Et de deux en moins d’un mois : augmentation de la tension entre la Chine et l’UE à l’OMC

La tension monte entre l’UE et la Chine : après la demande de consultation déposée à l’OMC le 27 janvier dernier sur les pratiques chinoises vis-à-vis des produits lituaniens, une deuxième procédure est engagée depuis le 18 février, cette fois sur les brevets et la violation de propriété intellectuelle. Il s’agit là d’un exemple typique de « lawfare » (guerre par le droit), la Chine ayant mis en place une nouvelle tactique pour favoriser ses intérêts et ceux de ses entreprises.

À la suite de la sortie de la Lituanie du groupe de coopération sino-européen (mai 2021) et de la création par le pays balte d’un bureau de représentation à Taïwan (août 2021), la Chine a mis en place des blocages, non déclarés officiellement, sur les produits issus de Lituanie, comme ceux issus d’ailleurs mais contenant des composants lituaniens. L’UE a donc engagé une procédure, qualifiée dans le jargon OMC de demande de consultation, pour faire stopper ces pratiques. 

La nouvelle procédure concerne l’entrave mise en place par Pékin pour le recours aux tribunaux étrangers en cas de litiges sur les brevets. Les brevets en question sont ceux qualifiés « d’essentiels à la norme » : les développements des smartphones ou de la 5G, par exemple, ont fait l’objet d’une multitude de brevets déposés par des acteurs comme Nokia ou Ericsson, qui ont l’obligation de concéder des licences à des conditions équitables, raisonnables et non-discriminatoires aux autres acteurs. De fait, l’exploitation de ces licences est couverte par une négociation commerciale entre les parties, qui peut bien sûr aboutir à des désaccords, tranchés par les tribunaux. Jusqu’à présent, les entreprises européennes se tournaient vers les tribunaux européens, et obtenaient en général satisfaction. 

Depuis août 2020, la Cour Suprême chinoise a validé le principe d’injonctions anti-poursuites qui interdisent à une entreprise contractante de porter une affaire devant un tribunal étranger. La pratique antérieure n’était pas de nature extraterritoriale, mais la nouvelle ressemble fort à une approche intra-territoriale ! Au cas où les entreprises étrangères auraient la mauvaise idée de persévérer, les sanctions sont dissuasives : amende journalière de 130 000 d’euros et ignorance des jugements des autres tribunaux. 

Quatre litiges ont fait l’objet d’autant de décisions de justice, qui ont considéré pour les licences des tarifs deux fois inférieurs à ceux pratiqués en Occident. Ericsson et Nokia sont notamment touchés, l’acteur suédois estimant ses pertes trimestrielles entre 100 et 150 millions d’euros. Sharp, l’acteur japonais bien connu de l’électronique, a de son côté retiré une procédure initiée en Allemagne. 

Au-delà de l’impact économique direct pour les entreprises concernées, la Commission européenne craint évidemment une incidence négative sur l’effort de R&D et sa juste rémunération. Certains assimilent cette nouvelle approche, non sans raison, à un nouvel effort de la Chine de faire évoluer à son profit les normes de traitement des litiges en matière de propriété intellectuelle ; il se peut d’ailleurs que le Japon et les États-Unis se joignent à la procédure. Sans accord entre la Chine et l’UE sous deux mois, cette dernière pourra demander la constitution d’un groupe chargé de statuer sur le différend. 

Cette nouvelle pratique chinoise s’inscrit évidemment dans le contexte du conflit impliquant Huawei (notamment avec les États-Unis). Le groupe chinois a perdu une part importante de son chiffre d’affaires dans certaines régions du globe, au profit des acteurs historiques européens que sont Nokia et Ericsson dans les infrastructures de télécommunications. Si les trois acteurs détiennent environ 80 % du marché mondial, la percée d’un acteur japonais, NEC, ne doit cependant pas être ignorée. À suivre…

 

François Guilbaud

 

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