Guerre en Ukraine : l’agonie du droit international

L’agression russe en Ukraine constitue une violation flagrante des règles de droit international. Conscient de cela, la Russie tente de se justifier maladroitement. Cependant, le réel enjeu pour Moscou demeure bien plus politique que juridique.

« L’État est le plus froid des monstres froids ». Ces mots de Nietzsche, bien que prononcés à la fin du XIXème siècle, présageaient des extrémités auxquelles les puissances mondiales allaient se livrer durant les conflits mondiaux de la première moitié du XXème siècle. La fin de la seconde guerre mondiale a vu, dans une optique de “plus jamais ça”, le développement accru du droit international. En dépit de son objectif louable, ce dernier peine régulièrement à endiguer la volonté d’accroissement de puissance des Etats. Cette inaptitude transparaît une fois de plus au travers de l’agression russe en Ukraine.

En effet, l’Etat ukrainien n’a eu de cesse, depuis la fin de la guerre froide, de jouer le rôle de zone tampon entre la Russie et l’Occident fédéré autour du Traité de l’Atlantique Nord. Cependant, l’hypothétique adhésion de l’Ukraine à l’OTAN placerait l’organisation, dont la vocation initiale était l’intimidation de l’URSS dont la Russie est héritière, aux portes du territoire russe. Ainsi l’accession de l’Ukraine à l’OTAN placerait Moscou au contact d’une alliance alignant 17 fois son budget militaire.

Ainsi, certaines velléités expansionnistes couplées à la peur de voir l’Ukraine intégrer l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord ont poussé l’ours russe à violer les principes majeurs du droit international.

Une violation importante des normes juridiques

De par son agression armée, la Russie a violé plusieurs accords, tant au niveau international que régional.

La Charte des Nations Unies

L’emploi légal de la force par un État (hors cas de légitime défense) est subordonné à l’autorisation préalable du Conseil de Sécurité, selon les dispositions du chapitre VII de la Charte des Nations Unies. En l’absence de cet élément, le recours à la force demeure illégal. De plus, les Membres de l’Organisation des Nations Unies (ONU), dont la Russie, s’abstiennent dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies. En somme, l’article 2§4 de la Charte de l’ONU érige en tant que principes, l’inviolabilité des frontières, le respect de l’intégrité territoriale des États et de l’interdiction du recours à la force.

Ainsi, en agissant unilatéralement, la Russie a violé les dispositions de la Charte des Nations Unies, pilier central du droit international.

Le droit de la guerre (jus in bello)

De plus, il semblerait que la Russie se soit rendue coupable de violation de dispositions du droit des conflits armés consacré par les quatre Conventions de Genève de 1949, les protocoles additionnels de 1977 et le Statut de Rome. Certaines dispositions de ces textes n’ont pas été respectées comme le principe de discrimination interdisant le ciblage d’installations civiles n’étant pas employées à des fins militaires. En effet, des écoles maternelles comme celle située à Stanitsa Luhanska ou encore un hôpital à Kharkiv auraient fait l’objet d’attaques. Escalade de violence, utilisation d’armes non discriminantes, mais également marche rapide des forces russes dans les villes d’intérêt ukrainiennes ont entraîné la fuite de nombreux civils mais également nombre de décès.

Les textes régionaux adoptés depuis la chute de l’URSS

En acceptant le statu quo frontalier en 1991, et surtout en signant ultérieurement plusieurs traités et accords, la Russie a formellement reconnu l’Ukraine comme un État  indépendant dans ses frontières héritées de la chute de l’URSS.

A la succession de l’URSS, le Traité de Minsk (1991) garantit aux nouveaux États, le respect de leurs frontières, la Russie renonçant à les dénoncer. Par la suite, les memoranda de Budapest  (1994) accordent des garanties d’intégrité territoriale et de sécurité à trois anciennes Républiques socialistes soviétiques : la Biélorussie, le Kazakhstan et l’Ukraine. Le traité d’amitié russo-ukrainien (1997) confirmait les frontières héritées des textes précédents et leur inviolabilité, notamment par l’interdiction de s’envahir l’un l’autre et de se déclarer la guerre.

La Russie, consciente des violations induites par son action, va tenter de justifier son action au travers d’interprétations maladroites du droit international.

Bien que certains de ces textes ne soient pas contraignants, la signature de ces traités et accords successifs démontrent la volonté russe, à l’époque, de respecter le droit international et humanitaire.

La Russie outrepasse les limites fixées par le droit international et remet en cause tous les accords de non-ingérence pour lesquels elle s’était engagée. De plus, afin de légitimer son action, la Russie utilise des justifications maladroites.

Les maladroites justifications russes

La Russie tente de justifier son action militaire au travers d’une hypothétique responsabilité de protéger mais également par une interprétation singulière du droit à la légitime défense.

Ainsi, Moscou se place en position de sauveur des populations de l’Est ukrainien. Elle affirme agir de façon à mettre fin à des exactions risquant de dégénérer en génocide, invoquant une responsabilité de protéger les populations persécutées. Cependant, le risque d’exactions fusse-t-il avéré, le concept de responsabilité de protéger ne permettrait en rien à un État de décider unilatéralement, de l’emploi de la force armée contre un pays limitrophe. La responsabilité de protéger pourrait, à la limite, être un élément de justification de l’emploi de la force armée quand celle-ci est autorisée par une résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies, comme cela a été le cas en Libye.

La Russie semble également justifier ses actions au travers de ce qui semble être une « légitime défense préventive » dissimulée. En effet, le Kremlin affirmait, le 24 février 2022, que la Russie « ne pouvait se sentir en sécurité » du fait que l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN constituait une menace, l’action militaire russe constituerait ainsi un mal nécessaire visant à empêcher un conflit de plus grande ampleur. Cependant, l’interprétation extensive de l’article 51 de la Charte des Nations Unies ne saurait servir de base légale à l’intervention russe du fait de l’absence de reconnaissance de sa légalité par les instances internationales. Cette justification fait écho au déclenchement des hostilités militaires par Israël, en 1967, en bombardant et détruisant l’aviation égyptienne, afin de prévenir des attaques imminentes contre l’État hébreux. La thèse de la légitime défense préventive avancée par Israël n’avait pas, à l’époque, convaincu la communauté internationale de ne pas condamner l’offensive israélienne.

L’impossible succès juridique de la stratégie russe

Outre la neutralisation de la menace que pourrait représenter l’Ukraine, au travers d’une adhésion à l’OTAN qui laisserait l’Occident aux portes de la Russie, Moscou apparaît désireuse de permettre l’élévation des Républiques Populaires de Donetsk et Lougansk au rang d’Etat indépendants. Cependant, ce scénario présuppose une sécession de ces entités vis-à-vis de l’Ukraine. Or, un tel phénomène apparaît impossible au regard du droit international.

En effet, il n’existe aujourd’hui que deux cas de figures permettant l’accession légale d’une entité au rang d’Etat.

Le droit des peuples à disposer d’eux même : La résolution 1514 de l’Assemblée Générale des Nations Unies de 1960 dispose qu’un peuple soumis à « une domination, une subjugation et une exploitation étrangère » peut prétendre à un droit à l’indépendance. Cependant les territoires ukrainiens ne peuvent se prévaloir de ce fondement juridique. En effet, au regard du droit international, l’unique peuple actuellement reconnu comme colonisé est le peuple palestinien, comme l’a confirmé la Cour Internationale de Justice dans son arrêt Conséquences juridiques de l’édification d’un mur en territoire palestinien occupée en 2004.

La théorie de la sécession remède : L’interprétation a contrario de la résolution 2625 de l’Assemblée Générale des Nations Unies de 1970 permettrait à une population, soumise à des exactions de la part d’un État, de faire sécession afin de garantir sa sécurité. La Russie a affirmé l’occurrence d’exactions commises par Kiev, sur les populations des territoires orientaux afin de justifier leur action. Il apparaît que les critères de gravité et de récurrence ne seraient cependant pas remplis afin de permettre aux territoires de bénéficier de la sécession remède. Cette théorie n’ayant été utilisée qu’une fois, à la suite d’exactions épouvantables, afin de légitimer la sécession du Bangladesh vis-à-vis du Pakistan en 1971.

En l’absence de base légale compatible, il n’existe pas de moyen légal d’accéder à l’indépendance. Cette neutralité du droit international a été consacrée par la Cour Internationale de Justice dans son avis consultatif relatif à la Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo en 2010. Enfin, la sécession des territoires ukrainiens serait impossible du fait de l’emploi de la force armée par Moscou. En effet l’émergence d’un État ne saurait être considérée autrement qu’illégale si elle se fait par l’emploi de la force. Ce principe trouve sa source dans la résolution 541 du Conseil de Sécurité des Nations Unies (1983). Cette résolution s’est vue confirmée par l’arrêt Loizidou c/ Turquie rendu en 1996 par la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

Ainsi au regard du droit international, la stratégie russe demeure compromise. Cependant, Moscou pourrait être tentée d’agir dans le champ politique afin de dépasser ces difficultés.

Un dépassement du Droit international par la stratégie politique

A défaut d’une reconnaissance De Jure de l’indépendance des Républiques Populaires, Moscou pourrait mener à bien sa stratégie en se contentant d’une existence De Facto des entités sécessionnistes. Cependant, la réussite d’une telle manœuvre demeure subordonnée au soutien politique de sa démarche par d’autres Etats puissants. Un tel scénario ferait écho à celui s’étant déroulé dans le cas du Kosovo. Bien que dépourvue d’existence légale, la République du Kosovo est parvenue à se maintenir grâce à la reconnaissance de sa légitimité par plusieurs puissances et des avantages en découlant. Aujourd’hui, ce ne sont pas moins de 117 États qui ont reconnu l’existence du Kosovo, cela permet à la jeune République de bénéficier des relations commerciales et diplomatiques permettant sa subsistance et son développement bien que son statut juridique demeure problématique.

A l’instar du Kosovo, les potentielles Républiques fantoches auraient besoin, afin de conserver leur autonomie, de soutien de poids sur la scène internationale. Elles pourraient le trouver du côté du géant chinois qui verrait dans la situation ukrainienne une opportunité de préparer des actions offensives à l’encontre de Taïwan. En effet, l’accentuation des pressions militaires, diplomatiques et politiques exercées par la Chine sur la petite île depuis l’arrivée au pouvoir de la présidente Tsai Ing-Wen en 2016 laisse présager des volontés expansionnistes brutales chinoises. Le conflit ukrainien permet ainsi à Pékin d’observer les réactions des divers acteurs de la scène internationale tout en préparant une action analogue ultérieure.

Outre l’évolution des stratégies chinoises, le comportement agressif d’une grande puissance nucléaire telle que la Russie ne saurait être dénué de conséquences sur le fonctionnement de la scène internationale. En effet, la crise ukrainienne a entraîné une évolution du paradigme pacifiste de nombreux Etats. Face à la prise de conscience de leur solitude stratégique, ils semblent choisir la voie du réarmement. Outre une hausse considérable des divers budgets de Défense Nationale, il apparaît légitime de craindre une résurgence des velléités nucléaires de certaines puissances. Cette résurgence de la méfiance inter-étatique ainsi que de leurs capacités militaires n’augure rien de bon pour la stabilité internationale et le respect des normes juridiques formalisant son fonctionnement. En effet, l’évidence de l’incapacité du droit international à remplir son but premier pourrait pousser les Etats à l’abandonner, entraînant une augmentation de l’instabilité et une résurgence des conflits.

Maryanne Nabet et L. W. pour le Club Droit de l’AEGE

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