Le refus de la cession de Photonis à l’américain Teledyne : la première entreprise française protégée par le contrôle des investissements étrangers

Riche en rebondissements, l’avenir de Photonis, initialement entré en négociations exclusives avec son concurrent américain Teledyne, continue finalement de s’écrire en France. En effet, le ministre de l’Economie a rejeté la demande d’autorisation de l’acquéreur au terme de la procédure de contrôle des investissements étrangers, agitant parallèlement le débat sur le risque d’une nouvelle dépendance de l’industrie de défense et des forces armées envers une puissance étrangère.

Après quelques semaines d’évaluation des potentiels repreneurs américains de Photonis, son propriétaire Ardian a finalement choisi Teledyne pour entrer en négociations exclusives. Selon les informations des Echos, les discussions évoqueraient une valorisation à 500 millions d’euros. A ce jour, la DGA n’ayant pas réussi à convaincre Safran et Thalès de racheter Photonis, la cession est désormais examinée par la Direction générale du Trésor au titre du contrôle des investissements étrangers en France (IEF).

Pour autant, l’annonce de cette cession a suscité de notables réactions : outre celles de la sphère politique et des médias, le ministre de l’Economie Bruno Le Maire a appelé les administrations et entreprises à préserver collectivement les actifs liés aux enjeux de souveraineté technologique, en ciblant particulièrement Thalès, dont l’Etat est actionnaire direct (25,68%). D’autre part, un communiqué de l’Observatoire de l’Intelligence Economique Français (OIEF) a fait part de son inquiétude face à la nouvelle perte potentielle d’un actif stratégique, demandant l’opposition des autorités compétentes à ce projet et proposant l’association d’industriels de défense, de fonds d’investissement et de Bpifrance pour élaborer une solution de reprise alternative durable. 

A ce stade, la conjonction de ces réactions et du contrôle des investissements a visiblement abouti à un veto de Bercy, coordonné avec le Ministère des Armées, sans qu’il n’y ait toutefois d’offre française actuellement constituée. Il s’agirait donc du premier dossier public où la procédure IEF a contribué à la protection d’une entreprise critique pour l’autonomie stratégique tricolore.

Pour les intérêts nationaux, la cession de cet actif à un investisseur étranger poserait plusieurs problèmes. Outre les accusations de corruption au Soudan du repreneur allégué par le contrôle des investissements étrangers américain (OFACOffice of Foreign Assets Control), la vente d’un équipementier des forces spéciales remettrait en cause la maîtrise d’une partie de la chaîne de valeur de l’industrie de défense française par ses clients finaux. Elle réduirait ainsi l’avantage technologique concurrentiel de l’armée et la capacité à optimiser la projection autonome des forces françaises sur les différents théâtres d’opérations. 

Enfin dans ce cas précis, Teledyne entretient des relations contractuelles récurrentes avec l’écosystème de défense américain, notamment le Department of Defence, les forces terrestres, aériennes et marines ainsi que la Nasa, intéressés par ses technologies optiques, simulateurs de défense anti-missiles ou drones sous-marins. A cet égard, on peut imaginer que ces acteurs auraient favorablement accueilli les dernières innovations du leader mondial de la vision nocturne déclinées à leur profit.

Louis-Marie Heuzé & Christophe Moulin