Révélatrice de nombreuses interrogations prospectives sur les prochaines décennies, la crise sanitaire a notamment mis en évidence le potentiel de l’hydrogène renouvelable et la volonté politique de nombreux pays de promouvoir cette énergie. Au milieu de ses concurrents sud-américains et européens, le Chili compte bien rejoindre la course au leadership mondial et réfléchit activement à la meilleure manière de se positionner sur la ligne de départ.
A l’occasion d’une conférence de presse internationale tenue le 27 juillet, le ministre de l’énergie chilien Juan Carlos Jobet a affiché les ambitions de son gouvernement en matière de stratégie de développement national de l’hydrogène vert, produit par électrolyse à partir d’énergies renouvelables.
S’appuyant sur les travaux préalables de la mission Cavendish, il vise notamment une production de 25000 tonnes d’ici 2050, susceptible de rapporter 30 milliards de dollars de revenus annuels (soit autant que grâce aux mines de cuivre, première industrie du pays) et de satisfaire 5% d’une demande mondiale en hydrogène équivalente à la moitié de celle du pétrole à terme, fort de ses importantes ressources dans le solaire et l’éolien. En attendant la définition de standards réglementaires industriels, la stratégie nationale de l’hydrogène vert devrait être finalisée d’ici octobre, juste avant l’organisation d’un sommet gouvernemental à ce sujet. De fait, les autorités chiliennes réfléchissent surtout à structurer leur future chaîne de valeur en attirant les investissements, les technologies et l’ingénierie spécifique, et en s’appuyant sur la qualité de sa densité énergétique, présentée comme 3 fois supérieure à celle de l’essence et 120 fois à celle du lithium.
Dans la foulée de ces annonces, la participation financière (20% des 1,3 million d’euros) du CORFO (agence nationale de développement économique) au projet Hydra mené par le CSIRO (agence gouvernementale australienne de recherche), Mining3 (initiative australienne de R&D minière) et Engie (qui a auparavant rejoint Mining3) semble marquer les débuts de la mise en œuvre de cette stratégie, particulièrement en termes de construction de la filière et d’attraction des investisseurs étrangers. Ce projet d’utilisation d’hydrogène vert dans les éléments moteurs des véhicules miniers doit conduire des études de préfaisabilité, fabriquer et tester un prototype, déterminer les normes de sécurité et évaluer la compétitivité d’une telle technologie dans le but de la déployer à grande échelle.
Avec le développement et la maîtrise de cette nouvelle source d’énergie (néanmoins secondaire), le Chili, tenté par une éventuelle captation de technologies, s’assure plusieurs avantages stratégiques : si la naissance d’une industrie de substitution au secteur minier reste à prouver, elle lui permet du moins de diversifier ses exportations, réduire sa dépendance énergétique à l’égard de ses voisins (61% en 2015) et donc maîtriser l’approvisionnement nécessaire au bon fonctionnement de ses mines.
Par ailleurs, le Chili compte s’appuyer sur une coopération avec l’Allemagne, voire le Japon — deux pays ayant mis sorti le nucléaire de leur mix énergétique à la suite de l’accident de Fukushima — l’Australie, déjà bien implantée localement et Singapour. Ainsi reconnue pour son expertise, l’Allemagne aurait donc l’opportunité de mettre en place une stratégie d’influence normative et d’infléchir un nouveau marché en fonction des intérêts de ses entreprises.
Enfin, ces dernières initiatives reflètent l’intensification d’une concurrence mondiale dans ce domaine. Outre le plan de soutien allemand de 9 milliards d’euros à la filière, le Portugal vient de dévoiler sa stratégie nationale 2030 pour 7 milliards, tandis que la France subventionne ses acteurs nationaux à hauteur de 100 millions depuis 2018. Au niveau régional, l’effervescence se fait aussi sentir, stratégies nationales récurrentes à la clé, notamment pour l’Uruguay, le Paraguay et l’Argentine.
Louis-Marie Heuzé