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L’influence de la politique agricole commune sur la souveraineté alimentaire française (Partie 3/3 : Le déclassement )

Suite à l’état des lieux sur la PAC et à la présentation des facteurs internes de celle-ci qui constituent des handicaps pour l’agriculture française, le Club Relations publiques de l’AEGE au cours de multiples entretiens a constaté que le déclassement agricole français peut s’accentuer par des décisions de politique étrangère, commerciale et par des choix franco-français comme la surtransposition normative.

Contradiction entre la politique commerciale et la politique agricole au niveau européen

La politique commerciale est l’une des compétences exclusives de l’Union européenne. Ainsi, c’est elle qui négocie les accords commerciaux. S’agissant de l’agriculture, ces accords suscitent de vives polémiques à l’intérieur de l’UE car pour de nombreux acteurs ils manquent d’équité et de réciprocité. Tous nos interlocuteurs nous ont précisé qu’il est nécessaire d’échanger puisque nous sommes dans un monde mondialisé. Christine Avelin, directrice générale de France AgriMer nous a rappelé que les échanges commerciaux à l’échelle mondiale sont nécessaires parce que des pays sont déficitaires comme en Afrique du Nord et des zones entières de la planète connaissent des pénuries alimentaires voire pire, des famines. Mais quand l’UE négocie, il apparaît que trop souvent l’agriculture est la variable d’ajustement comme nous l’a dit Christine Lambert, présidente de la FNSEA. Ainsi, on exporte vers ces pays des produits à forte valeur ajoutée comme les Airbus ou les Rafale mais en contrepartie on accepte d’importer des produits agricoles qui concurrencent directement les produits agricoles européens. De plus, ces produits agricoles ne respectent pas nos normes sociales, sanitaires et environnementales. A ce titre l’accord MERCOSUR, de libre-échange entre l’UE et l’Amérique latine, est jugé très déséquilibré en raison notamment des conditions d’élevage et d’une main d’œuvre à un coût moindre au coût européen. Toutefois, l’agriculture européenne et en particulier celle française présente des avantages compétitifs.

Christine Avelin a nuancé ces propos en indiquant que ce que l’on présente comme des faiblesses peut se révéler être des atouts, comme les infrastructures, le niveau de formation, d’excellents rendements, de la nourriture de qualité grâce aux normes sanitaires et une recherche agronomique performante. Face à cette situation, l’UE, sous l’impulsion du commissaire européen chargé du commerce Valdis Dombrovkis, promeut “l’autonomie stratégique ouverte”. Concrètement, l’UE doit viser l’autonomie stratégique en termes alimentaires et veiller à ce que les échanges commerciaux soient équitables de part et d’autre.

Les dégâts de la politique extérieure européenne sur l’agriculture française

 La politique extérieure de l’Union européenne et sa politique agricole sont complémentaires puisqu’elle peut être un levier comme nous l’a parfaitement démontré Christiane Lambert. En effet, la PAC a un volet extérieur c’est-à-dire que de la production agricole est stockée et celle-ci peut être destinée à venir en aide aux populations dans le besoin comme les Rohingyas ou les chrétiens d’Orient. Par exemple, suite à l’explosion du port de Beyrouth, du blé stocké est parti pour venir en aide à la population libanaise. A contrario, dans certains cas, la politique extérieure européenne peut provoquer de graves dégâts sur l’agriculture européenne et notamment française.

Pour illustrer notre propos, le plus bel exemple est la crise ukrainienne de 2013-2014 dont le point d’acmé a été l’annexion de la Crimée par la Russie. Consécutivement à cette annexion, les dirigeants européens ont pris des sanctions à l’encontre de la Russie, celle-ci a aussitôt réagi en prenant des mesures de rétorsion à destination de nombreux produits dont le vin, la viande, le lait…Cela a fortement pénalisé les producteurs de porcs français et a provoqué un effet inattendu. Il convient de rappeler la situation avant la crise ukrainienne. La Russie importait beaucoup de produits agricoles européens dont du blé et du porc. S’agissant du porc, elle importait 750 000 tonnes de porcs européens dont 75 000 tonnes de porcs français. En effet, grâce aux revenus tirés de l’exploitation gazière, Vladimir Poutine a décidé d’investir massivement dans l’agriculture russe en utilisant ses nombreux atouts à savoir un espace immense et des coûts de production très inférieurs à la France en termes d’intrants et de main-d’œuvre. Ces investissements ont des conséquences positives pour la Russie mais très fâcheuses pour la France. Désormais, la Russie n’achète plus de porcs à la France, ce qui a constitué un des éléments d’explication de la crise du secteur porcin, et est même devenue exportatrice. Parmi ses clients on peut citer la Chine. En outre, elle concurrence fortement le blé français puisque cet Etat se met à produire du blé conventionnel et bio. Par ailleurs, dans le bassin méditerranéen, la présence de la Russie s’accentue fortement au détriment de la France.

Toutefois, Christine Avelin nuance ces propos en insistant sur le fait que l’Europe reste compétitive au niveau mondial en exportant une bonne part de sa production agricole.  Pour prendre conscience de ces propos, on peut retenir que le prix russe de la tonne de blé est de 170€ alors que le prix européen est de 180€ et le prix français est de 200€. De plus, elle nous a aussi indiqué que de nouveaux acteurs sont arrivés dans le concert des exportateurs mondiaux. Elle a cité les pays qui constituaient le bloc de l’Est qui sont passés par deux stades à savoir une modernisation lente mais des investissements continus qui leur ont permis en définitive d’être compétitifs. Tout le contraire de la France qui n’a pas investi dans son agriculture depuis de nombreuses années. Outre le manque d’investissement, notre agriculture présente une autre faiblesse.

Pour Alain Moulinier, conseiller général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux, l’agriculture française souffre d’un handicap structurel à savoir la taille des exploitations agricoles. Il nous a indiqué que la France privilégie une agriculture familiale. Cette organisation empêche toutes économies d’échelle que l’on peut retrouver dans des exploitations importantes et qui utilisent des méthodes intensives. Par ailleurs, l’Allemagne a profité de la réunification pour investir massivement dans son agriculture. Ainsi, il serait préférable qu’à l’avenir les dirigeants européens prennent en compte toutes les retombées de leurs décisions. Cet exemple est une illustration parmi d’autres des conséquences de la politique extérieure de l’UE influence l’agriculture européenne et vice-versa.

Après l’exception culturelle française, l’exception normative ?

La PAC se déploie au travers d’un cadre normatif strict qui constitue un socle commun à tous les pays. De nombreux acteurs comme les agriculteurs se plaignent de la “surtransposition normative française”. Ils estiment que quand une directive européenne est adoptée, la France durcit la directive pour passer pour le meilleur élève de la classe européenne. Pour illustrer son propos, Christiane Lambert nous a cité la directive cadre eau relative à la gestion communautaire de l’eau. Les Etats européens doivent définir des masses d’eau conformes. Certains pays ont choisi d’avoir 44% de leur masse d’eau conforme d’ici 5 ans. La France a indiqué qu’elle respecterait un taux de 66%. Ces pays atteindront leur objectif alors que sans doute la France n’atteindra pas son objectif et sera sanctionnée. Ainsi, la “surtransposition normative” entraîne un affaiblissement du statut agricole français car les agriculteurs se voient imposés trop de contraintes et même un alourdissement de ces contraintes. A contrario, ce constat n’est pas du tout partagé par de nombreux professionnels.

Christine Avelin nous a indiqué que ce terme renvoie au débat sur une supposée “surenchère” du droit de travail français. Elle trouve normal qu’on fixe un niveau de normes élevé pour aboutir à un niveau élevé de qualité des produits agricoles. Le législateur ne fait que suivre la demande exprimée par les citoyens français qui expriment leur volonté que le curseur en matière de sécurité et de qualité alimentaire soit placé très haut.  Par ailleurs, pour appuyer ses propos, elle nous a cité les conclusions d’une étude comparative avec l’Allemagne concernant le système d’autorisation ICPE (Installations Classées Protection de l’Environnement). Par ailleurs, pour appuyer ses propos, elle nous a cité les conclusions d’une étude comparative avec l’Allemagne concernant le système d’autorisation ICPE (Installations Classées Protection de l’Environnement), dans laquelle il apparaît que l’Allemagne est plus ou moins stricte que la France selon les domaines. Toutefois, elle reconnaît que notre tradition administrative a tendance à vouloir réglementer jusque dans le moindre détail et que comparativement à d’autres pays européens, la France a une surproduction réglementaire et législative. Nos interlocuteurs nous ont parlé des solutions qui existent notamment en termes de simplification. Ainsi, Ludovic Royer, chargé de développement transition écologique à l’AFNOR (Association française de normalisation) nous a rappelé le combat de sa structure pour qu’à l’issue de l’adoption d’une norme au niveau européen les normes nationales similaires soient supprimées afin qu’il ne reste qu’un seul et unique texte.

La PAC a un impact non négligeable sur la souveraineté alimentaire française puisqu’elle a la politique la plus intégrée et que les règlements européens s’imposent directement aux Etats membres. Elle a permis à l’agriculture française d’être à un haut niveau de qualité et de rendements. Toutefois, les décisions françaises et européennes annulent certains bénéfices en contribuant paradoxalement au renforcement des agricultures concurrentes.

Nous souhaitons remercier tous les intervenants interviewés qui nous ont permis de réaliser ces comptes-rendus.

Pierre-Louis Julien

 

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