Depuis la publication en juillet 2019 de la Stratégie Nationale du Renseignement, la politique française d’intelligence économique a vu son importance rehaussée au sein des objectifs de défense et d’anticipation des services de renseignement français. Cette nouvelle approche se traduit par un approfondissement de la coopération entre les services et les entreprises du CAC 40 et un développement de l’intelligence économique au niveau territorial.
La prise de conscience gouvernementale sur l’enjeu du développement et de l’intégration d’une politique d’intelligence économique est particulièrement visible dans la Stratégie Nationale du Renseignement, publiée en Juillet 2019 par la Coordination Nationale du Renseignement et de la Lutte contre le Terrorisme (CNRLT). La Stratégie Nationale du Renseignement (SNR) s’inscrit dans la perspective de la loi du 18 décembre 2013 et a déjà fait l’objet d’une première version en octobre 2014. Etablie pour 5 ans, l’objectif de la formulation d’une stratégie spécifique aux services de renseignements français était de décliner les objectifs du Livre Blanc de 2013 et de rendre plus lisible le rôle du renseignement au sein de la société française. Pourtant cette stratégie ne prenait en compte les enjeux de la sécurité économique que d’un point de vue réactif vis-à-vis de la prédation économique dont d’autres puissances faisaient alors preuve.
Si les priorités stratégiques du renseignement demeurent focalisées sur la menace terroriste dans le document de 2019, la défense et la promotion de l’économie nationale prend enfin pied à ses côtés. Sur le plan défensif, la SNR vise à pérenniser la relation entre les entreprises et les différents services de renseignement par la création d’un pôle dédié au sein de chacune d’entre elles, permettant une coopération plus efficace entre les différents services et une entreprise donnée. Ces entreprises ne concernent désormais plus seulement les organismes d’importance vitale (OIV) mais aussi les entreprises de taille intermédiaires, les centres de recherche et les start-ups opérant dans des domaines sensibles. Sur le plan offensif, la promotion des intérêts économiques français devient un axe majeur de la stratégie de renseignement nationale. D’une part, les services se voient investis d’une mission d’acquisition de connaissances dans les différents secteurs économiques. D’autre part, les entreprises du CAC 40 sont en contacts directs avec ces services, afin de prendre connaissance des stratégies étatiques vis-à-vis des intérêts et des marchés des entreprises françaises.
Le développement de la stratégie nationale du renseignement passe aussi invariablement par le renforcement de la coordination entre l’échelon national et régional. Dans une logique de veille permanente, le Service de l’Information Stratégique et de la Sécurité Économique (SISSE) déploie quelques 22 délégués à l’information stratégique au sein des Directions régionales des entreprises, responsables de l’identification de menaces et de signaux faibles en région. Ce dispositif doit permettre de faire remonter les risques stratégiques inhérents à l’activité des entreprises sur le territoire aux ministères concernés et aux services de renseignement nationaux. Dans ce cadre, il ne serait pas impossible de voir s’opérer une refonte du renseignement territorial qui s’intégrerait directement à la direction de la Police Nationale. Focalisé sur les enjeux de sécurité économique, un tel département pourrait bénéficier d’une plus grande autonomie, et permettre un gain d’efficacité par la mise en commun des ressources entre le cabinet du ministre de l’intérieur et la direction de la Police nationale.
Enfin, s’il faut apprécier les efforts mis en œuvre pour rendre la sécurité économique des entreprises françaises plus compréhensible et opérationnelle, il ne faudrait pas perdre de vue le caractère offensif des moyens innovants développés par d’autres puissances en quête d’influence.
Christophe Moulin & Elie Bittar