé, ralentissant la R&D et menant à l’abandon de plusieurs projets d’innovation dans le domaine nucléaire français. Cette situation crée aujourd’hui un réel risque quant à la souveraineté énergétique de la France et à son statut de pays pionnier dans l’énergie atomique.

Le nucléaire en France, une histoire de longue date

Dès 1945, le Général de Gaulle, alors chef du GPRF, ordonne la création du Commissariat à l’Energie Atomique (CEA). Cela permet à la France de multiplier les investissements et d’acquérir un véritable savoir-faire dans le domaine du nucléaire civil qui voit néanmoins son développement s’accélérer à partir des années 1950, car bénéficiant du lancement des programmes nucléaires militaires. Mais c’est au début des années 1970 que la France fait véritablement le choix du « tout nucléaire » pour sa production électrique. Ainsi, longtemps considérée comme étant un pays précurseur dans le domaine du nucléaire du fait d’un investissement massif, la France s’est rapidement placée parmi les pays leaders en termes de développement nucléaire. 

Aujourd’hui, la part de l’électricité d’origine nucléaire dans la production totale d’électricité est de 70%. Elle était de 77% en 2018 mais en 1973 représentait 8% de la production d'électricité française. En 2021, la France dispose sur son territoire de 58 réacteurs regroupés au sein de 18 centrales. D’une manière plus générale, la filière nucléaire, troisième filière industrielle en France, représente “3000 entreprises, 220 000 emplois ainsi que 5000 recrutements prévus en 2021” selon le site officiel de l’Elysée.

Du fait d’investissements colossaux, la filière nucléaire civile est à la fois facteur de hard et de soft power. En effet, d’une part, celle-ci a pris une dimension primordiale et stratégique pour la puissance économique de la France et d’autre part, elle participe à son rayonnement international, développant un savoir-faire qu’elle exporte à l’international.

L’abandon des projets d’innovation nucléaire, un risque pour la puissance française

La France, pourtant très engagée dans le développement et la recherche sur le nucléaire, connaît les premières difficultés avec l’abandon du Prototype Superphénix. En 1997, à la suite de nombreuses manifestations antinucléaires ainsi qu'à des incidents techniques, ce réacteur surgénérateur expérimental est arrêté sur ordre de Dominique Strauss-Kahn alors ministre de l’Économie et des Finances. Plus récemment, 2019 marque également une année difficile pour la filière nucléaire : le programme Astrid initialement lancé en 2010 par l’Etat est lui aussi à l’arrêt. Ce programme avait pour but le passage au stade industriel des réacteurs nucléaires de  4ème génération dit RNR. Ces derniers auraient la particularité de réutiliser les déchets nucléaires que la France possède déjà. Ils auraient, de ce fait, permis de ne plus acheter d’uranium et conduit ainsi à une autonomie en termes de ressources. Ce projet avait de plus pour ambition de tirer cent fois plus d’énergie que les réacteurs actuellement possédés par la France.

Alors même que le projet Astrid propose une solution aux principaux arguments des antinucléaires, à savoir le traitement des déchets d’uranium 238 et plutonium, son arrêt constitue un réel coup dur pour l’innovation du nucléaire. Celui-ci s’ajoute aux échecs à répétition dont souffre également la centrale nucléaire de Flamanville. Cette dernière devait livrer un réacteur de troisième génération dit EPR, initialement prévu en 2012 mais a, selon les Echos, finalement été replanifié en 2022. Cet échec a participé à fragiliser l’industrie du nucléaire civil. Le chantier de Flamanville a été pointé du doigt de nombreuses fois, comme étant un projet coûteux et qui traîne sur la durée. Par ailleurs, craignant les risques que fait peser l’énergie nucléaire en termes d’exploitation et de stockage des déchets, le lobby antinucléaire a conduit la France à freiner son développement et ses innovations. Démontrant alors aujourd’hui un retard certes rattrapable, mais bien réel.

Vers un regain d'intérêt pour la filière nucléaire française

L’année 2021 sonne très probablement le retour triomphal du nucléaire dans les plans français quant à la production d’énergie. En effet, la question tient une place croissante dans le débat public. Lors de la période de l’hiver 2020/2021, des craintes de coupures d’électricité étaient avancées par plusieurs spécialistes et relayées par de nombreux journaux. Alors que les énergies renouvelables, dites vertes, au cœur des préoccupations et des priorités du gouvernement français, sont censées prendre une place croissante dans la production d’électricité nationale, la France dépend toujours de l’énergie atomique à plus de 70%

Le nucléaire est de retour à l’avant de la scène politique. En témoigne la déclaration du ministre de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire : “Nous croyons au nucléaire”,  le 15 avril  2021 lors de son déplacement à Gonesse dans le Val-D’Oise avec la ministre déléguée à l'industrie, Agnès Pannier-Runacher. Alors que les articles et déclarations liés aux nucléaire se multiplient, le débat sur l’exploitation du nucléaire afin de s'affranchir des énergies fossiles occupe une place croissante. Certains écologistes, pourtant historiquement antinucléaire, affichent aujourd’hui leur soutien à la filière nucléaire dans la mesure où elle permettrait de limiter le risque de réchauffement climatique. En effet, l'électricité bas carbone est principalement produite par le nucléaire, qui émet 6g de CO² par KW/h, lorsque le gaz émet 490g de CO² par KW/h. Mais le gouvernement français et l’Union Européenne s’apprêtent à aller encore plus loin. Le 19 mars 2021, Emmanuel Macron avait suggéré à la Commission européenne l’idée de classifier le gaz et l’énergie nucléaire comme énergies dites « propres ». Cette classification permettra à des investisseurs et à des fonds d’investissement de soutenir l’industrie du gaz et du nucléaire en accédant à la finance dite verte. Néanmoins, si l’exploitation de l’énergie nucléaire respecte les accords de la COP 21 ainsi que les accords de Paris, ce n’est pas encore le cas du gaz du fait de son émission de CO² par KW/h trop importante.

Par ailleurs, la dimension stratégique est capitale. Les politiques ont bien saisi qu’un choix s’impose quant au chemin que la France va emprunter ; un tournant décisif lors des débats des prochaines élections présidentielles de 2022.

Néanmoins le retard lié à l'arrêt des projets majeurs, à l’image du projet Astrid en 2019 constitue un point de faiblesse. La France accumule sans nul doute du retard vis-à-vis des pays leaders en termes d’innovations dans le nucléaire tandis que les autres pays prennent la tête sur ces réacteurs dit de 4ème génération, pourtant initialement développés par la France.

 

Thibaud Emard-Lacroix pour le club Risques de l’AEGE

 

Pour aller plus loin :