Le 23 février sera présentée par le Premier Ministre la réforme des outils de financement et d’accompagnement des PME, ETI et grands groupes à l’International. La Banque Publique d’Investissement (Bpifrance) y trouvera toute sa place à travers son engagement pour internationaliser les PME et ETI françaises. Le transfert des garanties publiques de Coface chez Bpifrance en janvier 2017 a permis de mettre sur pied un modèle unique au monde d’Export Credit Agency. L’internationalisation représente la priorité stratégique 2018 de cet organisme jeune et dynamique qu’est devenue la Banque Publique de l’Export. En amont de ces annonces, Pedro Novo, directeur des Financements Export de Bpifrance, a bien voulu évoquer avec nous les grands traits de l’avenir de Bpifrance.
Le Portail de l'Intelligence Economique (PIE) : Que pensez-vous des propositions du rapport Zagury-Barrot concernant l’avenir de la Bpifrance ? Pensez-vous qu’il y aura une vraie réduction du scope de la Bpifrance ? Ne doit-on pas y voir la matérialisation d’une divergence d’intérêts entre acteurs du monde du financement privé et public ?
Pedro Novo (P. N.) : Cette commission a tiré des conclusions à l’opposé de celles de la commission Yung-Kayser qui avait au contraire souligné le travail remarquable de Bpifrance en matière d’internationalisation. Ces conclusions prouvent qu’il nous appartient d’expliquer davantage les résultats et les impacts de nos actions sur le marché, visiblement encore trop méconnus à la lecture de ce rapport. Cela étant dit, on pourrait légitimement se poser la question de savoir si Bpifrance n’en fait pas trop : n’est-ce pas un outil qui ne sert finalement pas à grand-chose et étouffe le marché privé ? La réalité c’est que Bpifrance représente 3,8% de part de marché en Financement en 2017, 3,9% l’année précédente. On en parle comme si on faisait 50% et cela fait à la fois peur et à la fois stimule positivement la psychologie de l’écosystème. En revanche, il est vrai qu’aujourd’hui il y a des sujets où Bpifrance joue un rôle moteur et reste très visible : les startups et plus largement l’écosystème de l’innovation. Pour certains acteurs privés nous sommes partout. C’est vrai, et cela peut être irritant. Or un modèle économique où le public donne des leçons au privé, évidemment cela ne marche pas. La réussite de Bpifrance, c’est que nous emmenons systématiquement le privé sur tous les métiers de la banque. En matière d’accompagnement par exemple, dans nos accélérateurs, ce n’est pas Bpifrance qui forme les entreprises : ce sont les acteurs privés qui nous entourent, que nous qualifions, sélectionnons et qui forment les clients de Bpifrance que nous appelons les « accélérés ».
« Continuons d’investir, car c’est quand il fait beau qu’il faut faire les travaux sur sa toiture »
Cette capacité à travailler avec l’écosystème privé explique la résilience et l’efficacité de l’ensemble du modèle lesquels impliquent que lorsque le contexte économique est bon, la croissance s’accélère. On ne réduit pas la voilure mais le poids de Bpifrance se réduit car la croissance du crédit est plus forte – le crédit a augmenté de 3 ou 4% l’année dernière pour les PME et ETI alors que notre part de marché a baissé. Quand la situation est positive, le message que nous véhiculons est « continuons d’investir, à être présents, car c’est quand il fait beau qu’il faut faire les travaux sur sa toiture », afin de préparer une crise qui aura lieu dans trois ans. Si vous ne voulez pas vous faire racheter ou déposer le bilan dans trois à quatre ans, c’est maintenant qu’il faut accélérer, grandir, innover et aller à l’international. Il faudrait surtout demander in fine aux entreprises ce qu’elles pensent de Bpifrance, si elles ont été rassurées ou pas, si notre action les a fait grandir ou pas. La réalité c’est qu’à chaque fois la réponse est « oui ». La réaction des entrepreneurs à la publication de ce rapport a été unanime pour le défendre. Qu’il y ait des clients ou entrepreneurs insatisfaits c’est tout à fait possible. On peut nous reprocher d’être trop présents là où il ne faut pas et pas assez là où il n’y a personne : c’est ce qu’on appelle la faille de marché.
Nous plaidons pour une faille de marché dynamique, qui n’est pas une photo mais un mouvement. C’est dire que dans cette dynamique le besoin de l’entreprise ne s’inscrit pas à l’instant T mais dans la durée. Le fait que le banquier puisse tout faire aujourd’hui pour l’entreprise, c’est parfait. Mais dans les années suivantes, si la même entreprise a un autre projet, est-ce que le même banquier, lequel avait chargé les encours au maximum, pourra lui dire à nouveau oui ? Probablement pas. Elle ira donc voir un autre banquier. Mais le premier banquier sera-t-il content de voir en rentrer un deuxième, ou a-t-il besoin d’un partenaire neutre comme BPIfrance ? Ce positionnement de place de Bpifrance est donc nécessaire à condition de faire avec le marché, et non à sa place. C’est notre ADN depuis 20 ans. Mais pour répondre clairement à votre question, est-ce que nous allons réduire la voilure ? Certainement pas ! Face aux tentations de nous voir reculer, nous ne pouvons que réagir face à l’ampleur de la tâche qu’il nous reste à accomplir, nous avons un pays à transformer. Ce ne sera pas avec moins de Bpifrance ! Les forces nécessaires pour cela devront être concentrées sur un objectif de résultat qui est de convaincre un chef d’entreprise de se projeter à l’international.
Il est tout à fait possible que des recommandations du rapport Zagury-Barrot soient reprises dans la loi Le Maire, il y a des choses intéressantes. Mais l’idée que Bpifrance est un géant absolu annihilant des structures d’initiatives privées, non, c’est au mieux un scenario hollywoodien. Il existe, et c’est normal, des courants de pensées divergents en France sur cette frontière public-privé, parfois un peu dogmatiques dans les deux camps. Mais Bpifrance est la traduction d’un équilibre qu’il faut encore renforcer, un gage de stabilité. En matière de financement de l’internationalisation des entreprises françaises, la réduction de voilure ne se fera que si la simplification aboutit, si nous réussissons à restructurer l’ensemble de l’écosystème. Nous en sommes encore loin au vu du nombre de propositions co-existantes aujourd’hui. Une entreprise peut par exemple recourir à la Société de Financement Local (SFIL) pour bénéficier du refinancement des grands crédits exports consentis par ses banquiers, elle peut bénéficier de prêts non concessionnels opérés par la Direction Générale du Trésor, elle peut bénéficier d’un Crédit Export de Bpifrance et d’une assurance délivrée par Bpifrance Assurance Export agissant en nom et pour le compte de l’Etat français. Ces dispositifs cohabitent mais le système reste complexe, peu adapté au profil des entrepreneurs de notre temps, trop concentré sur des opérations de grande taille et inadapté aux opérations de petites tailles ou encore pas assez digitalisé. La compétition est réelle, notamment en matière d’Assurance-Crédit. Les Export Credit Agencies se livrent une réelle bataille pour faire gagner leurs clients sur la scène internationale, bataille sur les critères d’éligibilité, de souplesse, de rapidité d’exécution. Sur ce sujet, l’offre privée est encore trop étroite.
Y a-t-il une difficulté pour créer une distinction entre les participations de BPIfrance et celles de l’Agence des Participations de l'Etat (APE), qui expliquerait ces propositions de réduire la voilure de la BPI ?
P. N. : Concernant Peugeot, c’est une belle opération même si nous avons payé deux fois plus que ce que l’APE avait payé à l’entrée. L’entreprise était dans une situation tout à fait différente au moment de l’intervention de l’APE, une fragilité qui appelait le soutien de l’Etat via l’APE. A présent assainie et disposant d’un plan stratégique cohérent, de belles réserves de valeurs, la plus-value d’un milliard d’euros est à la mesure de la santé retrouvée et des perspectives. Nous aurons d’autres opérations de ce type, c’est ce que souhaite le gouvernement pour défendre quand c’est nécessaire les fleurons industriels français. L’APE agissant pour l’Etat peut se positionner dans des situations de marché plus délicates à l’entrée alors que Bpifrance est tenue à une certaine orthodoxie et est par conséquent plus proche des conditions du marché : il faut que l’entreprise soit viable, ait de la visibilité, soit dans une phase d’accélération de sa rentabilité. L’APE pour le compte de l’Etat peut être dans une logique stratégique de défense de l’intérêt national, pour éviter qu’une partie du capital passe entre les mains d’un acteur étranger ou concurrent : les intérêts chinois chez Accor, le poids italien chez STX etc. Dans ces schémas on peut imaginer que l’APE réagisse, stabilise, comme ce fut le cas chez Peugeot il y a quatre ans, et que Bpifrance reprenne la main ensuite si les conditions de marché sont réunies. Il y a une forme de continuum naturel. En revanche, si un grand pas a été franchi avec la création de Bpifrance en 2012, il reste encore des poches de simplification possibles. Par exemple, la CDC a encore des participations dans deux ou trois fonds, il y a là une piste de simplification. En ce sens, nous avançons avec CDC International Capital.
Allez-vous vous appuyer sur CDC International Capital quand vous enverrez des boites à l’export ?
P. N. : C’est d’abord et avant tout une étape de plus dans l’internationalisation de Bpifrance. L’intérêt est de faire travailler ensemble des silos qui communiquent peu. Une des « secret sauce » de la réussite de Bpifrance a été de mettre de la transversalité entre des métiers qui en théorie cohabitent peu : l’investissement, le financement et maintenant l’assurance ou encore l’accompagnement. On épouse l’ensemble de l’entreprise sur tous ses besoins. Quand nous aurons une entreprise qui voudra aller au Moyen-Orient par exemple, nous travaillerons avec les équipes de Laurent Vigier (PDG de CDC IC), les équipes d’assurance, celles de l’investissement. Dans cette dimension, nous préparons un nouveau fonds qui vise à investir dans des filiales, des joint-ventures avec des acteurs locaux : toutes ces branches-là vont cohabiter. Tant qu’on est dans des silos on est dans le monde ancien. Il y a beaucoup de résistance dans les corps intermédiaires qui défendent des positions historiques, qui sont convaincues de défendre les intérêts de l’Etat avant d’être habités par l’obsession de faire gagner les Français sur tous les continents. A nous de faire remonter l’information du terrain, des chefs d’entreprise, et au gouvernement de faire descendre les exigences pour que cela converge vers une volonté de transformation du pays. C’est en cours mais cela résiste et c’est normal car nous n’avons pas vécu de révolution copernicienne depuis plus de 30 ans sur ces métiers du Financement International. Entre notre ambition initiale et le résultat qui sera annoncé le 23 février, nous n’aurons pas fait tout le chemin. C’est aussi la motivation de notre engagement.
Nous avons créé une sorte de think tank interne qui s’appelle Demain, car nous nous sommes dits qu’avec tous les talents qui nous entourent dans notre écosystème, on doit pouvoir être légitimes pour prendre la parole, exprimer une position sur un marché, une tendance sur une filière. Ces thématiques peuvent être la grande distribution dans vingt ans, le tourisme de demain et sa traduction urbaine, en agroalimentaire comment le marché des protéines va bouleverser notre alimentation dans les quinze ans qui viennent. Nous pouvons émettre des propositions de visions de ce que peuvent devenir ces marchés-là. Cette fertilisation croisée vient de toutes les filières, toutes nos filiales. La restitution de ces propositions se fait notamment lors de grands évènements rassemblant les entrepreneurs comme BIG en octobre, sorte de Davos qui est pour nous un grand moment de partage de nos valeurs et partage de l’ambition de puissance retrouvée en France. En 2018, nous voulons d’ailleurs davantage internationaliser cet évènement en faisant venir plus d’étrangers pour leur vendre la France, nos entrepreneurs, leur faire visiter des usines, la Station F etc.
Tout ça pour vous dire que la Banque Publique de l’Export est engagée dans un schéma de simplification dans un paysage où cohabitent différents outils s’adressant aux mêmes clients et en silo. Pour une PME qui découvre l’écosystème, et c’est bien là que se situe le challenge de transformation de notre pays, cela reste compliqué – même si c’est déjà nettement simplifié par rapport à avant. Cette simplification se traduit aussi par une réforme en cours, dont la première étape sera annoncée le 23 février autour de Business France comme agrégateur des solutions d’accompagnement et de formation des entreprises et de Bpifrance comme structure centrale du financement de l’export français.
Propos recueillis par Marion ADNET, Pouya CANET et Alexis MALOUX