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Affaire Frédéric PIERUCCI : le cadre d’Alstom retourne en prison

Aujourd’hui, jeudi 26 octobre, Frédéric Pierucci, ancien Vice-Président monde de la division chaudière d’Alstom Power Inc. (filiale basée au Connecticut), retourne en prison aux Etats-Unis afin d’y purger sa peine de 14 mois.

La situation de ce « cadre maudit » touche de près l’affaire du rachat d’Alstom par General Electric en 2014. Elle pose d’ailleurs plusieurs questions, en termes de respect des droits de l’homme, de limites de l’extraterritorialité du droit américain, et d’indépendance énergétique française.

Entre 2002 et 2009, Alstom, entreprise spécialisée dans les systèmes, équipements et services pour le secteur du transport et de l’énergie, négocie un contrat de 118 millions de dollars avec le gouvernement indonésien pour la construction d’une centrale électrique, aussi appelé projet Taharan. Or, lors des négociations, quatre cadres d’Alstom versent, par l’intermédiaire de deux consultants, 72 millions de dollars de pots-de-vin aux autorités indonésiennes et à l’entreprise publique d’électricité du pays. En 2010, le FBI intercepte des mails compromettants, et ouvre une enquête.

Deux ans plus tard, David Rothschild, Vice-Président des ventes de la filiale d’Alstom, est arrêté aux Etats-Unis. Il plaide coupable pour avoir violé le Foreign and Corrupt Practices Act (FCPA) de 1977. Cette loi permet aux Etats-Unis de poursuivre toute entreprise se rendant coupable de corruption et pouvant être rattachée au territoire des Etats-Unis (via des transactions en dollars, la présence d’une filiale ou le passage sur le territoire…). Afin d’alléger sa peine, il passe un accord avec la justice américaine ; l’étau se resserre autour d’Alstom.

En mars 2013, le groupe Alstom a alerté par un e-mail, 70 de ses cadres dirigeants, se trouvant dans une « situation sensible » s’ils venaient à voyager aux Etats-Unis.

Frédéric Pierucci, non-mentionné sur cette liste, est envoyé en déplacement aux Etats-Unis. Dès son arrivée, à l’aéroport de New-York, il est interpelé et accusé par le Department of Justice (DOJ) de corruption et de blanchiment d’argent dans la signature du contrat en Indonésie.

Le 15 avril 2013, le considérant comme potentiel fugitif en cas de relaxe, les autorités américaines le placent dans un centre de détention de haute-sécurité, dans l’attente de son jugement. Ses conditions d’emprisonnement démontrent une violence exacerbée : « Nous sommes un centre classé haute sécurité avec toute sorte de détenus », explique le Directeur de la prison Wyatt à Rhode Island, interrogé par le Journal du Dimanche du 13 juillet 2014. « Monsieur Pierucci n’a pas bénéficié de traitement de faveur. Il a connu les nuits en cellules et en dortoir ». L’avocat de M. Pierucci, relevait également que son client évoluait dans un milieu où la violence s’illustrait par des règlements de compte entre gangs, des viols et un suicide. Il n’a d’ailleurs eu le droit qu’à des visites sans contact.

Au-delà des interrogations sur les raisons qui ont poussé les autorités américaines à choisir un tel centre pour son incarcération, les conditions de détention de M. Pierucci posent la question du respect des droits de l’Homme. La situation répondait-elle à un impératif impérieux de sécurité ? Où était-ce un moyen indirect de faire pression sur le groupe Alstom ?

Alors qu’il est en détention, les dessous du contrat Taharan et la corruption sont rendus publics par le DOJ. Au même moment, le rachat d’Alstom par General Electric fuite dans la presse, étouffant presque totalement l’affaire Pierucci.

Tout s’enchaîne alors très vite pour Alstom : après avoir trouvé une entente le 1er novembre 2015, l’entreprise, appuyée par le gouvernement français, signe son rachat par General Electric. Le 22 décembre 2015, elle plaide coupable pour avoir violé le FCPA et est condamnée à payer une amende de 772 millions de dollars. Un mois plus tard, en janvier 2016, Patrick Kron, P-DG d’Alstom, quitte le groupe avec une prime de 6.5 millions d’euros.

L’envers de cette vente met en évidence deux interrogations importantes. Qu’en est-il du maintien d’une activité industrielle autonome en France ? Et qu’en est-il de l’indépendance stratégique française en matière d’approvisionnement en énergie ?

Aujourd’hui, si l’affaire « ALSTOM » semble terminée, ce n’est pas le cas de l’affaire « PIERUCCI ». En effet, il a été condamné par la justice américaine le 25 septembre dernier à deux ans et demi de prison et 20 000 dollars d’amende. A l’inverse, les trois anciens cadres d’Alstom impliqués dans cette affaire n’ont toujours pas été jugés : l’un est décédé et les deux autres sont encore en attente de jugement. Comment expliquer alors que seul M. Pierucci ait été emprisonné et condamné aussi rapidement ? Que voulaient prouver les autorités américaines en agissant ainsi ? Au regard des commentaires des procureurs et juges dans ce procès et de l’acharnement des autorités américaines sur ces deux affaires, ces dernières comptent bien faire d’Alstom et de Frédéric Pierucci « un exemple ». Mais jusqu’où peuvent aller les Etats-Unis dans cette mission de chevalier blanc, contre la corruption ? Se pose la question de l’équité de traitement entre les entreprises étrangères et les entreprises américaines. Ou encore celle d’une possible réciprocité réglementaire à construire en Europe sur le sujet de l’extraterritorialité.

Ainsi, trois ans après, des zones d’ombres sur l’affaire Alstom persistent, tant juridiques que politiques.

Néanmoins, ce cas d’étude et plus particulièrement, le procès de Frédéric Pierucci sont révélateurs de deux choses : l’abandon et le laxisme à la fois de Patrick Kron pour Alstom et du gouvernement français pour la force industrielle française, ainsi que l’omniprésence américaine, qui utilise la force de sa loi pour contraindre en se justifiant par la lutte contre la corruption.

Se posent alors deux interrogations majeures : celle de l’extraterritorialité et du rôle des Etats-Unis et celle de l’indépendance industrielle de la France.

 

Il s’agit finalement de s’interroger sur les volontés premières qui animent véritablement le législateur et le judiciaire américains.

De l’autre côté de l’Atlantique se pose la question des enjeux stratégiques, de l’excellence et de l’indépendance industrielle de la France.

 

 

Retrouvez notre interview des réalisateurs du documentaire "La Guerre Fantôme" sur le même sujet. 

ou retrouvez le documentaire sur LCP.

 

Mathis FELARDOS, Manon FONTAINE ARMAND, Florie HELCMANOCKI, Gaëlle LANDRU, Aristide LUCET