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Les insuffisances européennes et françaises face à l’approvisionnement en minerais stratégiques

Commandé en septembre 2021 par les ministères de la Transition écologique et de l’industrie, le rapport Varin sur la sécurisation de l’approvisionnement en matières premières minérales remis aux ministres concernés le lundi 10 janvier 2022 pointe directement les chantiers français et européens en la matière. Analyse d’un signal d’alarme.

L’ancien président de France Industrie, Philippe Varin, a remis un rapport stratégique aux ministres Barbara Pompili et Agnès Pannier-Runacher, respectivement en charge de la Transition écologique et délégué chargé de l’industrie. Ce rapport avait un triple objectif. Présenter une évaluation du niveau de sécurité des approvisionnements en métaux critiques, préciser le besoin des industriels et, face à l’importance critique de ces métaux, d’augmenter la résilience des acteurs publics et privés des filières industrielles concernées. 

D’une part, le document présenté met l’accent sur des métaux alimentant les batteries comme le nickel, le cobalt, le lithium. D’autre part sur les aimants permanents, issus des terres rares. Ces matières premières critiques ont en effet, avec d’autres métaux, une grande importance pour de nombreux écosystèmes industriels de pointe comme la défense et l’aérospatial, la mobilité et le secteur de l’automobile, les énergies renouvelables. Les secteurs de la santé, la construction, l’industrie à forte consommation énergétique et le numérique sont également bénéficiaires de ces matières premières.

 

Les carences des pays membres de l’UE sont exposées

Le rapport Varin avait avant tout pour vocation de poser un diagnostic valable à l’échelle française. Il éclaire aussi la question de l’approvisionnement en matières premières minérales à l’échelle du continent.  

Sans surprise, d’après Monsieur Varin, « l'Union européenne est clairement en retard sur la Chine qui a pris 20 ans d'avance » sur la chaîne d’approvisionnement en métaux stratégiques. La dépendance de l’UE et de la France est inquiétante. Il ajoute que  « même à l'horizon 2030 sur l'ensemble de l'Europe, seulement 20 à 30 % des besoins pourraient être produits par des fournisseurs européens ». Le risque de pénurie semble bien réel, surtout quand il est corrélé aux objectifs européens et français. La transition écologique et numérique ne saurait faire l’économie de ces métaux, par exemple pour la production de batteries électriques

Déjà en septembre 2020 la commission s’était saisie du sujet et avait dressé dans un document clairvoyant un constat sans appel sur la situation des pays de l’UE. Tableaux à l’appui (p.22 à 24) elle montrait, élément par élément la dépendance de l’UE à l’importation des matières premières critiques (dont celles citées ci-dessus). Les matières premières pas ou peu produites dans les pays de l’UE servent pourtant à fabriquer des produits consommés par les consommateurs de l’UE. La Chine (silicium, lithium, terres rares) mais aussi le Chili (lithium), la RDC (cobalt) et bien d’autres grands producteurs exportent ces matières premières  vers les pays de l’UE.

Les principaux pays fournisseurs de matières premières critiques à l’UE

Source : Rapport de la Commission européenne sur l’évaluation de la criticité en 2020. Commission européenne (Centre de recherche conjoint).

 

Prise de conscience de l’UE pour sécuriser ses approvisionnements

De ce texte avait découlé un plan d'action européen dédié aux ressources minérales critiques qui plaidait déjà pour le renforcement de l’autonomie stratégique des pays membres de l’UE. Certains axes forts avaient été dégagés, parmi lesquels le renforcement des capacités des chaînes de valeurs dans les matières premières à l’échelle européenne. Les financements européens pour une R&D et une innovation domestique sont des axes importants pour contribuer au développement des capacités des industries européennes. Enfin le développement d’un approvisionnement domestique comme le choix de la diversification de ce même approvisionnement auprès des pays tiers doit aussi contribuer à réduire la dépendance de l’UE. 

Certains projets ont déjà démarré par exemple dans l’industrie automobile. En fin d’année 2021, le groupe suédois de batterie électrique Northvolt a annoncé le lancement de la production dans sa nouvelle usine située en Suède. Des géants comme BMW ou Volkswagen et Volvo ont déjà passé des commandes auprès du site. Northvolt compte tabler à terme sur l'équipement d’un million de véhicules électriques par an grâce aux 3 000 salariés du site. C’est la première du genre sur le vieux continent et elle doit en appeler d'autres. Ainsi une vingtaine de « gigafactories » sont en projet en Europe et s’adossent au potentiel de ressources  présentes sur les territoires de l’UE.

 

Ressources potentielles en matières première dans l’UE

Source : Rapport de la Commission européenne sur l’évaluation de la criticité en 2020. Commission européenne (Centre de recherche conjoint).

 

La valeur ajoutée de l’UE sur cette question de l’accès aux ressources minérales critiques se situerait comme toujours sur la réalisation de « bonnes pratiques environnementales » (économie circulaire et éco-conception notamment par le recyclage des matières premières) dans les industries européennes. Ce point est à noter puisque les géants américains (Tesla) et asiatiques dont le chinois Envision – qui ont annoncé vouloir construire des usines de batteries sur le vieux continent – ne seront pas forcément soumis à ces standards européens poussés par la commission.

 

La nécessité d’un plan d’investissement à l’échelle nationale

Le rapport Varin tire les mêmes conclusions que ce premier plan européen dont la commission a annoncé de nouveaux développements pour 2022. 

Le plan d’investissement France 2030 lancé dans la foulée par le gouvernement reprend les recommandations du rapport. Dorénavant, un budget initial d’un milliard d’euros sera dédié au renforcement de la résilience des filières industrielles françaises sur les chaînes d’approvisionnement dans ces métaux. Par exemple, un appel à projet a été lancé pour la création ou la transformation d’unités de production de métaux critiques à destination des filières stratégiques, et des investissements dans ces filières. La France a des capacités industrielles certaines (savoir-faire, infrastructures) mais elles restent largement à développer pour contribuer à sa sécurité d’approvisionnement. 

Le gouvernement a décidé de suivre trois recommandations majeures formulées dans le rapport. Il annonce d’abord la création d’un fond d’investissement public/privé dans les métaux stratégiques avec pour objectif de sécuriser l’approvisionnement des usines de productions de batteries (Douai, Douvrin et une dans le sud-est). Il agira ensuite pour le développement de deux “plateformes industrielles” pour rassembler à Dunkerque les acteurs de la filières batteries électriques et les aimants permanents, le raffinage, la fabrication des précurseurs des batteries (cathodes, anodes), la formation, ainsi que le recyclage à Lacq (ville située à côté de Pau, connue pour son gisement de gaz). Enfin, l'État compte sur la synergie entre industriels et chercheurs pour innover. Le Bureau de recherche géologique et minières (BRGM) du CNRS ou encore du  CEA seront mis à contribution dans un plan global d’investissement. Dans cet esprit, le BRGM, dans le cadre de sa contribution au rapport Cyclope 2021, vient de publier son expertise sur l’évolution des marchés de 27 “petits métaux” au cours de l’année 2020. Cette contribution confirme dans les chiffres cette dépendance européenne sur ces marchés.

 

Production primaire et secondaire de métaux stratégiques en métropole
Source : Direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature – Comité des métaux stratégiques

 

Conclusion

Plus que jamais, une stratégie européenne paraît nécessaire quant à l’approvisionnement en matière première minérale. S’il est nécessaire de développer le recyclage de ces matières premières, cette activité ne pourra répondre à l’ensemble des besoins des pays de l’UE. Les textes européens et nationaux devront alors activement favoriser l’extraction et la transformation de ces matières premières dans les pays de l’UE. De nombreux secteurs de pointe sont concernés par cette question industrielle. Le plus visible d’entre tous est probablement le secteur de l'automobile électrique.

Les enjeux sont nombreux avec avant tout la volonté de réduire la dépendance européenne vis-à-vis des pays producteurs. En améliorant la disponibilité de ces matières premières dans une zone géographique proche, l'objectif est aussi d’éviter les pénuries d’approvisionnement. En fait c’est toute une résilience industrielle qu’il faudra drastiquement imposer dans l’UE et en particulier France.

 

Pierre-Marie Durier

 

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