La diplomatie des loups guerriers, véritable stratégie de communication ? (Partie 1/2)

Depuis près d’un an, un regain de tensions s’est fait ressentir dans la communication des diplomates chinois. Habituée à une diplomatie douce de la part de l’Empire du Milieu, la nouvelle doctrine diplomatique des « loups-guerriers » monte en puissance sur la scène internationale pour imposer les intérêts économiques et les valeurs de la Chine à travers le monde. Pour autant, cette nouvelle forme de communication a tendance à réveiller la méfiance à l’égard du régime communiste, dès lors peut-on réellement parler d’une réelle stratégie diplomatique ?

Une diplomatie plus offensive, la patte de Xi Jinping

Depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, la diplomatie chinoise laissant derrière elle  la diplomatie des pandas. Ayant rajouté à son arsenal le déploiement d’une influence bien plus agressive, on peut désormais voir l’ambassade de Chine en France traiter un chercheur français de « petite frappe » ou encore  condamner à dix ans de prison  un Suédois d’origine chinoise primé   pour des œuvres critiquant la Chine. Longtemps habituée à courber l’échine avec la politique du profil bas mis en avant par Deng Xiaoping, la Chine montre désormais ses muscles. Ici est sous-jacente toute l’humiliation vis-à-vis des puissances occidentales durant le XIXᵉ siècle. Par exemple, la signature des traités inégaux, dont la  frustration est restée dans les mémoires chinoises et ressurgit désormais sous la forme d'une revanche sur ses anciens colons. Cette agressivité a de quoi surprendre lorsqu’on regarde cela d’un œil extérieur, contrairement à la Chine qui considère cela comme un juste retour de bâton pour les occidentaux.

Considérant  désormais qu’elle a les moyens de répondre aux puissances occidentales qui la dénigrent, ce virage est le fruit d’une stratégie décidée par le gouvernement chinois pour “raconter l’histoire de la Chine différemment”. Cela correspond au schéma selon lequel Xi Jinping considère que son pays a désormais le droit à la parole sur la scène internationale. Ce changement de paradigme dans l’affirmation de la puissance de la Chine se constate donc avec ses nouvelles armes qu’elle n’utilisait pas autant auparavant.  Cette vision du monde est justement l’un des points cruciaux du film Wolf Warriors 2 où la Chine vient sauver la veuve et l’orphelin en Afrique des mains des occidentaux. C’est justement de ce film d’où est tiré l’expression “loups-guerriers”. 

Cette diplomatie agressive n’est pas nouvelle contrairement à ce qu’on pourrait laisser penser, la crise du Détroit de Taiwan en 1996 ou les manifestations contre le bombardement accidentel de l’ambassade de Chine à Belgrade par les avions de l’OTAN montrent la même rhétorique. Pour autant, elle s’est considérablement exacerbée avec la montée en puissance de la Chine. En effet, elle se permet de tenir ce type de discours grâce à la réussite de son modèle et la nouvelle légitimité qu’elle détient dans les sphères internationales.  Pour cela, elle met en avant sa gestion de la crise du Covid-19 où elle a  maîtrisé l’épidémie au prix de mesures  drastiques pour promouvoir le “modèle chinois” là où les Occidentaux font face à des vagues successives. Elle est aussi la seule puissance du G20 à avoir retrouvé un taux de croissance positif pour l’année 2020. Sur le plan technologique, elle fait partie des pays en tête de liste pour le déploiement de la 5G au détriment des Américains et elle investit massivement dans l’intelligence artificielle et dans le quantique. De plus, dans le domaine militaire, l’armée Populaire de Libération est la plus grande armée en terme numéraire mais elle parviendrait également à concurrencer sérieusement l’armée américaine en terme qualitatif. Ces éléments témoignent d’une assurance et d'une fierté retrouvée par la Chine qui explique ses prises de positions diplomatiques.

La crise du COVID-19, catalyseur de la nouvelle communication chinoise

L'arrivée de la COVID-19 en début d’année 2020 est venue amplifier un mouvement déjà entamé auparavant avec cette rhétorique guerrière. Dès lors, il apparaît que le déclenchement de la crise sanitaire venu de Wuhan et le manque de transparence des autorités chinoises ont cristallisé les mécontentements à leur égard. La mise en avant d’un virus dit Chinois par le Président Donald Trump puis repris par d’autres pays ont montré les éléments de langages communs des différentes ambassades à travers le monde. La rhétorique retour a été placée sous la diabolisation de la puissance américaine, laissant croire que le virus était envoyé par leurs ennemis. Pour conjurer cela, la Chine ne s’est point contenté d’être sur la défensive, mais elle s’est également tournée vers l’offensive avec des invectives contre d’autres puissances. Ce fut notamment le cas en France où Lu Shaye s’est montré très virulent à l’égard de la gestion de la crise sanitaire par le gouvernement Français. A travers son compte personnel, il n'hésite pas à monter aux créneaux pour répondre aux attaques contre son pays en qualifiant les journaux de propagande anti-chinoise.

 

Source : Julienne, Marc, et Sophie Hanck. « Diplomatie chinoise : de l’« esprit combattant » au « loup guerrier » », Politique étrangère, vol. printemps, no. 1, 2021, pp. 103-118

Pour arriver à ses fins, le gouvernement Chinois s’est massivement tourné vers l’usage des réseaux sociaux pour atteindre ses cibles. En témoigne, la démultiplication de compte Twitter depuis la fin de l’année 2019 qui sert à répondre ou relayer du contenu favorable à la Chine. Cette démultiplication à partir de mai 2019 indique une réelle stratégie de communication voulue par le Ministre des Affaires Étrangères plus que des initiatives personnelles même si elles ne sont pas à exclure. La diplomatie du tweet engagée par Donald Trump est reprise par les Chinois pour contre-attaquer. Les réseaux sociaux en vogue chez les jeunes comme Tik Tok, sont pris d’assaut pour mettre en avant le côté positif de la Chine.

Pour autant, cette rhétorique agressive des loups guerriers ternit également l’image d’une puissance douce venant de la Chine. Pour casser cette mauvaise réputation due à la pandémie, elle utilise la diplomatie des masques ou celle des vaccins pour montrer un profil de nation généreuse et altruiste. Elle a inondé les puissances étrangères de cette denrée rare au plus fort de la crise en se faisant passer pour une puissance bienfaitrice. La réalité est plus proche d’une dépendance criante des industries occidentales à l’égard de la Chine qui n’avait d’autres choix que de se tourner vers les masques made in China. Elle fait désormais de même avec les vaccins où elle fournit des doses à tous les pays qui n’y ont pas encore accès tout en pointant du doigt l’OMS avec le système Covax qui n'arrive pas à fournir les doses prévues.

Malgré cela, l’image de la Chine s’est considérablement détériorée, tendant à prouver que sa politique agressive n’est pas forcément bénéfique. Si un usage parcimonieux de ce recours à la joute verbale est parfois utile, la crise sanitaire agit en trompe-l'œil et place la Chine au centre des débats poussant les diplomates à sortir de leurs réserves habituelles avec l'aval des plus hautes instances.

Ces joutes verbales ne doivent pas cacher l’entrisme chinois au sein de l'écosystème économique de ses concurrents lorsqu’elle y a des intérêts. Cette diplomatie discrète bien loin des frasques médiatiques est pourtant bien plus dérangeante pour les intérêts stratégiques de nos pays surtout lorsque nos élites peuvent parfois y participer.

 

Nathan Crouzevialle

Suite le vendredi 07 mai 2021

 

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