[CONVERSATION] Ces français au service de l’étranger, avec Clément Fayol

Le mardi 11 mai 2021, le Club Influence de l’Ecole de Guerre Economique recevait Clément Fayol, journaliste d’investigation, pour une conférence au sujet de son dernier ouvrage : Ces Français au service de l’étranger – Affairisme, mélange des genres : quand notre élite oublie la France. Il s’agit d’une enquête minutieuse qui met en lumière la fuite d’un certain nombre d’élites françaises qui choisissent de soutenir des intérêts étrangers, au détriment de la France.

Ce qui a poussé Clément Fayol à l’écriture de son nouveau livre est le constat suivant :  Quand des réseaux internationaux ciblent la France, il y a systématiquement des personnalités françaises prêtes à servir les intérêts étrangers. Ce n’est pas un jugement de valeur, mais plutôt un problème organisationnel et d’ordre politique. Le livre est le fruit d’un an et demi d’enquêtes s’intéresse à la façon dont les réseaux étrangers ciblent la France via ses élites (hauts fonctionnaires, députés, cadres du renseignement…) qui sont pourtant censées servir l’intérêt collectif. Cet ouvrage met en lumière leurs motivations, mais aussi les nombreux jeux d’influence et de pouvoir qui sont à l'œuvre derrière ce phénomène.

Club Influence (CI) : Dans votre livre, vous critiquez ouvertement des élites et personnalités françaises qui agissent contre la France. Cela a dû créer du mécontentement chez les personnes dénoncées. Pourriez-vous nous expliquer votre démarche et en quoi vous différenciez-vous d’un lanceur d'alerte ? Comment votre ouvrage a-t-il été reçu ?

Clément Fayol (CF) : Être journaliste d’investigation indépendant, c’est s’intéresser à des sujets peu connus qui méritent d’être mis en lumière pour l’intérêt public et général. Pour mener des enquêtes, il est fondamental d’avoir une bonne compréhension du sujet, en rentrant dans les réseaux d’information et d’influence. Les réseaux sont un agencement de personnes, de structures, d’institutions ou d’entreprises liées les unes aux autres, par lesquels passent des informations cachées. Le travail du journaliste d’investigation est ensuite de recouper les informations via d’autres contacts ou via les articles de presse, livres ou documentaires. La clé, c’est de rester factuel et méthodique. C’est ce point qui différencie le journaliste d’investigation au lanceur d’alerte, qui n’a pas le même savoir-faire. Un journaliste d’investigation assume ce qu’il dit et écrit. Un lanceur d’alerte a une approche plus militante et fait du bruit sur quelque chose dont il a été témoin. C’est une expérience personnelle. 

Par son approche offensive, ce livre a généré beaucoup de critiques de la part des politiques et autres élites dénoncées. En tant que journaliste d’investigation, il faut être capable de prendre des risques et résister aux tentatives d’intimidation telles qu’assignations en justice, convocations de la DGSI ou envois de courriers anonymes…

CI : Nous avons des élites formées dans nos cœurs d’Etat et qui se forment des réseaux et des compétences au sein des administrations, pour les mettre au service de la France et finissent par travailler pour le privé ou des puissances étrangères. Nos dirigeants répondent-ils à ces invitations sans s’apercevoir qu’ils servent de marionnettes et donnent du poids à des stratégies de prédation économique ? Est-ce que cela ne dénote pas l’absence d’une vision stratégique de ce qu’est la guerre économique ?

CF : La fuite des élites peut prendre plusieurs formes qui ont des conséquences plus ou moins graves pour la France. Dans certains cas, il s’agit juste d’une perte sèche d’élites françaises, formées en France qui partent travailler à l’étranger ou pour des entreprises étrangères. Il n’y a pas forcément de risques apparents d’influence ou de manipulation. Cependant, cette fuite d’élites devient bien plus problématique quand les intérêts français sont menacés. Plusieurs exemples sont particulièrement marquants tels que, le cas de Jean-Pierre Raffarin (Premier ministre de 2002 à 2005), qui est proche de la Chine, ou encore Dominique de Villepin (Premier ministre de 2005 à 2007), qui est régulièrement reçu et rémunéré par de nombreux pays qu’il conseille. C’est également le cas de Nicolas Sarkozy, qui est très proche des Qataris sur le plan politique, diplomatique et des affaires. Il aurait par exemple aidé les Qataris à devenir actionnaires de plusieurs multinationales françaises. Ces reconversions bradent le prestige du pays. Un autre cas intéressant est celui d’anciens ministres, membres des services de renseignements et autres élites françaises qui rejoignent des cabinets de consulting étrangers qui sont souvent américains. C’est le cas du Général de Villiers qui a rejoint le Boston Consulting Group. Ce n’est pas problématique d’un point de vue stratégique, mais d’un point de vue symbolique oui. Cependant, parce qu’ils évoluent dans un écosystème américain, si un jour les Etats-Unis ont des intérêts antagonistes avec ceux de la France, leurs connaissances ne serviront pas la France, mais bien les Etats-Unis. 

Le manque de stratégie des institutions se ressent jusqu’au niveau de l’Union Européenne ou même dans d’autres organisations internationales. Par exemple, à Bruxelles, sur des questions stratégiques de premier plan telles que les quotas de pêche ou l’énergie, les représentants de la France ne semblent pas avoir de consignes ou d’informations précises sur le positionnement qu’ils doivent adopter pour défendre les intérêts du pays. Cette absence de vision stratégique pourrait donc partiellement expliquer le manque d’engagement des élites françaises une fois leur mandat terminé. 

CI : Pourquoi avez-vous fait le choix de ne pas apporter une vision analytique dans votre livre ? Auriez-vous des solutions pour lutter contre ce fléau Français ? 

CF : En tant que journaliste d’investigation, mon objectif dans ce livre a été de chercher des informations cachées pour les mettre en lumière et créer le débat. Mon rôle n’est pas de trouver des réponses. C’est une question de légitimité. On observe cependant plusieurs types de solutions qui varient généralement en fonction des régimes politiques. La solution Russe réside dans la mise en place de lois restrictives comme avec l’interdiction d’anciens des services de renseignement de quitter le territoire pendant plusieurs années. La solution chinoise semble être bien plus brutale, à l’image de la disparition du chef d’Interpol chinois, Meng Hongwei, ou plus récemment les pressions exercées à l’encontre du CEO d’Alibaba, Jack Ma. Tout citoyen agissant contre les intérêts de la Chine prend donc un risque important. Aux Etats-Unis, l’écosystème économique cohabite très bien avec le monde du renseignement et de la politique. Les Etats-Unis, quant à eux, sont à la pointe dans de nombreux domaines et comptent de nombreuses multinationales ultra puissantes. Travailler contre l’intérêt américain ne serait donc pas dans l’intérêt des élites américaines. 

En France, Etat de droit, il est difficile de contraindre une personne à ne pas rejoindre certains réseaux ou sphères d’influence. Il n’est donc pas envisageable d’agir comme des pays au pouvoir centralisé, pour qui les libertés individuelles passent après la projection de puissance. Des solutions propres à la France restent donc encore à être déterminées. 

 

Club Influence de l’AEGE

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