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L’art de la globalisation, ou comment la NBA a fini par conquérir le monde [Partie 1/2]

La NBA (National Basketball Association), à la fois ligue de basket-ball américaine et compétition mondiale, occupe une place de plus en plus importante dans la culture globalisée. Si ce sport peine encore aujourd’hui à s’imposer sur le territoire américain, l’emblème de la balle orange a su s’exporter à travers le monde avec brio, tant sa stratégie a été pensée et déployée sur le long terme.

Quelques noms transcendent leurs sports, d’autres transcendent le sport. Parmi ces noms on retrouve Michael Jordan, Shaquille O’Neal, Kobe Bryant, dont le décès tragique a montré l’ampleur de la notoriété. Pour la balle orange en général, on ajoutera Magic Johnson, LeBron James, Kareem Abdul Jabbar ou Stephen Curry, et tant d’autres qui viennent de l’autre côté de l’Atlantique, mais aussi Tony Parker dans l’Hexagone. 

 

Ces noms sont plutôt contemporains : certains jouent encore, d’autres sont de jeunes retraités. Il serait tentant de penser que là est le destin du sport dont la professionnalisation et l’importance dans l’espace culturel n’ont été que que croissantes et récentes à l’échelle du XXe siècle. Pourtant, qui ne connaît pas Pelé ou Mohamed Ali ? Bruce Lee ou Jesse Owens ? Le basket américain existait dans les années 1960 et 1970. Une légende telle que Bill Russell était connue aux États-Unis comme un exemple de ces sportifs afroaméricains des années 1960, moteurs de la lutte pour les droits civiques aux côtés de Martin Luther King. En France, il était un quasi inconnu jusqu’à sa mort, en juillet 2022. 

Alors, comment expliquer ce décalage du basket avec d’autres sports et le fait que la balle orange semble avoir rattrapé son retard dans les représentations culturelles et collectives ? 

 

Tout cela n’est pas qu’une question conjoncturelle. On peut expliquer comment la NBA, la National Basketball Association, a fait émerger le basket comme un sport majeur dans l’espace cognitif et culturel. À l’origine simple ligue nationale d’un sport inventé par le professeur James Naismith pour occuper les jeunes l’été, elle est aujourd’hui la première marque d’un des trois sports les plus populaires de la planète (troisième derrière l’intouchable football et le cricket dopé par l’Inde et le Pakistan) et le seul sport inventé aux États-Unis à avoir conquis la planète . 

Tout cela a été pensé, et ce, grâce au principal architecte de la Grande Ligue, David Stern.  Commissaire de 1984 à 2012, il a fait de la NBA ce qu’elle est aujourd’hui. Son œuvre commence par la consolidation de la place de la Ligue dans le paysage américain avant de l’ouvrir au monde en menant la première tentative de  globalisation de la marque NBA. 

Si la Ligue était relativement connue aux États-Unis dans les années 1960, grâce à la rivalité mythique entre Bill Russell et Wilt Chamberlain, la retraite de ces deux géants a failli la tuer. Ligue concurrente plus attractive pour les jeunes stars – avec des concepts novateurs comme la ligne à trois points ou le concours de dunks -, problèmes d’image à cause de joueurs drogués… la NBA était au plus mal au début des années 1980. Ses audiences étaient en berne, ses droits TV faméliques – avec peu de matchs diffusés en direct – et ses salles presque vides. 

 

Des joueurs de légendes et David Stern : la Dream Team à la conquête des années 1990

1984 est une année qui résonne pour qui connaît la Grande Ligue. Elle a vu l’arrivée de noms tels que Hakeem Olajuwon – qui inspirera le lien entre la NBA et l’Afrique -, John Stockton, Charles Barkley, et surtout Michael Jordan. Ils rejoignent ainsi deux stars majeures de l’époque, Larry Bird et Magic Johnson. Ensemble, ils seront à l’origine d’un surnom qui marquera l’histoire du sport à jamais : la Dream Team. Malgré cela, l’arrivée la plus importante de cette année 1984 se situe peut-être loin des parquets, puisqu’elle voit David Stern remplacer Larry O’Brien comme commissaire de la Grande Ligue. 

Dans le monde de la NBA, il est souvent dit que Larry Bird et Magic Johnson ont sauvé la Ligue. Leur rivalité, transformée en amitié avec le temps, est tellement mythique qu’elle a réussi à transcender le cadre du sport. Un duel de basketteurs, aux styles de jeu aux antipodes, est devenu un affrontement culturel ; le Boston blanc et besogneux des Celtics de Bird contre le Hollywood flashy et des stars des Lakers de Magic. C’est ce phénomène culturel qui a permis à la Ligue de sauver ses audiences et d’entrer dans l’Histoire de la culture américaine puis mondiale. Pourtant, toute cette histoire ne s’est pas seulement écrite sur les parquets. 

David Stern a organisé le storytelling autour de cette rivalité et en a fait le pivot de l’image de marque de la Ligue. Il n’était plus question de regarder un match de basket entre deux équipes, mais de prendre part à un duel entre deux icones représentantes des deux facettes de l’Amérique : un Noir venu du Michigan, symbole des paillettes hollywoodiennes pour Johnson, et un Redneck de l’Indiana symbole du vieux Boston pour Bird. Cette volonté d’aller plus loin que le sport pour raconter, et surtout vendre une histoire – par l'explosion des revenus des droits télévisuels, la publicité et les maillots, se retrouve jusqu’au choix des surnoms : Earvin Johnson est devenu Magic, Larry Bird, Larry Legend. Leur rivalité-amitié sera racontée aussi bien au cours des matchs que lors de publicités qui ont marqué leur époque et vu les deux hommes devenir amis, renforçant ainsi le storytelling d’un David Stern qui n’en demandait pas tant. 

 

En parallèle de cet essor de la Grande Ligue dans la deuxième partie des années 1980, les jeunes pousses de 1984 sont devenues d’excellents joueurs. Michael Jordan est en passe de devenir une icône, tant grâce à ses performances qu’à des campagnes de publicités qui marquent le pays de l'Oncle Sam comme la fameuse « Be like Mike » . Sa première paire de chaussure signature, la Jordan 1, devient un phénomène culturel à elle seule. Si elle a connu un tel succès parce qu’elle équipait Michael Jordan, elle le doit tout autant à la stratégie de branding habile de Nike, qui a fait croire que Jordan était interdit de la porter pour mieux la vendre.

Cependant, sur le terrain, le drame survient en 1988 lorsque les universitaires américains ne remportent pas les Jeux Olympiques. David Stern a alors l’idée qui va tout changer et marquer à jamais la culture mondiale : pour la première fois, les États-Unis enverront une équipe composée de joueurs professionnels aux Jeux Olympiques, la Dream Team. Aux JO de 1992 à Barcelone, elle éblouit la planète ; et sans se contenter de ramener l’or, elle écrase la compétition, prouvant la supériorité absolue de la Grande Ligue dans le monde de la balle orange. 

Les années 1990 sont marquées par cette mise en lumière de la NBA : la valeur des marques explose, les maillots se vendent, le basket devient un sport de rue en lien avec le hip-hop, les stars américaines ne cessent de voyager pour vendre droits de télévision, maillots et compilations de leurs meilleures actions. À Paris naît le Quai 54, George Eddy devient l’ambassadeur du basket en France et, dans un contexte d’américanisation de la culture occidentale, le basket devient plus qu’un sport mais bel et bien un phénomène culturel. Les Européens se mettent à porter des bandeaux sur des cheveux qu’ils tressent, des jeans baggy, des maillots aux couleurs flashy… L’Europe devient un marché pour cette marque émergente qui génère des revenus de plus en plus conséquents. 

 

Pourtant, avec la retraite des légendes et la fin des années 1990, la Ligue connaît une période de creux relatif. La puissance culturelle est moins importante, mais la stratégie d’internationalisation a porté ses fruits : de plus en plus de jeunes joueurs européens – tels que Dirk Nowitzki, Pau Gasol et Tony Parker – viennent fouler les parquets américains, et serviront d’intermédiaire avec l’Europe. Sur le terrain de la communication et de l’influence, la NBA va tenter, au cours de cette décennie, une nouvelle stratégie pour sa globalisation.

 

De Yao Ming à Daryl Morey : la première tentative de capter un marché large dans les années 2000

En 2002, Yao Ming, basketteur phénomène venu de Chine, arrive aux Rockets de Houston avec,  en lui, tous les espoirs naissants d’un pays qui commence à s'ouvrir au monde. David Stern voit immédiatement le marché à conquérir et entreprend de faire de Yao Ming, grâce à son talent et à la stratégie de communication de la NBA, une star. 

Dès son arrivée, la NBA traduit en chinois, en français et en espagnol, ses systèmes de vote pour envoyer les joueurs favoris des supporters au All Star Game et Yao sera choisi pour disputer le match des étoiles jusqu’à ce que ses blessures ne brisent sa carrière. 

Cette méthode pour faire participer le public est redoutable : les fans sont encouragés à faire le plus de publicité possible pour la Ligue s'ils veulent voir leur joueur préféré disputer le match des étoiles. Ainsi se crée l’engagement d’une communauté de fans extrêmement soudée et très consommatrice. Dans le sillage de Yao, son pays devient le troisième marché de la NBA, les Houston Rockets un phénomène en Chine et 300 millions de Chinois se mettent au basket en rêvant de marcher dans les pas du porteur de la flamme olympique aux JO de Pékin en 2008. 

Seulement, ses blessures freineront l’ascension du géant vers la gloire et les titres. Qu’importe, la NBA est devenue majeure en Chine et s’est assurée la conquête d’un gigantesque marché. Les joueurs américains de moindre envergure, en fin de carrière, vont faire une pige en CBA (Chinese Basketball Association) dont Yao est le président, les maillots se vendent et les joueurs partent en tournée promotionnelle durant l’été. Certains deviennent même l’égérie de marques chinoises et de véritables stars dans l’empire du Milieu, comme Dwyane Wade avec Li Ning mais aussi Tony Parker, sponsorisé par Peak. Rien ne semblait pouvoir rompre ce lien de la NBA avec le basket chinois, devenu le sport le plus populaire en Chine grâce à Yao. 

 

Si le sport rapproche les peuples, la réalité politique est parfois tout autre. Dans un contexte de durcissement du régime chinois, le Parti Communiste Chinois n’a pas digéré les commentaires de Daryl Morey, président des Houston Rockets – ancienne franchise de Yao Ming, de loin la plus médiatisée et suivie en Chine -, sur les événement survenus à Hong Kong et son soutien à la démocratie. Coincée par ses valeurs, qui l’ont toujours fait pionnière sur l’implication des sportifs dans les questions sociales aux États-Unis, la NBA ne pouvait rien faire face à l’utilisation par l’un de ses représentants de son droit à la liberté d’expression. Le politburo chinois ne l’a pas vu ainsi et a coupé les liens entre la NBA et la Chine suite au tweet de Morey, considéré à l’époque comme le tweet le plus cher de l’histoire.

Ainsi, le lien de la NBA avec la Chine a quasiment disparu pendant quelques années avant de renaître de ses cendres. Les seules conséquences de cette tempête auront été une légère perte de revenus sur un laps de temps relativement court. En parallèle, la NBA était déjà repartie à la conquête d’une Europe, qu’elle a délaissée pendant 10 ans pour privilégier l’empire du Milieu, mais où les Tony Parker, Pau Gasol et Dirk Nowitzki ont fait le travail à sa place pour maintenir ce lien entre le nouveau monde et le Vieux Continent. Dès la fin de l’ère Yao Ming et des années 2000, la NBA avait déjà axé sa stratégie de développement commercial sur ce nouvel espace en train de naître, dont on ne comprend pas encore bien l’intérêt partout : les réseaux sociaux et le numérique.

 

Théo Noël et Rémi Bessiere

 


La seconde partie de cette analyse paraîtra le 20 janvier. Dans la continuité de cette analyse historique de la NBA, elle présentera en détail la stratégie d’externalisation mise en place par la Ligue pour conquérir les cœurs.


 

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