Plateforme financée par l’Union européenne, Datacros doit permettre aux gouvernements et citoyens de détecter des cas de corruption et de blanchiment. Disposant aujourd’hui de deux types d’accès il est à souhaiter qu’il devienne plus collaboratif pour favoriser des interactions entre l’Etat et des utilisateurs spécialisés dans la gestion des tiers et de la conformité.
Depuis son lancement le 10 avril 2019 le projet est coordonné par Transcrime de l'Université Cattolica del Sacro Cuore de Milan. Au sein de ce groupement, on trouve l’Agence Française Anticorruption, la Police espagnole (CNP) et l'Investigative Reporting Project d'Italie (IRPI) – association de journalistes basée en Italie qui expérimente de nouvelles approches du journalisme d'investigation.
Aujourd’hui en phase de test, l’outil sera validé sur des cas d’usages sélectionnés par les membres du consortium puis soumis à la Commission européenne. A cette heure, une version est en ligne, mais ne semble pas pleinement opérationnelle aux regards des spécifications disponibles. En atteignant ses objectifs, il pourrait devenir un moyen de communication entre les acteurs de la compliance, de l’intelligence économique et les services de l’État.
Si la portée d’un tel outil fait consensus – modulo les inévitables manques et biais dans les données qu’il peut contenir – se pose la question de l’accès à ceux dont le métier est d’enquêter et d’évaluer l’honorabilité des tiers. Quid de ces professionnels alors que l’outil est présenté comme « destiné aux autorités, mais également aux ONG, aux journalistes » ?
Datacros, un outil de lutte contre la fraude et le blanchiment
Encore au stade de prototype, la plateforme a vocation à réunir un ensemble d’éléments permettant de réaliser une rapide due diligence ou enquête d’honorabilité sur une personne morale et ses représentants. La promesse est belle puisque nous lisons sur le site qu’elle permet de « détecter les anomalies dans la détention capitalistique des entreprises qui peuvent indiquer des risques élevés de collusion, de corruption et de blanchiment d'argent ». Ainsi, Datacros répond aux axes stratégiques de la Commission en faveur de la lutte contre le blanchiment. Mais également aux demandes des populations européennes qui souhaitent plus d’éthique dans les affaires.
Deux niveaux d’accès sont prévus, un accès grand public à vocation de transparence et un accès réservé, à destination des services gouvernementaux. Les services gouvernementaux (police judiciaire et/ou anticorruption) disposeront d’un accès décrit comme visant à « faciliter les enquêtes et les évaluations de l’intégrité des tiers, permettant de récupérer les anomalies identifiées au niveau de l'entreprise. La structure de propriété d'une société est dévoilée, les liens avec les paradis fiscaux et les juridictions non coopératives sont rendus visibles, les relations avec des Personnes Politiquement Exposées sont mises en évidence ».
Les ONG, journalistes et citoyens, disposeront d’un « espace public » conçu pour « permettre le contrôle des citoyens à un niveau agrégé. Les anomalies identifiées sont uniquement affichées via des cartes géographiques, des graphiques et des infographies. ».
Occasion manquée d’un outil de surveillance collaboratif
Si cette plateforme software as a service (SAAS) est, en l’état, un atout dans la lutte contre le blanchiment à destination des autorités, elle ouvre des possibilités encore plus intéressantes en termes de diversifications d’utilisateurs et de fonctionnalités.
Telles que présentées, les spécifications ne semblent pas prendre en compte la possibilité de créer des droits spécifiques pour le secteur de la compliance et de l’intelligence économique. Pourtant, ces professionnels traitent d’enjeux de conformité et de risque de blanchiment de manière quotidienne et permettraient de constituer une communauté d’utilisateurs avertis ou labellisés capables de fiabiliser des données ou d’émettre des alertes.
De même, les ONG qui disposent aujourd’hui de droits équivalents à ceux du citoyen représentent un vecteur d’alertes et de fiabilisations tout aussi important.
Enfin, les professions réglementées, comme les avocats, sont une troisième communauté capable de se saisir de ces problématiques afin de compléter les connaissances disponibles dans l’outil et d’accélérer le traitement judiciaire de certains cas en apportant une preuve recevable.
Construit aujourd’hui à sens unique, Datacros ouvre la perspective d’un outil de communication fluide entre les services de l’État et les professionnels. Au-delà de l’accès spécifique à certains secteurs se pose la question de rendre « annotables » les informations disponibles.
Véritable base de travail Datacros doit être considéré pour ce qu’il est, c’est-à-dire un projet pilote amené à évoluer et dont les acteurs concernés doivent se saisir pour le rendre plus efficient.