Les entreprises du secteur engagées dans la transition énergétique font face à de nombreux défis. Exposées à toujours plus de risques et d’incertitudes, elles peinent à garder un équilibre entre les attentes parfois contradictoires des actionnaires, États ou consommateurs, et des moyens limités en capital ainsi qu’en temps.
Les entreprises sont soumises à des réglementations de plus en plus strictes concernant la protection de l'environnement et leur bilan carbone. De même, il y a longtemps que des ONG comme Greenpeace font pression pour qu’elles réduisent leur impact environnemental et passent aux énergies renouvelables. C’est plus récemment que les fonds d’investissements ont commencé à les rejoindre dans leurs exigences écologiques.
Depuis le début de la pandémie du covid-19, nombre d’entre eux, comme BlackRock, auraient pris conscience du potentiel impact des risques naturels sur l’activité des entreprises. Qu’il s’agisse de satisfaire leurs investisseurs ou bien d’un souci économique ou environnemental, leurs demandes en termes de Responsabilité Sociale et Environnementale (RSE) sont devenues plus strictes en 2020. BlackRock a notamment sanctionné plus de 50 entreprises pour leur manque de progrès dans la lutte contre le réchauffement climatique. Plus ferme, cette récente posture rajoute une pression à l’accélération de la transition énergétique.
La rentabilité de la transition assurée par des politiques publiques remise en question
Cependant, le développement de l’activité des énergies renouvelables nécessite d’importantes ressources financières et logistiques. Malgré les aides gouvernementales telles que la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, le coût est non négligeable. Les investissements dans les grands projets atteignant les milliards de dollars, il est aujourd’hui irréaliste pour la plupart des entreprises de garder le même niveau d’activité et de productivité tout en passant directement aux énergies renouvelables. Non seulement le changement nécessite plusieurs années pour se faire, mais les entreprises ont besoin du capital pour survivre entre temps.
C’est pourquoi de nombreuses entreprises comme Total ont choisi une approche progressive, utilisant les revenus de leurs énergies carbonées pour financer la transition. Cependant, même cette stratégie représente un défi lorsqu’elle se confronte aux entreprises ne prenant pas part à la transition. C’est le cas de certaines entreprises étatiques telles que la Saudi Aramco ou l’Abu Dhabi National Oil Company qui « ne sont pas prêtes à cesser de produire » ou encore les entreprises russes qui saisiraient l’opportunité pour s’emparer des actifs et des parts du marché. Avec cette approche progressive, les entreprises s’exposent aussi au risque des « stranded assets » ou bien « actifs bloqués ». L’Agence Internationale de l’Environnement les définit comme « ces investissements qui ont déjà été faits, mais qui, à un moment précédant la fin de leur vie économique, ne sont plus capables de procurer un retour économique ». Il peut s’agir par exemple des droits d’exploration d’une région ou des actifs avec une infrastructure déjà mise en place. Une réduction des extractions des énergies fossiles comme l’exigent les objectifs des Accords de Paris mènerait à une modification du système de valorisation des ressources. Ce changement pourrait faire couler des investissements allant dans les millions ou milliards de dollars sur plusieurs années ; les mêmes investissements qui sont censés financer la transition énergétique.
L’incertitude économique, ou le risque d'éclatement de la bulle énergétique
Avec la pandémie du covid-19, les gouvernements et institutions internationales ont investi de larges sommes dans les aides aux particuliers et aux entreprises pour protéger leurs économies. Malgré tout, le monde subit actuellement un ralentissement économique exceptionnel et la reprise reste incertaine pour beaucoup. Dans ce contexte, le surendettement des États pourrait les forcer à réduire les aides dans des secteurs considérés moins critiques. En fonction de la vision des dirigeants, cela pourrait passer par une diminution ou suppression des subventions accordées au secteur des énergies renouvelables. Le secteur des énergies renouvelables reste encore petit comparé à celui des énergies carbonées et leur rentabilité sur le long terme reste incertaine sans ces aides étatiques. De manière générale, retirer les aides au secteur entraînerait une déstabilisation du marché et une baisse de confiance. Or, d’après Patrick Pouyanné, directeur général de Total, le marché est dans une bulle où la valorisation équivaut souvent à 25 fois les gains. Si jamais ces derniers et la stabilité du marché venaient à être remis en question, on pourrait observer une perte de confiance et une panique provoquant un krach boursier comme celui de l’immobilier en 2008-2009.
Les producteurs d’énergie doivent aujourd’hui faire face au dilemme d’attentes divergentes, et parfois incompatibles. Les pressions grandissantes pour accélérer la transition énergétique ne semblent pas toujours prendre en compte les investissements qu’elle nécessite. Viennent s’ajouter les risques multiples liés aux nouvelles incertitudes. D’un côté, la valeur financière des énergies fossiles perd en stabilité. De l’autre, le marché des énergies renouvelables pourrait s’avérer être une bulle financière. En prenant compte de ces facteurs, on peut mieux comprendre la complexité de la situation dans laquelle se trouvent les entreprises qui tentent de relever le défi de la transition énergétique.
Bastien Bourges pour le club risques de l'AEGE
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