À quelques jours de la conférence annuelle du Syndicat Français de l’Intelligence Économique (SYNFIE) consacrée à la loi Sapin II, Maître Olivier de Maison Rouge a accepté de s’entretenir avec nous.
Il interviendra à la conférence annuelle du SYNFIE pour une présentation des enjeux et des nouvelles obligations.
Retrouvez toutes les informations utiles sur la conférence ici.
Le Portail de l’Intelligence Économique (PIE) : En quoi cette loi était-elle si attendue et/ou nécessaire ?
Olivier de Maison Rouge (OMR) : La loi Sapin II du 9 décembre 2016, au même titre que la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, constituent désormais un socle légal, instituant une obligation de conformité (ou compliance) en matière de lutte contre la corruption d’une part, et de responsabilité sociétale (RSE) d’autre part.
Plus précisément, la loi Sapin II a été adoptée dans le but de faire échec aux sanctions financières américaines dirigées contre les entreprises françaises, brutalement engagées sur des lois fédérales (comme le Foreign Practices Corrupt Act – ou FCPA) à vocation extraterritoriale.
Le principe de la loi Sapin II est, le cas échéant, de sanctionner les entreprises françaises fautives, par les lois françaises, sur le sol français, au seul bénéfice du Trésor français.
OMR : Le but est évidemment louable et ne peut faire grief sur le plan moral. En outre, le législateur a préféré enrichir les finances françaises plutôt que le Trésor américain.
Toutefois, j’y vois au moins un écueil : nous intégrons en droit français des règles directement inspirées de la common law, c’est-à-dire que nous nous plaçons davantage dans le giron juridique anglo-saxon sans faire prévaloir la sécurité juridique du droit continental. J’en avais alors discuté avec un Conseiller d’État qui ne partageait pas mon opinion ; il s’est depuis lors rangé à mon avis.
OMR : Les entreprises étaient en attente d’une riposte de l’État, outre un accompagnement fort compte tenu des craintes légitimes en raison des affaires récentes (Alstom, BNP Paribas, et actuellement Airbus qui fait l’objet d’une enquête par les autorités britanniques). À ce jour, pour les dirigeants, l’application de ces nouveaux textes est trop largement perçue comme une contrainte supplémentaire davantage que comme un atout ni même une riposte.
En outre, la loi a consacré le statut de lanceur d’alerte qu’il convient de mettre en place au 1er janvier 2018, ce qui est un délai très court. Elles sont plutôt déboussolées quand elles ne sont pas tout simplement dans l’ignorance des nouvelles règles.
OMR : La reconnaissance des lanceurs d’alerte en droit français n’est déjà plus une nouveauté (2005 pour la violation des données personnelles, 2013 pour les risques en matière de santé, d’environnement et financiers) mais la loi Sapin II a eu le mérite de clarifier et d’unifier ce statut.
Un même dispositif est à l’étude au niveau européen. La France a pris une position forte pour sa part en prévoyant un périmètre d’alerte extrêmement large : révélation d’infractions pénales, violation de traités internationaux, atteinte à l’intérêt général pour les entreprises de plus de cinquante salariés, corruption pour celles de plus de cinq cents salariés et mise en cause de la RSE (responsabilité sociétale des entreprises) pour celles de plus de cinq mille salariés. Autant dire, de manière un peu provocatrice, que tout salarié est un dénonciateur potentiel. Il fallait oser dans un pays qui a connu le régime de Vichy. C’est dire que ces dispositifs sont bien inspirés d’autres schémas que ceux dictés par notre histoire.
PIE : Des recommandations sont aujourd’hui en ligne sur le site de l’Agence Française Anticorruption (A.F.A.) et ouvertes aux observations. Selon vous, ces recommandations sont-elles à la hauteur des attentes des entreprises ? Y aurait-il des points à améliorer ou à revoir ?
OMR : À ce jour, l’A.F.A. élabore sa doctrine en matière de lutte anticorruption. Ce ne peut être qu’un minimum car l’appréciation en revient in fine aux juges. Il faudra donc suivre les premières jurisprudences qui seront rendues en la matière pour voir quelle est la meilleure politique, étant précisé néanmoins que la loi Sapin II énonce déjà un certain nombre de règles opérationnelles opposables.
PIE : Selon M. Duchaine, directeur de l’A.F.A., avec lequel nous avons pu nous entretenir, la loi pourrait éviter des sanctions trop lourdes par les États-Unis puisque la France serait plus à même de juger ses propres entreprises. Qu’en pensez-vous ?
OMR : Je suis très sceptique en la matière. C’était effectivement l’objectif affiché. Mais il n’est absolument pas certain que les entreprises françaises ne soient pas également sanctionnées devant les juridictions américaines pour les mêmes motifs. En effet, certains estiment qu’en vertu de la règle « non bis in idem », une entreprise ne peut être condamnée une deuxième fois pour les mêmes faits. Or, je ne pense pas que les juristes anglo-saxons aient la même approche, celle-ci étant issue du droit romano-germanique par surcroît. Si l’histoire nous a déjà enseigné l’inverse (notamment pour l’application de la loi de blocage de 1968) espérons qu’il n’en soit pas ainsi cette fois encore.
PIE : Au regard des exigences du système judiciaire américain qui a vraiment intégré l’obligation de probité dans l’entreprise, pensez-vous que les entreprises françaises arriveront à se plier à cette conformité ?
OMR : Sauf à savoir imposer notre propre modèle vertueux, nous restons contraints par les autres cadres normatifs. Il faudrait revenir aux fondamentaux du droit continental qui nous enseigne en vérité beaucoup en matière d’éthique.
Entretien réalisé par Manon Fontaine Armand et Marvin Looz