La smart city est un concept en vogue ces dernières années, incarné par des villes telles que Singapour, Oslo ou Zurich. Ce principe de développement urbain consiste à mobiliser les nouvelles technologies afin d’améliorer la qualité de vie, de créer un environnement urbain connecté apportant des réponses aux enjeux environnementaux, sociaux, sécuritaires… Mais au-delà des conditions de vie des populations, la ville intelligente s’affirme de plus en plus comme un élément de soft power au service du rayonnement international des États. Une véritable compétition s’est donc engagée autour des smart cities, avec la montée en puissance des pays du Golfe et de la Chine.
Arbres artificiels dotés de capteurs, véhicules autonomes, digitalisation des services publiques… En 2021, la ville de Singapour était à nouveau en tête du classement annuel sur les smart cities publié par l’Institute of Management Development (IMD) de Lausanne.
La notion de smart city, ou ville intelligente, est un concept de développement urbain reposant sur l’utilisation des nouvelles technologies pour améliorer la qualité de vie des habitants. La collecte et l’exploitation massive des données émises par la ville permet ainsi d’optimiser les déplacements, l’efficacité énergétique, d'accroître la sécurité et de planifier l’aménagement urbain.
Mais au-delà du développement urbain, le concept de smart city cache une problématique de puissance qui sous-tend un véritable rapport de force à l’échelle internationale. Parce qu’elle est une vitrine technologique, la smart city est aussi un vecteur de rayonnement. On assiste dès lors à une véritable compétition mondiale autour des villes intelligentes, alimentée par les classements qui se succèdent. Certains États investissent des moyens considérables dans cette nouvelle approche de l’urbanisme, devenue outil d’influence et de soft power.
Singapour, modèle de ville intelligente
Si Singapour est citée en tête de tous les classements “smart cities” depuis des années, cela est avant tout le fruit d’un réel volontarisme politique. Le modèle particulier de ce pays d’Asie du Sud-Est, à la fois ville et État, lui permet de mener une politique ambitieuse en la matière et d’être un véritable laboratoire de la ville intelligente.
En 2014, le gouvernement de Lee Hsien Loong lançait le projet Smart Nation, financé à hauteur de 1,71 milliard de dollars. L’objectif étant d’exploiter le potentiel des nouvelles technologies pour transformer radicalement les secteurs de la santé, des transports, de l’économie, de l’urbanisme et de l’éducation. La donnée figure au cœur du projet. Cette dernière est collectée grâce aux agences publiques, aux réseaux sociaux, mais aussi à l’internet of things (objets du mobilier urbain dotés de capteurs, tels que les bâtiments, les voitures ou encore les lampadaires). L’analyse et l’exploitation de ces données permet d’aider à la prise de décision, d’orienter les politiques publiques, mais aussi de faire remonter les besoins de la population et d’améliorer la qualité de vie.
Lors de la pandémie de la Covid-19, ce système a montré toute son efficacité, en permettant de suivre la progression de l’épidémie, de tracer les malades ou de donner en temps réel les taux de fréquentation des lieux publics afin d’éviter les zones d’affluence. À l'échelle mondiale, la crise sanitaire a accéléré l’engouement pour les smart cities, en mettant en lumière l’importance du digital dans la gestion de la crise sanitaire, les outils numériques permettant de faciliter les interventions d’urgence et de suivre avec acuité l’évolution des contaminations. Singapour fournit donc un exemple de comment une ville connectée permet de répondre aux défis contemporains, qui ne se limitent pas aux questions de santé mais qui concernent aussi l’environnement, l’énergie, les transports, etc.
Pensée dès les années 60 comme une ville intelligente afin d’atténuer le choc de l’urbanisation à marche forcée, la cité-État est aujourd’hui en mesure d’offrir un cadre de vie de qualité aux Singapouriens.
Une compétition mondiale autour des smart cities
Mais l’intérêt de la ville intelligente ne se limite pas à l'amélioration des conditions de vie de la population. En effet, elle représente un réel enjeu de puissance. Au-delà de l’aspect fonctionnel, la ville a toujours servi de vitrine visant à exposer le degré d’avancement civilisationnel, le raffinement culturel, les valeurs et le savoir-faire. Aussi bien pour les capitales d’Empire comme Rome et Samarcande que pour les villes nouvelles soviétiques, la question est bel et bien de projeter une certaine image, incarnée dans l’urbanisme. Les smart cities peuvent être considérées comme la transposition de ce principe à l’ère moderne.
En matière d’influence, le développement de smart cities permet d’égaliser en partie le rapport de force entre des nations puissantes économiquement ou militairement, et celles de taille réduite ou aux ressources limitées. En observant le classement Smart City Index, on constate que les petites nations sont sur-représentées : Singapour, Taïwan, Suisse, pays scandinaves… Ces États utilisent avantageusement la technologie et les données pour compenser leur petite taille, leur faible poids démographique, et souvent leur absence de ressource naturelle. Par conséquent, au-delà de l’impact sur la qualité de vie, le développement de villes intelligentes s’inscrit dans une stratégie de rayonnement à l’international. Cette recherche de visibilité se traduit concrètement par une meilleure capacité à attirer les talents et les entreprises. Ainsi, en 2021, Singapour était classé deuxième à la fois dans le Global Talent Competitive Index, qui évalue le capital humain, et dans le classement Doing Business, qui mesure l’attractivité auprès des investisseurs.
C’est donc une concurrence intense, alimentée par la publication de classements mondiaux, qui oppose les villes dans cette compétition qui engage bien plus que le bien-être des populations. On assiste désormais à l’émergence d’outsiders tels que la Chine, qui investit des sommes considérables dans le développement des villes intelligentes et qui développe près de 500 villes intelligentes ainsi que des projets ambitieux basés entièrement sur l’intelligence artificielle. Les Émirats ne sont pas en reste avec le programme Smart Dubaï qui ambitionne de faire de cette ville la plus verte et connectée du monde et qui en fait un réel élément de soft power.
Dans un contexte d’explosion du Big Data et d’innovation technologique perpétuelle, la ville intelligente s’impose comme un concept incontournable de développement urbain. Il présente cependant des limites, comme le risque de concentrer les attentions sur les métropoles au détriment des périphéries, ou bien les déboires de vivre dans un environnement “tout-numérique” qui pose des questions de liberté.
Alexandre Jeandat pour le Club Data Intelligence de l’AEGE
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