[Conversation] L’intelligence minérale du BRGM : interview de Pierre Toulhoat (Partie 2)

Le Portail de l’IE a eu la chance de s’entretenir avec Pierre Toulhoat, directeur général délégué du BRGM, à l’occasion des 60 ans du bureau. La seconde partie de cet échange met en perspective le BRGM avec les différents organismes de l’État, l’Union Européenne et le monde. Le Portail de l’IE remercie Monsieur Toulhoat de sa confiance.

Retrouvez la première partie de l'interview ici.

Portail de l’IE : Ce sont des thèmes que l’on retrouve dans le rapport du CGE (Conseil général de l’économie) publié en mars dernier.

Pierre Toulhoat : Absolument, par ailleurs l’enquête qui l’accompagne montre que nos industriels sont en retard sur la compréhension et la maîtrise de leurs chaînes d’approvisionnement. Ce qui n’est pas, pour prendre l’exemple de l’automobile, le cas de BMW ou Volkswagen, qui maîtrisent mieux et depuis longtemps les méthodes d’approvisionnement en matières pour leurs véhicules électriques.

PIE : Quels sont les enjeux du BRGM en lien avec ces rapports CGE et CESE ?

Pierre Toulhoat : Pour reprendre les recommandations du CGE, mais aussi du CESE (Conseil économique social et environnemental), qui font des préconisations précises sur le BRGM : il faut que nous retrouvions des moyens pour aider les pays étrangers qui veulent échapper à la domination chinoise à connaître leurs potentiels miniers. Dans ce cadre, notre approche doit être globale en négociant des contrats de long terme d’approvisionnements si des mines se développent suite à des études du BRGM. Cette démarche doit se faire en lien avec les services de l’État, je pense à l’AFD (Agence française de développement) par exemple.

Jusqu’à aujourd’hui, la France a toujours refusé de se positionner sur cette méthode de travail alors que certains pays fonctionnent déjà de la sorte. Nos homologues du BGR par exemple, l'Institut fédéral des géosciences et des ressources naturelles, l’équivalent BRGM allemand, consacre 20% de leurs budgets au soutien et au développement de pays amis, en très forte complicité avec les industriels. C’est une piste que nous proposons. D’ailleurs nous avons déjà des sollicitations, je pense au Maroc ou à la Mongolie, qui rentrent d’eux-mêmes dans cette dynamique gagnant-gagnant.

Un autre axe pourrait être de proposer des investissements miniers dans ces pays, malheureusement les acteurs français en capacité de le faire, Eramet et Orano, n’ont pas suffisamment de moyens pour cela. Rappelons que ce sont des investissements réellement conséquents. En aval, lorsque l’on regarde les industries aéronautiques ou navales, il n’est pas non plus possible de négocier des parts ou des conditions d’approvisionnement particulières. J’ajoute que de tels investissements permettraient de contrôler le sort de la mine, d’appliquer des procédés d’extraction plus durables que ce qui se fait ailleurs. La question se pose donc aussi du point de vue environnemental.

PIE : La France dispose malgré tout de cartes à jouer, les industriels existent et l’expertise aussi…

Pierre Toulhoat : Tout-à-fait, mais il faut une volonté politique forte. J’irai plus loin sur nos atouts, nous avons même les ressources. Mais on ne veut pas les exploiter. Pour des raisons environnementales notamment. Le sujet du tungstène de Salau en Ariège est intéressant : un permis est délivré pour l’exploitation, via des acteurs français et des capitaux australiens, puis a été débouté. Or cette mine est un des plus grands gisements européens de tungstène. D’autre part le tungstène est un des métaux les plus critiques aujourd’hui. Par ailleurs, à 100km de cette mine exploitée jusqu’en 1986, se trouve toute une chaîne de valeur qui aboutit à l’industrie aéronautique, consommatrice de ce métal. On pourrait ici recréer un écosystème, mais il n’y a pas de volonté suffisante.

PIE : Le Comité stratégique de filière mines et métallurgie, via son impulsion, ne semble pas suffisant dans ce cas ?

Pierre Toulhoat : Nous échangeons parfois avec les membres du CSF. Il était question que le BRGM soit impliqué dans son bureau. Pour le moment malheureusement ce n’est pas le cas. Ceci dit, je pense que l’ambition que porte ce comité n’est pas suffisante. C’est une opinion personnelle, mais je crois que c’est aussi dû à la relative faiblesse d’acteurs comme Eramet qui ne sont pas dans la meilleure situation possible. Il est difficile de comparer Eramet à Glencore ou Rio Tinto par exemple… Mais ce doit être l’objectif !

PIE : Il semble alors qu’il faille à la France recréer un écosystème qui viendra en soutien à nos grands industriels ?

Pierre Toulhoat : Voilà. J’ajoute que nous échangeons souvent avec la présidence du Conseil national à l’industrie, qui est très au courant de ces problématiques. Le président du CNI est par ailleurs président du World Materials Forum, qui se réunit tous les ans à Nancy au mois de juin. On y passe en revue, entre autres, les questions de l’approvisionnement sur toutes les chaînes de valeurs de l’industrie. Tous les ans, le BRGM fait un exercice d’étude à ce moment.

La vraie question est alors « Comment avancer ? » La prise de conscience est en cours. Reste la suite.

PIE : l’Union européenne peut-elle être un moyen ? Comment analysez-vous la position européenne ?

Pierre Toulhoat : L’UE s’est beaucoup mobilisée sur le sujet, sous l’impulsion de Gwenolé Cozigou qui est vraiment un artisan du développement du soutien européen aux programmes de recherche sur les matériaux critiques, que ce soit l’exploitation ou le développement de procédés de recyclage. Je pense que grâce à lui, sur une quinzaine d’années, l’UE a mobilisé plus d’un milliard d’euros sur le sujet.

Malgré cette bonne volonté, l’approvisionnement en matériaux stratégiques n’est pas de la compétence de l’Union, mais bien de chaque pays. Chacun va chercher ses besoins et jouer son rôle avec ses industriels.

PIE : Pensez-vous que nous pourrions nous inspirer de nos voisins européens pour rendre plus efficace notre façon de travailler ? Quelle est la nature de vos échanges avec vos homologues ?

Pierre Toulhoat : Le BRGM est parfaitement reconnu sur l’intelligence minérale. Ce qui nous « coupe les jambes », c’est le déficit en appuis nationaux. Nous avons du mal à aller vers l’Afrique et l’Amérique du Sud. Comme nous en parlions, l’Allemagne conserve cette capacité là où le BRGM doit chercher des financements. La Hollande et la Grande-Bretagne, elles, financent directement les recherches.

Au-delà de l’UE, nous avons des échanges fréquents avec les Américains via l'Institut d'études géologiques des États-Unis (USGS). Ils ont une équipe de 80 personnes uniquement sur l’intelligence minérale ! Ils constituent donc la principale source d’information mondiale sur l’évolution des ressources. Au BRGM, sur les sujets d’intelligence minérale, nous sommes une dizaine. Évidemment la force de frappe n’est pas la même. Nous avons toutes nos autres missions à remplir…

PIE : Pouvez-vous nous parler de la stratégie des USA ?

Pierre Toulhoat : Elle n’est pas toujours pleinement cohérente, me semble-t-il. Ils ont conscience du caractère stratégique des métaux, et pour certains d’entre-deux ils constituent des réserves. Mais ils peuvent avoir des comportements incohérents, je pense en particulier aux terres rares. La Chine en a le monopole comme vous le savez. Les USA, qui disposent de gisements, ont tenté de rouvrir des exploitations. Mais les Chinois ont rouvert le marché et fait fermer, par conséquent, les exploitations américaines.

Sous l’administration Trump, des instructions ont été passées pour en rouvrir, notamment le gisement de Mountain Pass. Le problème est que, technologiquement, ils dépendent, comme nous, de la Chine, celle-ci ayant développé des procédés de traitements de la catégorie de minerais de Mountain Pass. Par ailleurs, la Chine a pris des participations dans la société qui exploite Mountain Pass.

Retrouvez la première partie de l'interview ici.

Jean-Baptiste Loriers