DSA et Twitter Blue, une révolution à venir dans la modération de la liberté d’expression ?

Le 01 novembre 2022, Elon Musk annonce via un tweet, comme à son habitude, une nouvelle qui pourrait bien révolutionner Twitter et le monde de l’information ainsi que de la liberté d’expression.
Objet du débat, Twitter Blue, abonnement permettant d’accéder à des fonctionnalités premium depuis juin 2021 et ayant pour objectif de renflouer les caisses de la société. L’offre se voit gratifier de l’ajout de la fonctionnalité tant convoitée de certifications des comptes.

À la suite de cette annonce, la twittosphère est entrée en ébullition, amenant même l’auteur Stephen King à comparer la stratégie du nouveau PDG de Twitter à l’affaire Enron

À ce jour, la vérification de compte permet d’authentifier sur le réseau le vrai compte d’une personnalité ou entreprise grâce à une pastille jointe à son pseudo. Cela facilite la lutte pour ce dernier contre les faux comptes et usurpations d’identité sur Twitter et permet aux utilisateurs de reconnaître en un coup d’œil un compte officiel.
Elle repose sur trois fondements : authenticité, notoriété et activité. C’est une réelle garantie de confiance que fournit la plateforme à ses utilisateurs. 

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Avec l’ajout de cette vérification à Blue, Elon Musk démolit deux de ces piliers en ne conservant que la notion d’actif puisque n’importe qui s’acquittant de 8$/mois pourra arborer ce badge tant convoité.
Afin de justifier ce tarif, Musk vante notamment la mise en avant des tweets des comptes certifiés, la possibilité d’envoyer des audios et vidéos plus longs ou moins de publicité. D’autres fonctionnalités se verront ajoutées ou modifiées pour satisfaire cette vision de « pouvoir au peuple ».

 

Mais en quoi cette certification enfin accessible à tous peut-elle révolutionner la liberté d’expression sur la plateforme ? 

Avec la validation du Digital Service Act (DSA) il y a tout juste une semaine, l’Union européenne s’est dotée d’un nouvel arsenal juridique pour encadrer les mondes de l’internet, et notamment la publicité en ligne. 

L’article 3(r) défini comme publicité, « Toutes informations destinées à promouvoir le message d’une personne physique ou morale, qu’elles aient des visées commerciales ou non commerciales, et présentées par une plateforme en ligne sur son interface en ligne, moyennant rémunération, dans le but spécifique de promouvoir ces informations. » Guillaume Champeau, Directeur juridique de Clever Cloud et ancien de Qwant

Ce « but spécifique », c’est ce que proposera Blue en sus des autres fonctionnalités dans un avenir proche, sous condition que les promesses du nouveau propriétaire de Twitter deviennent réalité.
Mise en avant des tweets et contenues dans les recherches, mise en avant des réponses dans les feeds de discussions (réponses) et mise en avant des mentions auprès des utilisateurs de la plateforme, c’est ce que fera Blue

Que les communications des entreprises et organismes sur la plateforme soient interprétées comme telles fait sens. En revanche, pour les personnalités publiques, cela viendrait changer le statu quo et les exposer d’une tout autre manière !
En plus du DSA qui régit ces communications viendraient les droits nationaux, les fake news ou approximation « involontaire » pourraient devenir une publicité trompeuse ou mensongère. La promotion de certains produits ou services pourrait aussi s’avérer risquée.

 

Les institutions devront donc trancher sur le fait que Blue est un produit publicitaire ou non.

Si oui, la solution est simple. Ne pas certifier son compte permet de manière certaine d’échapper au DSA et profiter de la liberté de parole illimitée réclamée par Musk depuis des années. Mais en faisant cela, ces comptes s’exposent à une usurpation facile de leur identité sur le réseau, usurpation déjà facilitée par cette nouvelle formule.
Actuellement deux éléments différencient un faux compte d’un officiel, le « @ ». permettant d’identifier l’utilisateur et le badge certifié. Demain, seul le « @ » permettra cette nuance et les utilisateurs réguliers de l’oiseau bleu savent à quel point il est aisé d'être abusé pas un compte parodique.

De plus, l’article 26 du DSA interdit la publicité sous pseudo, le bénéficiaire doit être clairement identifiable. Or les tweetos (utilisateurs de Twitter), sont très friands des pseudos plus ou moins éloignés de leurs noms publics. Encore un point à éclaircir pour nos institutions.

Probablement grâce à un effet de bord malencontreux et sûrement par chance, l’Union s'est dotée d’un texte puissant capable de beaucoup. En considérant toute déclaration publique, tweet, certifié comme publicité, il deviendrait vital pour ces personnes de mesurer leurs propos, s’assurer de leurs exactitudes afin d’éviter des poursuites tous azimuts. L’horizon d’un Tweeter sain et juste se dessine. Mais ces mêmes outils sont aussi dangereux quand on sait les enjeux de la liberté d’expression et pourraient bien mener à notre perte. La police de la bien pensance sur les réseaux se verrait remettre un outil entre les mains capable de bâillonner ou effacer bon nombre de propos et idée nécessaire au débat citoyen.

 

Avant le DSA, l’UE à déjà su bâtir des outils puissants. En témoigne le RGPD, texte qui a permis de régulariser et normer le monde de la donnée personnelle. Ce texte est aujourd’hui craint de toute entité européenne qui y dépense beaucoup d’énergie pour s’y conformer.
Le RGPD, malgré sa volonté de s’affranchir de l’extraterritorialité du droit américain, n’a pas porté ses fruits, du fait d’une puissance des GAFAM contre qui l’UE et les institutions en  charges de l’appliqué n’ont pas souhaité engager un réel combat pour le faire appliquer. 

Comme sur beaucoup d'autres sujets, l’Europe est dépendante de services et biens fournis par des acteurs extraterritoriaux ayant une vision propre à eux-mêmes de la direction à prendre. Il serait illusoire de penser qu’une alternative puisse émerger au sein de son industrie.

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Avec un milliardaire cette fois-ci capable de couper l’accès à Twitter aux Européens en réponse aux pressions, l’UE sera-t-elle en mesure de prendre la décision protectrice des intérêts de ses concitoyens, quels qu’ils soient ? 

 

Arthur Sicard

 

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