La guerre en Ukraine a fait irruption au Salon international de l’Agriculture (SIA) qui s’est tenu la semaine dernière à Paris, amenant avec elle ses incertitudes et ses chamboulements dans bien des pans du secteur agricole français. Retour sur les retrouvailles de ce 58e Salon avec son public, qui est l’occasion de se pencher sur les enjeux économiques cruciaux de la « ferme France ». Le Portail de l’Intelligence économique était sur place.
L’agriculture française dans l’inquiétude de la guerre
L’édition 2022 du Salon de l’Agriculture a bien sûr été marquée par la guerre en Ukraine, qui fait attendre des poussées inflationnistes auprès des agriculteurs, mais aussi des consommateurs. Les céréales, dont le blé et le maïs, ont vu leur prix augmenter de 280 à 410 euros la tonne sur Euronext, le marché européen. Reste à savoir comment nos industriels et transformateurs de l’agro-alimentaire français vont s’organiser, sans nuire davantage aux acteurs en amont ou en aval de la chaîne d’approvisionnement. Des voix inquiètes se font cependant entendre, à l’instar du président du puissant syndicat des jeunes agriculteurs, Samuel Vandaele. La loi Egalim 2, promulguée en 2019, prend tout son sens dans ces négociations entre agriculteurs et la grande distribution. Pour Jean-François Loiseau, président d’Intercéréales, pallier le futur manque nécessite d’opter pour une agriculture à marche forcée à travers la mise en culture des terres en jachère.
Intervention d'Emmanuel Macron : la souveraineté française en ligne de mire
Lors de son discours d’inauguration, Emmanuel Macron a obscurci les premières heures du Salon. « Cette guerre durera », « il faut nous y préparer ». Au-delà de ces mots solennels sur l’urgence de la situation, il a aussi souligné la nécessité de bâtir un nouveau modèle agricole français. Remettant la « souveraineté » au centre des discussions, Emmanuel Macron souhaite également que l’agriculture soit remodelée à l’échelle européenne. Nathan Cordier, responsable de l’analyse des marchés pour Agritel (société française de conseil sur les marchés agricoles) souligne entre autres la dépendance des industriels européens à l’huile de tournesol ukrainienne, qui représente 50 % des parts de marché de ce produit. L’arrêt des exportations depuis les ports de la Mer Noire, qui touchent également les céréales, pourrait faire craindre une pénurie à court terme.
Une guerre économique qui dit son nom
Les mesures de rétorsion ont aussi grandement fait parler d’elles. Les autorités russes ont notamment demandé aux producteurs nationaux d’engrais de suspendre temporairement leurs exportations. En plus d’affecter les agriculteurs qui ont d’ores et déjà vécu une hausse de 138 % des prix de l’engrais l’année dernière, cette mesure est accompagnée de la hausse du prix du gaz, qui entre à 80 % dans les coûts de fabrication de l'engrais, comme l’a souligné Christiane Lambert, présidente de la FNSEA.
Un partenariat pour de nouveaux débouchés dans l’énergie
Cette semaine a vu un partenariat officialisé entre Total Energies et la FNSEA, syndicat agricole majoritaire en France. Il prévoit une convention visant une optimisation du potentiel énergétique du secteur. Les débouchés porteront sur la méthanisation, l’utilisation des déchets agricoles, les Cives (cultures intermédiaires à vocation énergétique), les biocarburants, ainsi que les énergies vertes. Concrètement, ce partenariat permettra par exemple à Total Energies de développer des projets d’énergie photovoltaïque sur près de 30 000 hectares agricoles. Sans devenir des « producteurs d’électricité », les agriculteurs percevront une rémunération complémentaire en revendant l’électricité produite.
Vers une troisième révolution agricole ?
Enfin, le Salon de l’Agriculture a permis de mettre en lumière les avancées technologiques dont s’emparent des start-ups et entreprises présentes à de nombreux stands. Des acteurs empruntent le virage de la biotech et proposent des innovations qui permettraient de “mieux produire pour bien manger”, comme Jungle et son concept de fermes verticales. Le numérique a investi le secteur agricole et les allées de son Salon, avec comme objectif premier d’inscrire l’agriculture dans une révolution sociologique et une prise de conscience partagée de la croissante fragilisation du secteur agricole si des évolutions technologiques, juridiques, et politiques ne sont pas enclenchées.
Olivia Luce
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