La modernisation accélérée de l’armée chinoise, les violations récurrentes de l’espace aérien japonais par l’aviation russe et la menace nord-coréenne ont poussé les autorités japonaises à augmenter le budget de la défense à hauteur de 1,3% du PIB en 2021. Ces menaces ont également contribué à la décision des autorités japonaises de se doter d’un chasseur furtif – ensemble de technologies capables de réduire l’exposition d’un avion aux capacités de détection d’un radar ennemi – de sixième génération : le Mitsubishi F-X.
Le F-X représente un des programmes les plus ambitieux de l’histoire de la force aérienne d’autodéfense japonaise (JASDF). L’idée initiale de développer un produit dérivé d’un avion de conception étrangère déjà existant – comme dans le cas du chasseur F-2 – a été abandonnée après le succès du vol d’essai d’un prototype d’avion de combat furtif japonais, dénommé Mitsubishi X-2 Shinshin. Les bons résultats obtenus par le X-2 Shinshin ont convaincu les stratèges japonais de disposer d’un savoir-faire technique suffisant pour développer un avion de production majoritairement autochtone.
La fabrication et le développement du programme F-X ont été principalement confiés au géant de l’industrie de défense nationale, la Mitsubishi Heavy Industries. Les autres sociétés faisant parties du consortium chargé de réaliser le F-X sont les entreprises japonaises Ishikawajima-Harima Heavy Industries (moteurs), Subaru (systèmes d’atterrissage), Fujitsu et Toshiba (électronique embarquée).
Le programme F-X répond principalement aux besoins des forces armées japonaises (JDF) de se doter d’un chasseur furtif de production autochtone qui soit capable de tenir tête aux nouveaux avions de chasse de la force aérienne chinoise. Les barrières à l’entrée pour les pays intéressés au développement de chasseurs furtifs de dernière génération sont cependant très élevées. La création d’un avion furtif requiert un coût élevé – La Japon prévoit un investissement de 48 milliards de dollars pour la réalisation du programme F-X – en termes de développement, de longues périodes de perfectionnement d’un prototype et, surtout, un savoir-faire industriel extrêmement avancé, notamment dans le domaine de l’aérodynamique.
Un partenariat stratégique…
Le Japon est conscient de ne pas disposer de la totalité du savoir-faire requis pour la réalisation du F-X. Le Ministère de la Défense (MoD) a en effet été contraint de sélectionner un partenaire international chargé d’épauler Mitsubishi Heavy Industries dans la réalisation du projet : le constructeur aéronautique américain Lockheed Martin. Lockheed Martin est parmi les entreprises les plus expérimentées en termes de production d’avions furtifs, mais n’est cependant pas le seul partenaire étranger prenant part au programme F-X. Le Japon est également en négociation avec un autre pays développant son propre chasseur de sixième génération, le Royaume-Uni.
Londres semble être un partenaire idéal pour aider Tokyo à réaliser un chasseur furtif de dernière génération. La réticence de Washington à partager ses technologies les plus stratégiques dans le domaine de l’aéronautique oblige le Japon à diversifier ses partenariats pour ne pas dépendre d’un seul fournisseur. L’opportunité de collaborer avec le Royaume-Uni, dont le savoir-faire en technologie aéronautique militaire est parmi les plus avancés au monde, permet à Tokyo de ne pas devoir redimensionner certains aspects techniques clés du projet F-X. Tokyo s'associe également avec un pays habitué à coopérer avec son principal allié stratégique, les États-Unis, les liens dans le domaine militaire entre Washington et Londres étant particulièrement resserrés. La production d’équipements militaires ayant une base commune garantit une meilleure interopérabilité entre les forces armées d’une alliance militaire. Le savoir-faire britannique ne risque pas, par conséquent, d’influer négativement sur les capacités de la JASDF de pouvoir agir conjointement avec l’armée de l’air américaine en cas de conflit.
L’objectif opérationnel du programme est de remplacer les Mitsubishi F-2, actuellement en service auprès de la JASDF, à partir de 2035. Le développement et la phase de test du F-X sont respectivement prévus pour 2024 et 2028. La production industrialisée devrait débuter à partir de 2031. Sur le plan technique, le programme F-X prévoit notamment d’équiper les futurs chasseurs furtifs d’équipements capables de contrôler des drones à distance, de capacités de guerre électromagnétique, et de missiles conçus dans le but de détruire des cibles aériennes, dénommés air-air.
… qui trahit la dépendance technologique de la Défense japonaise
Les F-X seront avec les 147 chasseurs F-35 – avions furtifs de cinquième génération – et les 213 F-15J – avions de chasse introduit dans le courant des années 80 dont les exemplaires les plus vieillissants doivent être progressivement retirés du service – chargés d’assurer la défense de l’espace aérien du Pays du Soleil Levant.
La recherche de partenaires américain et britannique capables de fournir un support technique aux industriels japonais, en particulier dans les domaines de l’avionique et du moteur, sont un élément-clé à la base de la réussite du programme F-X. L’assouplissement des restrictions imposées au secteur de l’industrie de défense japonais – faisant suite à l’introduction des trois principes relatifs au transfert d'équipements et de technologies de défense – a été pensé pour permettre à l’industrie de défense japonaise de prendre part aux projets conjoints de développement technologique militaire de pays ayant des intérêts communs à ceux du Japon.
L’interdépendance due aux coûts élevés et à la complexité des programmes militaires de dernière génération, bien démontrée par les difficultés de développement d’un chasseur de dernière génération comme le Mitsubishi F-X, crée cependant un nouveau type de vulnérabilité pour l’industrie de défense japonaise : l’excessive dépendance des importations d’armements de pointe en provenance des États-Unis. Selon le rapport annuel de l’Institut international sur la paix de Stockholm sur les tendances en matière de transfert d’armes à l’international, les États-Unis auraient fourni 97 % du matériel militaire étranger importé par Tokyo sur la période 2016-2020. Les difficultés de l’industrie japonaise à produire des équipements satisfaisant les besoins actuels des forces armées nationales risque d’aggraver cette tendance dans le courant des prochaines années. Une dépendance militaire fortement accrue vis-à-vis d’un pays étranger, y compris d’un allié fondamental pour la sécurité de l’archipel comme les États-Unis, pourrait réduire ultérieurement l’autonomie stratégique dont dispose Tokyo et, par conséquent, la faculté du Tokyo à rester seul maître de son destin. Pour paraphraser Lord Palmerston, « un pays n'a pas d'amis ou d'ennemis permanents, il n'a que des intérêts permanents ».
Alexandre Brans pour le Club Défense de l’AEGE
Pour aller plus loin :