C’est dans le cadre de la grande redéfinition de la politique industrielle de 2004 (insérée dans l’art. 24 de la Loi 2004-1484 du 30 décembre 2004 portant sur la loi de finances pour 2005 – JORF du 31 décembre 2004) qu’apparait la notion de pôle de compétitivité. Qu’est-ce qu’un pôle de compétitivité ? Comment est-il financé ? Quels sont les acteurs qui l’accompagnent, pour quels résultats et quelles perspectives ?
Définition et financement
Les pôles de compétitivité (PdC) rassemblent des projets industriels comprenant les TPE, les PME et les grandes entreprises, la R&D technologique développée par des laboratoires de recherche et d’innovation publics et privés, ainsi que les établissements d’enseignement supérieur qui, par leurs formations, alimentent la compétitivité de l’économie territoriale. L’objectif est de privilégier un secteur d’activité en émergence pour des produits nouveaux porteurs sur le marché, et de favoriser la croissance, l’emploi et l’innovation afin d’empêcher la délocalisation des savoir-faire français. En 2017, 68 pôles de compétitivité sont enregistrés sur le territoire français et 17 auraient une capacité mondiale.
Les PdC bénéficient d’aides directes – subventions, prêts à taux réduits ou avances remboursables –, d’aides indirectes, d’aides européennes ainsi que de ressources privées :
- Le Fonds unique interministériel (FUI) pour les meilleurs projets de R&D et de plateformes d’innovation. Il soutient peu de projets mais le montant financier est important. Ainsi, de 2005 à mi-2016, il a soutenu 22 appels à projet et près de 1 680 projets de R&D collaboratifs au profit des PdC pour un montant de 6,8 milliards d’euros ;
- Le Programme des investissements d’avenir (PAI) ;
- Les partenaires comme l’Agence nationale de la recherche (ANR), la Banque publique d’investissement, la Caisse de dépôts et la Direction générale des entreprises (DGE) ;
- Les Programmes communautaires de soutien à l’innovation : European Entreprise Network (EEN) ;
- Les subventions des collectivités territoriales ;
- Les financements publics indirects comme le Crédit d’impôt recherche (CIR), le dispositif Jeune entreprise innovante (JEI) ou des allègements de charges sociales.
Stratégie et intelligence économique
Chaque pôle de compétitivité prévoit sa stratégie sur cinq ans pour élargir ses partenariats et amplifier des projets collaboratifs stratégiques de R&D. Il définit une identité industrielle et accompagne ses membres par des actions d’animation pour améliorer l’accès aux financements privés, promouvoir le territoire à l’international, etc. Les pôles de compétitivité ont été créés pour les TPE / PME, afin qu’elles puissent développer des projets collaboratifs et s’échanger de l’information dans l’idée d’une stratégie commune. Même si de grandes entreprises sont membres de cette collaboration bénéfique pour tous, elles ne doivent pas empiéter sur une démarche de développement des entreprises locales d’un territoire.
L’intelligence économique a toute sa place dans les pôles de compétitivité pour répondre aux exigences d’un territoire dynamique. Selon l’Institut National des Hautes Etudes de Sécurité et de la Justice (INHESJ), les pôles de compétitivité seraient « l’une des cibles majeures des actions d’ingérence économique constatées par les services de sécurité en France ». Le responsable d’intelligence économique au sein d’un pôle de compétitivité doit coordonner l’ensemble des acteurs, leur transmettre l’information utile et nécessaire tout en privilégiant la sécurité des données dites stratégiques et/ou confidentielles pour accompagner la stratégie bénéfique au territoire concerné. Denis Deschamps – ancien Responsable du pôle Innovation/Intelligence économique à la CCI Paris IDF – a démontré dans un article du Portail de l’IE la nécessité d’intégrer et de promouvoir l’intelligence économique au sein des pôles de compétitivité.
Accompagnement et labellisation des projets de R&D
Le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET) et la Direction générale des entreprises (DGE), en lien avec l’institution Régions de France et la Direction générale de la recherche et de l’innovation (DGRI), assurent le secrétariat du comité de pilotage de la politique des pôles de compétitivité. L’Association françaises des pôles de compétitivité (AFPC), créée en 2013 pour être le porte-parole de ses membres, s’est fixée trois missions :
- Valoriser le rôle des pôles dans la dynamique d’innovation française avec l’État et les régions ;
- Porter la voix des pôles et de leurs membres auprès des pouvoirs publics nationaux et européens ;
- Accompagner la recherche de financement des PME et animer le label EIP (Entreprises innovantes des pôles).
Actuellement, l’AFPC représente 57 pôles de compétitivité. Son président est Jean-Luc Beylat (président du pôle Systematic Paris-Région). L’AFPC élabore un suivi sur les résultats concernant les innovations produits, la création d’entreprises et d’emplois. Pour cela, elle a créé la « plateforme des pôles sur l’industrie du futur » dont 30 pôles sont membres et 59 pôles participent à l’élaboration d’une spécialisation intelligente (SRI-SI) régionale.
Les PdC consacrent environ la moitié de leur budget à l’accompagnement de leurs membres (veille, accès aux financements, aide à la formation, accompagnement technique, rencontre B2B, promotion dans les salons…) et à la labellisation de projets de R&D collaboratifs.
Evaluation et perspective
Cette politique a commencé à porter ses fruits à partir de 2009 quand l’investissement public a eu un « effet de levier » significatif sur l’autofinancement. En 2012, pour 1 euro d’aide publique investi dans la R&D, les entreprises y ont consacré environ 3 euros dont presque 2 euros autofinancés. L’effet de levier a été plus visible chez les PME que dans les grandes entreprises et les ETI.
Grâce aux fichiers de déclaration de données sociales (DADS) la DGE peut suivre l’évolution des PdC en matière de démographie, de nombre de projets labellisés et de nombre de formations lancées. En très forte augmentation, l’emploi R&D des pôles a cru de 27,5% de 2007 à 2012, soit 5,9 personnes recrutées en 2012 en moyenne par entreprises.
La période 2013-2018, constitue la troisième phase du développement des pôles de compétitivité. À mi-parcours, une étude commanditée par le CGET et la DGE présente des résultats mitigés. Côté positif : les pôles de compétitivité ont mis « fin à la malédiction » sur l’effet de levier pour l’autofinancement privé. Les financements publics ont permis l’émergence et la structuration des projets. Cependant, des marges de progression subsistent :
- Le suivi après l’obtention du financement sur les résultats et les innovations produites est moindre.
- La R&D innovation est très performante même si la mise sur le marché et la phase de commercialisation de nouveaux produits est quasi-nulle à cause d’un manque d’accompagnement et de pilotage pour favoriser la transition entre « l’usine à projets » de R&D collaboratifs et « l’usine à produit d’avenir ».
- Le Commissariat général à l’égalité des territoires propose que les acheteurs potentiels des futurs produits ciblent leurs besoins en amont des projets de R&D afin de faciliter la commercialisation des produits.
- La Commission nationale d’évaluation des politiques d’innovation (CNEPI), mise en place par France Stratégie en 2014, recommande à l’État de privilégier des pôles de compétitivité concourant pour les « 9 solutions industrielles » spécialisées selon le projet de « Nouvelle France Industrielle » et d’élever le niveau d’exigence lors de la sélection des projets.
La politique industrielle des pôles de compétitivité en France a façonné une coordination entre des acteurs du privé, du public et du monde universitaire sur des projets collaboratifs et spécialisés. Les pôles ont une portée positive pour l’emploi, la R&D et le dynamisme du territoire. Cependant, la commercialisation des brevets sur le marché reste difficile. Il est nécessaire que la R&D française soit développée en amont des besoins des entreprises du territoire. Enfin, le responsable en intelligence économique au sein du pôle de compétitivité est vital pour coordonner, sensibiliser, protéger, et développer une stratégie prospective et éviter que l’industrialisation de la R&D soit délocalisée à l’étranger. Si c’était le cas, les financements publics n’auraient pas de retour sur investissement pour le territoire et pire, financeraient la concurrence d’importation.
Loïc Baret
Club Intelligence Territoriale, AEGE