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L’écologie : nouveau terrain d’affrontement entre la Chine et l’Occident ?

Avec les Accords de Paris de 2015, 195 pays ont reconnu officiellement l’urgence climatique et se sont engagés à prendre des mesures de diminution des émissions de gaz à effet de serre. Depuis, si la position des États-Unis sur les enjeux climatiques a pu sembler changeante, le discours chinois sur ces sujets paraît beaucoup plus stable et mesuré. Cette « tempérance », qui marque les déclarations chinoises, traduit une volonté de se placer en leader mondial sur la question « éco-climatique ».

La nécessité chinoise d’une action en faveur de l’écologie

Malgré un discours de plus en plus favorable à l’écologie, la Chine était encore responsable de 28 % des émissions mondiales de CO2 en 2021, d’après l’Agence Internationale de l’Énergie, et consomme 50 % du charbon produit dans le monde, ce qui la place au premier rang des pays émetteurs de CO2 (en valeur absolue). D’un autre côté, elle figure parmi les premières victimes des grands bouleversements climatiques : montée des eaux, fonte des glaciers himalayo-tibétains, pollution des eaux, des sols et de l’atmosphère, érosion des terres arables, etc. Ainsi, la façade est de la Chine est particulièrement exposée puisque les mégalopoles de Shanghai ou Canton se situent dans des zones urbaines basses et sont donc vulnérables à la montée des eaux.

Ces menaces ont conduit à une prise de conscience dans l’esprit des populations et des dirigeants chinois, moins du fait d’une prise de conscience écologique que de l’importance stratégique et économique de ces zones. L’émergence et la multiplication de catastrophes naturelles dévastatrices sont des signaux d’alarme pour le gouvernement chinois et représentent dans la tradition historique politique chinoise un possible retrait du « Mandat du ciel », concept propre à la croyance chinoise selon lequel les personnes qui occupent les postes au pouvoir, donc celui d'empereur, ont été approuvées par les divinités.

C’est dans ce contexte de crise que la Chine semble finalement avouer sa responsabilité environnementale et prendre en main sa politique future sur ce sujet. À presque un cinquième de la population mondiale, l’action du PCC en matière d’écologie pourrait avoir un retentissement majeur dans la transition écologique mondiale.

 

Cette prise de conscience chinoise peut déjà être retracée au forum de Coopération Économique de l’Asie-Pacifique de 2014, évènement où Xi Jinping signifiait à l’époque au Président Barack Obama, l’intention de la Chine de parvenir à son pic de réduction d’émissions à l’horizon 2030. Xi Jinping a plus récemment renouvelé ses engagements : en janvier 2017 au Forum de Davos, le président chinois avertissait sur le fait que les pays signataires de l’accord de Paris devaient « coller » à l’accord « plutôt que de s’en détourner ». Lors du 19e congrès du PCC, Xi Jinping attestait encore du tournant politique sur la politique écologique : « Si c’est à nous qu’il revient d’accomplir l’édification de la civilisation écologique, ses effets bénéfiques profiteront aux générations successives de Chinois durant des siècles. Nous devons ancrer solidement l’idée de la civilisation écologique socialiste, créer une nouvelle situation de modernisation marquée par le développement harmonieux de l’homme et de la nature, et apporter les contributions de notre génération à la protection de l’écosystème ».

Les prises de positions publiques, à la fois à l’échelle nationale et internationale, témoignent de cette volonté politique pour le PCC, d’incarner la voie principale – pour ne pas dire exclusive – du « salut écologique » et ainsi certifier de la vertu, de la responsabilité et du leadership moral de la Chine.

 

Des mesures gouvernementales fortes, entre sanctions et dialogue

C’est dans ce cadre de prise de conscience politique que le gouvernement de Xi Jinping a décidé de passer à l’action. En 2014, les officiels chinois publient ainsi des informations sur la pollution des eaux et des terres chinoises  : 80 % des eaux souterraines peu profondes sont polluées, 40 % des rivières le sont gravement et 20 % le sont à un niveau trop toxique pour permettre le moindre contact. Le gouvernement a également opéré un renforcement de son appareil législatif, obligeant ainsi les entreprises polluantes et les grands groupes publics à communiquer leurs émissions de CO2 et rejets dans les rivières et compenser ces derniers selon le principe de « pollueurs-payeurs »

Ces mesures n’ont néanmoins pas encore réussi à contraindre l’ensemble des entreprises, dont  un grand nombre d’entre elles ne respectent pas les normes environnementales. En 2015, la création du CEIT (Central Environment Inspection Team) provoque un véritable changement de paradigme : des inspections ont lieu à des moments aléatoires dans les provinces chinoises, de jour et de nuit, sans notification préalable, et des sanctions sont prises contre les dirigeants du PCC des provinces s’ils n’atteignent pas leurs objectifs environnementaux. Le montant des amendes est fixé proportionnellement à l’étendue des espaces contaminés, un tarif est donc établi par unité de pollution atmosphérique, par tonne de déchets dangereux déversés, etc. Les mesures prises par le gouvernement chinois concernent aussi la liberté d’expression dans l’espace public : les ONG ont désormais une plus grande liberté d’action et peuvent aujourd’hui intenter des procès contre les entreprises et organismes pollueurs. L’action du gouvernement ne prend donc pas uniquement la forme de mesures mais implique également la participation d’autres acteurs.

 

La transition énergétique comme axe majeur des efforts de la Chine

Il faut également reconnaître à la Chine un effort de diversification de son mix énergétique vers des moyens de production bas carbone. Ainsi, en 2022, selon l’Administration Nationale de l’Énergie (Nuclear Energy Agency – NEA), elle est la première productrice mondiale d’énergie solaire (32 % du parc mondial) et éolienne (40 % du parc mondial). Le pays est aussi, en valeur absolue, le premier investisseur mondial dans les énergies renouvelables et le leader mondial des batteries électriques. Enfin, il dispose du troisième plus grand parc nucléaire au monde. À noter que la Chine a justement choisi le nucléaire pour sa transition énergétique : Pékin envisage ainsi de doubler sa capacité d’ici 2035. Néanmoins, 58 % de son électricité sont encore issus du charbon, ce qui pousse à nuancer sa place de bon élève sur la question énergétique. 

Dans un autre secteur, il faut noter de grands efforts chinois sur les sujets de reforestation : la Chine a ainsi prévu de reforester 25% de son territoire d’ici à 2025. On assiste dans le cadre de cet objectif à la plantation de la « Grande Muraille verte » pour lutter contre la désertification du nord du pays est un projet significatif. Cependant, ces grandes forêts artificielles dans des zones non-exploitées sont plantées en monoculture, une pratique qui nuit grandement aux sols et à la biodiversité. Ces éléments donnent encore à voir l’ambivalence des « bonnes actions » écologiques de la Chine.

Cette ambivalence s’explique par la difficulté pour la Chine de s’adapter à ces enjeux écologiques mondiaux, bien qu’elle souhaite clairement se positionner comme leader dans ce secteur. Pour Xi Jinping, la lutte contre le réchauffement climatique est une opportunité pour l’image de la Chine, d’autant plus dans un contexte de COVID-19. L’implication dans la cause éco-climatique représente donc pour le pays un enjeu clé de soft power, dont les retombées commerciales sont aussi potentiellement intéressantes. L’enjeu écologique devient également le nouveau terrain d’affrontement qui oppose la Chine à ses grands adversaires.

 

L’écologie, un nouveau terrain de rivalités entre puissances

Durant la COP 27 de novembre 2022, la Chine a soutenu la création d’un fonds « pertes et dommages » qui consiste à apporter une aide financière aux pays touchés par des dégâts irréversibles dûs au dérèglement climatique. Mais, en tant que pays en développement, elle ne participe pas elle-même aux financements de cette stratégie. Elle a aussi appelé les pays développés à accélérer la réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre et à tenir leurs engagements d’aides financières aux pays en développement, qui s'élèveraient autour de 100 milliards de dollars par an. C’est aussi à cette occasion que l’empire du Milieu a rappelé son engagement écologique et souligné le changement climatique en suggérant par le même biais que la communauté internationale devrait adhérer à un véritable multilatéralisme.

Initialement prévue en octobre 2020 à Kunming en Chine et reportée plusieurs fois pour cause de pandémie mondiale, la COP15 pour la biodiversité s’est finalement tenue du 7 décembre au 19 décembre dernier à Montréal, sous la présidence de la Chine. Le premier pollueur mondial a mené les négociations permettant d’aboutir à un accord signé par plus de 190 États. Cet accord ambitionne à l’horizon 2030 à la protection de 30 % des terres, eaux douces et océans de la planète par les gouvernements mondiaux – contre actuellement 17 % de zones terrestres et 10 % de zones marines. L’accord annonce la mise en place de plusieurs indicateurs et outils afin d’assurer un suivi tout au long de la décennie à venir.

La stratégie de la Chine doit aussi être analysée sous le prisme d’un face-à-face avec l’Occident : Xi Jinping parle en effet d’un « mode de vie de modération et de frugalité », un mode de vie « vert et sobre en carbone » à adopter, qu’il oppose à « l’extravagance et à la consommation injustifiable », dans laquelle il serait difficile de ne pas voir la référence à une certaine image de l’Occident. L’écologie incarne ici un nouveau terrain d’opposition aux normes occidentales.

 

En effet, d’après le PCC, l’influence culturelle occidentale « polluerait spirituellement » l’esprit originel chinois. L’Occident, et les États-Unis en tête, seraient des machines à polluer, sur les plans matériel et spirituel. En ce sens, la pollution physique et morale est perçue comme un phénomène exogène à l’environnement chinois. Les différents maux dont souffrirait la population chinoise, tels que les « nuages bruns » et autres troubles sanitaires, seraient en partie la faute de l’Occident, de façon directe ou indirecte. La Chine étant l’un des plus gros exportateurs du monde, elle dénonce aussi dans le même temps les pays occidentaux, les accusant d’être les plus grands émetteurs de carbone car ils sont les principaux importateurs de produits chinois.

Il s’agit ici d’un pur exemple de la stratégie chinoise de déni et de diversion, issue du programme du PCC, qui permet au pays de s'exonérer en partie de toute accusation. 

Pourtant, il y a une vraie différence entre les discours chinois sur la « civilisation écologique » et les actes réels mis en place par la Chine. Ce fossé apparaît encore plus lorsque l’on regarde la dépendance de l’économie chinoise à l’égard du charbon. Malgré les engagements pris lors des accords de Paris en 2015, la Chine continue non seulement à ouvrir des centrales à charbon mais exploite aussi de plus en plus de centrales dans des pays tiers qu’elle vampirise. Ces exploitations ont notamment lieu dans les pays africains où passent par exemple les « Nouvelles routes de la soie », à l’image du Kenya ; cette stratégie ayant pour finalité terminale d’exporter à l’étranger la pollution chinoise.  

 

La transition écologique chinoise sous le feu des critiques politiques

Il convient de rappeler que le pays reste mauvais élève sur plusieurs points, comme  la construction continue de nouvelles centrales à charbon. De plus, s’il commence à préserver ses terres, il exploite des terres rares à l’étranger, au Congo par exemple, et contribue donc à une pollution extérieure. De la même manière, les stocks de poissons étant désormais limités dans les eaux chinoises, on observe une surpêche opérée par la Chine partout dans le monde (notamment aux Galapagos ou dans les zones côtières africaines), et ceci, malgré des quotas qui régulent de telles pratiques.

Autre limite à la politique chinoise, le glissement vers un « autoritarisme vert ». En effet, en 2018, le PCC a fait inscrire le concept de « civilisation écologique » dans sa constitution. Né au milieu des années 2000 sous la plume des dirigeants Pan Yue et Hu Jintao, il renvoie à la fois à ce qui caractérise en propre la civilisation chinoise, tout en faisant de Pékin un Idéal-régulateur à atteindre. Ainsi, selon Pan Yue, la civilisation chinoise serait par essence conforme aux exigences et à l’esprit écologique véritable. Ce projet politique de la « civilisation écologique », se fondant essentiellement sur un système de surveillance, collecte beaucoup d'informations au profit du PCC et du gouvernement qui ne seront pas toujours exclusivement utilisées à des fins écologiques. Le pouvoir central chinois utilise aussi de manière ouverte ce projet écologique pour surveiller et accroître son influence sur les autorités locales, les entreprises et les individus.

Enfin, il faut faire remarquer que la volonté de la Chine de créer une politique écologique applicable à l’ensemble du pays se heurte à de nombreux obstacles. D’abord, les dirigeants chinois ont toujours peiné à imposer leur volonté aux territoires les plus reculés du pays. À cela s’ajoute le fait que les autorités locales de chaque province ne font pas toutes de l’écologie une priorité. Enfin, cette ambition chinoise a mis en place un système de « statistiques écologiques » auto-déclarées, véritable outil d’influence pour peser sur la scène internationale, mais dont la fiabilité des données peut être largement questionnée.

Certains analystes voient dans la volonté du gouvernement chinois d’endiguer la pollution un nouveau prétexte pour mieux surveiller les entreprises et les individus. La volonté de limiter la pollution déboucherait ainsi sur une extension des mécanismes de surveillance et de contrôle. De cette manière, la création de nouvelles « éco-cités intelligentes » pourrait marquer le début d’une nouvelle ère d’autoritarisme vert, à base de surveillance panoptique et d’urbanisation. L’écologie deviendrait alors un nouveau moyen et prétexte pour justifier l’exercice d’un autoritarisme vert. Surtout, la Chine se trouverait ainsi légitimée aux yeux du monde entier grâce à sa grande implication dans la lutte contre les risques climatiques.   

 

In fine, l’enjeu de la lutte informationnelle sur la question du « climat » s’inscrit dans l’ambition chinoise d’incarner la nouvelle norme symbolique dans le concert des nations. En somme, tout cela permet à l’empire du Milieu d’exercer un pouvoir d’influence pour instaurer, légitimer et renforcer davantage une sorte de soft power « vert », ou un « pouvoir culturel vert »

À ce titre, la Chine compte parmi les puissances qui dépensent le plus dans la communication publique extérieure avec près de 10 milliards de dollars par an. Il s’agit donc de faire figure d’exemple sur la scène internationale sur le sujet particulièrement sensible et décisif qu’est la « question climatique ». Ce thème est en effet très difficile à traiter pour la Chine, celle-ci souhaitant à la fois être considérée comme étant du bon côté de l’Histoire, et revendiquer une part de modernité, hors du camp réactionnaire. Mais en même temps, le pays ne peut pas non plus perdre de vue la confrontation économique pure dans laquelle il est engagé face aux États-Unis, qui implique que Pékin ne malmène pas trop fort, pas trop tôt et pas trop vite son tissu économique au nom de l’écologie.

 

Zinedine G.Chloe de S. et Pomme H. pour le club Influence de l’AEGE

 

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