Les mécanismes du marché européen de l’énergie sont de plus en plus contestés en raison de l’augmentation des prix de l’électricité, remettant en cause l’accès à l’énergie de nombreuses entreprises, mais aussi des citoyens français.
En France, il existe un droit d’accès à l’énergie, garanti par la loi n°2000-108 du 10 février 2000, qui dispose que tous les citoyens français ont le droit d’accéder à l’énergie pour leur assurer un niveau de vie décent tout en agissant pour la protection de l’environnement.
L’Union européenne (UE) est aussi allée dans ce sens en publiant une stratégie pour une union de l’énergie en 2015, en vue de « garantir aux foyers et aux entreprises de l’Union un approvisionnement énergétique sûr, durable, compétitif et à des prix abordables ». En 2019, un règlement a été adopté sur la gouvernance de cette union de l’énergie et encourage les États membres à « établir un plan national intégré en matière d’énergie et de climat d’une durée de dix ans, présenter un rapport d’avancement tous les deux ans et élaborer des stratégies nationales à long terme cohérentes pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris ».
Aujourd’hui, les Européens font face à une envolée des prix de l’énergie. Pour 2022, l’INSEE constate une augmentation moyenne des prix de l’énergie de 23,1 % en France, principalement liée à l’augmentation des coûts du gaz et ses répercussions sur les tarifs du marché européen. L’impact sur l’accès à l’énergie et la garantie du droit en découlant s’en trouvent donc atteints. En ce sens, comment la France se positionne-t-elle pour assurer des prix raisonnables et garantir ce droit d’accès à l’énergie ?
Une remise en question du marché de l’électricité
L’impossibilité de stocker de l’électricité implique que tout surplus doit être vendu et utilisé grâce aux interconnexions des réseaux électriques européens. Le prix de l’électricité produite est ainsi indexé sur celui de la dernière centrale appelée à produire, majoritairement des centrales à gaz, ce qui explique la forte exposition des prix à ceux du gaz. L’UE prend conscience des limites du fonctionnement de ce marché, n’encourageant pas la transition vers des sources d’énergies plus propres et la rendant dépendante de la conjoncture mondiale.
Ainsi, au plus fort de la crise en Ukraine, la péninsule ibérique s’était dotée d’un système de plafonnement des prix du gaz servant à la production électrique alors que de nombreux pays européens s’y étaient opposés auparavant. L’Angleterre, pour sa part, a opté pour un mécanisme où les producteurs d’électricité bas carbone (renouvelables et nucléaire) ne sont pas rattachés au marché et profitent de prix de revente plus stables, calqués sur les coûts de production. En ce sens, la France et d’autres membres de l’UE poussent pour une réforme du marché de l’électricité qui n’a, pour l’instant, abouti que sur une possibilité de plafonnement des prix du gaz. Ce mécanisme nécessite des conditions qui n’ont jamais été atteintes, même depuis le début du conflit en Ukraine.
Depuis l’accord de Paris en 2015 et les stratégies d’orientation énergétique décidées à la même période au niveau européen, force est de constater que le gaz s’est imposé comme une énergie de transition sur laquelle l’UE souhaite s’appuyer pour réaliser ces objectifs.
En ce sens, l’Allemagne s’est imposée et s’impose toujours comme le hub gazier européen soutenant la production d’énergie renouvelable grâce à ses centrales à gaz venant combler l’intermittence des énergies éolienne et solaire. Jusqu’à l’année dernière, l’investissement massif dans un partenariat avec la Russie et la construction des gazoducs Nord Stream démontraient concrètement cette volonté. Cependant, depuis les sanctions imposées à la Russie et le sabotage des gazoducs, l’Allemagne investit massivement pour importer et exploiter le gaz naturel liquéfié (GNL) en provenance des États-Unis et des pays du Golfe. Cette situation de quasi-monopole lui assure un avantage certain sur ses voisins européens qui, s’ils souhaitent décarboner leurs mix énergétiques, auront besoin de centrales à gaz ou du moins de l’électricité produite par ces centrales – dont la plupart se trouvent en Allemagne. Le pays d’outre-Rhin, grâce aux multiples investissements pour attirer les importations de GNL, sera donc le plus à même de satisfaire cette demande.
À l’inverse, la France – disposant d’un parc nucléaire historique très peu polluant et coûteux – se retrouve à devoir revendre l’électricité produite par EDF à des coûts bien plus faibles que les tarifs du marché où les prix ne cessent d’augmenter du fait de l’explosion des coûts d’importation et des investissements nécessaires à l’exploitation du GNL.
Cette situation encourage la spéculation sur les marchés et entraîne un accroissement des prix de l’énergie contraire aux coûts généraux de la production énergétique française, au détriment de son industrie et des consommateurs.
Une réforme planifiant des programmations énergétiques de long terme
Ainsi, si l’idée d’une réforme est de plus en plus discutée, les réticences sont nombreuses, s’agissant d’une refonte complète du marché.
Dominique Finon (chercheur au CNRS) et Étienne Beeker (conseiller scientifique chez France Stratégie) se sont positionnés à de nombreuses reprises sur le sujet. Ils envisagent une réforme instituant un acheteur unique et des contrats de long terme garantis par les États, réduisant la volatilité des prix en fixant ces derniers sur les coûts réels de production du nucléaire et des renouvelables, bien plus bas que ceux du gaz.
Selon les auteurs, une telle réforme garantirait des prix stables et modérés aux consommateurs et serait certainement une solution pour parvenir à garantir le droit d’accès à l’énergie bas carbone produite par le nucléaire et les énergies renouvelables.
Dans ce scénario, le nucléaire constituerait d’autant plus un avantage concurrentiel d’une énergie à un prix très compétitif pour la France, favorisant les énergies bas carbone. Cependant, cela implique un réinvestissement massif dans la filière qui fait face à certaines difficultés liées au prolongement de la durée de vie des centrales et aux réticences de l’opinion publique. Ces investissements iraient aussi de pair avec la relance de notre industrie et les engagements de l’Accord de Paris. Cependant, la France doit aussi prendre en compte ses alliés européens et pourrait s’orienter vers plus de coopération avec des pays comme l’Italie qui a récemment fait remarquer l’orientation des gouvernements français et allemands, leur reprochant de faire cavaliers seuls en matière de réindustrialisation.
Club Droit de l’AEGE
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